IRONIE numéro 144 - Supplément Nicolas Chamfort

Être libre

Nicolas Chamfort

Caractère

« Les ouvrages qu’un auteur fait avec plaisir sont souvent les meilleurs »

« Il y a deux classes de moralistes et de politiques : ceux qui n’ont vu la nature humaine que du côté odieux ou ridicule, et c’est le plus grand nombre : Lucien, Montaigne, La Bruyère, La Rochefoucauld, Swift, Mandeville, Helvétius, etc. Ceux qui ne l’ont vue que du beau côté et dans ses perfections ; tels sont Shaftesbury et quelques autres. Les premiers ne connaissent pas le palais dont ils n’ont vu que les latrines. Les seconds sont des enthousiastes qui détournent leurs yeux loin de ce qui les offense, et qui n’en existe pas moins. Est in medio verum. »

« On se fâche souvent contre les gens de lettre qui se retirent du monde. On veut qu’ils prennent intérêt à la société dont ils ne tirent presque point d’avantage ; on veut les forcer d’assister éternellement aux tirages d’une loterie où ils n’ont point de billet. »

« Le travail du poète, et souvent de l’homme de lettres, lui sont bien peu fructueux à lui-même ; et de la part du public, il se trouve placé entre le grand merci et le va te promener. Sa fortune se réduit à jouir de lui-même et du temps. »

« La fortune, pour arriver à moi, passera par les conditions que lui impose mon caractère. »

« Ne tenir dans la main de personne, être l’homme de son cœur, de ses principes, de ses sentiments, c’est ce que j’ai vu de plus rare. »

« En général, si la société n’était pas une composition factice, tout sentiment simple et vrai ne produirait pas le grand effet qu’il produit : il plairait sans étonner ; mais il étonne et il plaît. Notre surprise est la satire de la société, et notre plaisir est un hommage à la nature. »

« La pensée console de tout, et remédie à tout. Si quelquefois elle vous fait du mal, demandez-lui le remède du mal qui vous a fait, elle vous le donnera. »

« Il y a une prudence supérieure à celle qu’on qualifie ordinairement de ce nom : l’une est la prudence de l’aigle, et l’autre celle des taupes. La première consiste à suivre hardiment son caractère, en acceptant avec courage les désavantages et les inconvénients qu’il peut produire… »

« La nature ne m’a point dit : ˝Ne sois point pauvre˝ encore moins : ˝Sois riche˝ ; mais elle me crie : ˝Sois indépendant˝ »

« Avant de faire le tour du monde, si nous faisions le tour de nous-mêmes ? »

« Quiconque a détruit un préjugé, un seul préjugé, est un bienfaiteur du genre humain »

« Presque tous les hommes sont esclaves, par la raison que les Spartiates donnaient de la servitude des Perses, faute de savoir prononcer la syllabe non. Savoir prononcer ce mot et savoir vivre seul sont les deux seuls moyens de conserver sa liberté et son caractère. »

« C’est après l’âge des passions que les grands hommes ont produit leurs chefs-d’œuvre, comme c’est après les éruptions des volcans que la terre est plus fertile. »

« On dit quelquefois d’un homme qui vit seul : "Il n’aime pas la société." C’est souvent comme si on disait d’un homme qu’il n’aime pas la promenade, sous le prétexte qu’il ne se promène pas volontiers le soir dans la forêt de Bondy. »

« Un homme d’esprit est perdu s’il ne joint pas à l’esprit l’énergie de caractère. Quand on a la lanterne de Diogène, il faut avoir son bâton. »

« Amitié de cour, foi de renards, et société de loups. »

« Quiconque n’a pas de caractère n’est pas un homme, c’est une chose. »

Jouissance

« Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà, je crois, toute la morale. »

« Pour qu’une liaison d’homme à femme soit vraiment intéressante, il faut qu’il y ait entre eux jouissance, mémoire ou désir. »

« Mes idées sont faciles et douces, tous les mouvements de mon cœur sont des plaisirs, voilà le vrai beau temps »

« Un homme, attaquant une femme sans être prêt, lui dit : "Madame, s’il vous était égal d’avoir encore un quart d’heure de vertu ?" »

Rire

« Le génie de la gaieté est bien quelque chose, et il est doux de devenir immortel en riant »

« La plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri »

« Je conseillerais à quelqu’un qui veut obtenir une grâce d’un ministre de l’aborder d’un air triste, plutôt que d’un air riant. On n’aime pas à voir plus heureux que soi »

« L’amour sans la gaîté / Ne peut guère suffire à la félicité. »

Ourobouros

« Les fléaux physiques et les calamités de la nature humaine ont rendu la société nécessaire. La société a ajouté aux malheurs de la nature. Les inconvénients de la société ont amené la nécessité du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux malheurs de la société. Voilà l’histoire de la nature humaine. »

« A – Vous marierez-vous ? B – Non. A – Pourquoi ? B – Parce que je serais chagrin. A – Pourquoi ? B – Parce que je serais jaloux. A – Et pourquoi seriez-vous jaloux ? B – Parce que je serais cocu. A – Qui vous a dit que vous seriez cocu ? B – Je serais cocu, parce que je le mériterais. A – Et pourquoi le mériteriez-vous ? B – Parce que je me serais marié. »

Les sots

« L’homme passe sa vie à raisonner sur le passé, à se plaindre du présent, et à trembler pour le futur ».

« On souhaite la paresse d’un méchant et le silence d’un sot. »

« Pourquoi les hommes sont-ils si sots, si subjugués par la coutume ou par la crainte de faire un testament, en un mot, si imbéciles, qu’après eux ils laissent aller leurs biens à ceux qui rient de leur mort plutôt qu’à ceux qui la pleurent ? »

« L’opinion est la reine du monde, parce que la sottise est la reine des sots. »

« Les hommes deviennent petits en se rassemblant : ce sont les diables de Milton, obligés de se rendre Pygmées, pour entrer dans le Pandœmonion. »

« Le public ! Le public ! Combien faut-il de sots pour faire un public ? »

« Il y a des sottises bien habillées, comme il y a des sots très bien vêtus. »

« La plupart des hommes qui vivent dans le monde, y vivent si étourdiment, pensent si peu, qu’il ne connaissent pas ce monde qu’ils ont toujours sous les yeux. Ils ne le connaissent pas, disait plaisamment M. de B., par la raison qui fait que les hannetons ne savent pas l’histoire naturelle. »

« Au lieu de vouloir corriger les hommes de certains travers insupportables à la société, il aurait fallu corriger la faiblesse de ceux qui les souffrent. »

« Préjugé, vanité, calcul, voilà ce qui gouverne le monde. Celui qui ne connaît pour règle de sa conduite que raison, vérité, sentiment, n’a presque rien de commun avec la société. C’est en lui-même qu’il doit chercher et trouver presque tout son bonheur. »

« A – Vous avez trop mauvaise opinion des hommes ; il se fait beaucoup de bien. B – Le diable ne peut pas être partout. »

« Il y a des siècles où l’opinion publique est la plus mauvaise des opinions. »

« Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre. »

Les tréteaux du spectacle

« Quand on veut éviter d’être charlatan, il faut fuir les tréteaux ; car, si l’on y monte, on est bien forcé d’être charlatan, sans quoi l’assemblée vous jette des pierres. »

« Il y a des hommes qui ont besoin de primer, de s’élever au-dessus des autres, à quelque prix que ce puisse être. Tout leur est égal, pourvu qu’ils soient en évidence sur des tréteaux de charlatan ; sur un théâtre, un trône, un échafaud, ils seront toujours bien, s’ils attirent les yeux. »

Calomnie

« La calomnie est comme la guêpe qui vous importune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à moins qu’on ne soit sûr de la tuer, sans quoi elle revient à la charge, plus furieuse que jamais »

« – Pourquoi n’avez-vous rien dit quand on a parlé de M... ? / – Parce que j’aime mieux que l’on calomnie mon silence que mes paroles. »

Diamant

« Il en est de la valeur des hommes comme celle des diamants, qui, à une certaine mesure de grosseur, de pureté, de perfection, ont un prix fixe et marqué, mais qui, par-delà cette mesure, restent sans prix, et ne trouvent point d’acheteurs. »

« Plus un diamant est beau, plus il faut que la monture soit légère. »

« Des qualités trop supérieures rendent souvent un homme moins propre à la société. On ne va pas au marché avec des lingots ; on y va avec de l’argent ou de la petite monnaie. »

Temps heureux

« Temps heureux où chacun ne s’occupait en France

Que de vers, de romans, de musique, de danse,

Des prestiges des arts, des douceurs de l’amour !

Le seul soin qu’on connût était celui de plaire ;

On dormait deux la nuit, on riait tout le jour ;

Varier ses plaisirs était l’unique affaire. »

(à suivre…)

 

Fragments choisis de Nicolas Chamfort, tirés de ses Œuvres complètes (Volume 1 et Volume 2)
parues aux Editions du Sandre en janvier 2010 et présentées par Lionel Dax

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