IRONIE numéro 2 (Septembre 1996)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> IRONIE numéro 2, Septembre 1996

Ironie envoyé à des gens bien répartis dans le monde nous permet de troubler le circuit où et quand nous le voulons. Quelques lecteurs ont été choisis arbitrairement. Vous avez tout de même une chance d'en être. Ironie est envoyé à certaines adresses qui sont communiquées à la rédaction. Tous les textes publiés dans Ironie peuvent être reproduits, imités, ou partiellement cités, sans la moindre indication d'origine.

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DROITS DE RÉPONSES

Vous avez la possibilité, lecteurs, de répondre à nos attaques et nos fous rires. Seulement nous publierons uniquement les propos qui créeront chez nous un sentiment de révolte ou l'hilarité la plus profonde.

La Rédaction

 

AUX FEMMES

 

ECRANS


 1 

Le XXème siècle a adopté l'image animée partout. Les frères Lumière ont inventé le projecteur, la projection. Ils sont les initiateurs de l'Ecran, ce mur blanc, ce drap immaculé. La trinité des écrans (ordinateur, télévision, cinéma) projette de plus en plus d'images. J'entends l'écran au sens premier : obstacle, paravent. Cet objet statique fixe l'image afin d'engendrer le statique : la masse immobile d'une salle de cinéma, l'individu cloué face à la télévision, encore plus seul face à l'ordinateur qui n'est conçu que pour une personne à la fois. Ces écrans nous dé-mobilisent. On ne conçoit pas un écran sans son corollaire, le fauteuil !


 2 

Un impératif : perforer les écrans, passer au travers, traverser l'image qui nous donne un substitut de mobilité, un ersatz de jouissance. On nous conforte dans un voyeurisme sécuritaire. Les émissions de télévision accumulent les effets de direct, de rapidité. Les plans durent moins d'une seconde. Les "animateurs" courent, crient. Il faut que "ça bouge", tout bonnement pour qu'on évite de penser à notre immobilité. Tout concourt à l'oubli de soi, donc des autres. La télé-vision remplace le miroir si revendicateur de la singularité de chacun, libérant une fausse altérité, une projection de son moi. Elle nous donne une image mobile de nous-mêmes, une falsification de notre condition. Cette mobilité contraceptive du corps reste une constante du cinéma où les plans les plus fructueux sont ceux qui augmentent le temps, donc la pensée. Au contraire, la tendance du cinéma actuel indique une multi-plication des plans, des angles, effet-clip, un discours discontinu qui fuit, impalpable, impensable. L'ère de la sclérose arrive à toute vitesse !


 3 

Opposé à l'écran, son contraire, l'encre, salit le blanc : crever l'abcès, écrire, lever l'ancre. L'espoir mobile, voguent les pensées. Etre libre de poser son encre où l'on veut. La mobilité du stylo sera l'expression d'un contre-écran forcené ! "Lève l'ancre pour une exotique nature !"...

 

RECYCLAGES


 1 

Tu écris donc tu macules l'écran blanc; tu salis la propreté aseptisée de la page. Le style se fait l'agent de cette littérature du sale salace à l'opposé du "Bon Usage", la très pure Grammaire Française. Morand  : "Je n'ai jamais appris la grammaire; pas de quoi se vanter, mais il me semble que si je l'apprenais aujourd'hui, je ne pourrais plus écrire". Savourer les effets scatologiques toujours tabous dans les média, et les dépenses du corps féminin plus acceptées dans la non-jouissance des non-acteurs : une éthique sale à l'encontre de la mécanique du recyclage !


 2 

Le recyclage est l'action de récupérer des déchets, de leur faire subir un traitement et de les réintroduire dans le cycle de la production. La société se réjouit de la phobie des déchets, de la sueur, du sexe, de la saleté qui imprègne la plupart de ses sujets. L'ex-Président du Conseil en Italie, Monsieur Berlusconi, organisait une série de tests d'embauche pour sélectionner les nombreux candidats pour son agence de publicité. Un seul test les départageait : on positionnait leur visage devant une lampe de forte puissance. La place revenait à celui qui suait le moins. Gare aux sécrétions corporelles ! Cette folie de netteté, de la transparence, du propre, revient à encenser l'esprit pur dénué de corps, cette machine sale. Quand verra t-on des hommes mettre aux oubliettes les livres jugés sales, impropres à la consommation pour les recycler et en faire des pages blanches ? Sade : "J'ai le derrière et la bouche pleins de foutre, je ne dégorge que du foutre de tous les côtés !"; Lautréamont : "Un corridor sale, qui sentait la cuisse humaine"; Bernard Noël : "Quand ma pine eut atteint ses plus larges dimensions, je la vis devenir comme un os énorme dans la gueule du chien qui la branlait"; Rimbaud : "C'est le tube où descend la céleste prâline"... Plongeons dans l'art de la sécrétion !


 3 

Ne pas confondre le "recyclage" avec l'"éternel retour" qui évoque le retour du perpétuel, du "même", de la jouissance vécue, de la pensée sans nettoyage de la part d'autrui, le retour de l'instant comme art de vivre. Le recyclage induit une idée de destruction du déchet, donc de l'art, des pensées, de l'écriture : laver les scories pour effacer le style, les traces du stylo, blanchir l'écran ! La figure de l'éternel retour est Dionysos : danse, rire, légèreté, mobilité suprême ...

Lionel Dax

 

ALEXANDRIN

Un vêtement qui dort est un vêtement mort
Ecrit sur la devanture d'un pressing

 

A CEUX QUI N'ONT PAS DE NOM !

Nous évoluons dans un univers que nous n'osons plus critiquer. L'une des composantes essentielles du XXème siècle fut l'expansion technique et l'obsession du progrés. Peu de penseurs se sont mis en travers des machines-outils. Les mythologies modernes doivent impérativement passer au scanner de la critique. J'ai écrit un livre sur les dérives des nouvelles technologies de l'image. Le multimédia, Internet envahissent les organes de presse, les média; seulement, la critique à cet endroit reste évasive et superficielle. Je propose mon manuscrit aux Editions Elle Rouille. Je suis reçu chez le directeur. Voici ses propos :

On vend son nom pour une couverture de magazine, pour la publicité, un roman, un disque, du cinéma ... Le marché des noms devient aussi rentable que celui des organes !

Jean Sans Nom

 

L'IRONIE DU NON

"Recule encore derrière toi-même et ris :
Le Non est prononcé sur ton rire.
Le Rire est prononcé sur ton NON.
Renie ton Nom, ris de ton NON.
(...)

Tu apprendras à rire ou à pleurer de tout ce que tu croyais être toi-même (ton aspect physique, (...), ta position sociale, tes penchants, tes affections, tes opinions, tes vertus, ton talent, ton génie ...). L'ironie, je veux dire le refus, est l'arme qui brise toutes ces coques. Fais alterner le doute méthodique avec le sarcasme méthodique : ainsi tu éviteras peut-être la momification intellectuelle."

René Daumal, Clavicules d'un grand jeu poétique

 

"RÉCOLTONS LES RÉVOLTÉS DE L'ÉTÉ"

Je tiens à féliciter ce trait de mépris, ce canular ironik, cette moquerie cynik qui oscille entre le spectaculaire intégré et le politically correct le plus infect. On se fout de notre gueule ou nous frôlons le comble de la société peureuse : "Un concours d'écriture d'été pour paroles de révolté". Dans un pays où l'on enferme dans nos prisons en silence des adolescents pour cause de rébellion, Le Monde du 9/8/1996 propose aux jeunes bourgeois en vacances une occasion de se défouler sans risque avec préservatif en institutionnalisant l'esprit de révolte. L'autre public visé est celui des jeunes banlieusards qui usent déjà du rap pour crier. Or les populations des périphéries urbaines n'ont pas toutes acquis la maîtrise de la langue française : le 1er prix est un dictionnaire historique de la langue française ! Imaginez la tronche du révolté : autant jeter des cocktails molotov sur la façade du journal ! Du 2ème au 20 ème prix pour calmer les élans des concourants, Le Monde offre un livre d'illustrations comiques de Plantu (Monde Editions), un livre sur les migrations (pas d'oiseaux), et de la musique. Cadeaux d'été ! Pourquoi pas les œuvres complètes de Rimbaud, de Sade, de Lautréamont, de Céline, de Saint Just, de Cravan ? Trop dangereux : la révolte pourrait attaquer le corps entier et le sujet atteindrait la jouissance. Il faut anesthésier le virus par un con-cours, de la musique et écouler les stocks invendus du Monde Editions. L'association qui organise se nomme (tout est drôle dans cette initiative) "Les 24 heures du livre du Mans". L'assimilation de la lecture intime et intense à une course spectaculaire arrosée de bières, et du livre à une automobile dépeignent les symptômes médiocres propres à des temps de vitesse maladive qui effacent le sens du goût et le plaisir du texte.

Cher Le Monde, si ceci est un canular, votre ironie est plus que sanglante. Si tout cela est vrai...

Lionel Dax

Ceci est un virus. Il se transmet par la Poste. Faites circuler l'IRONIE.


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