IRONIE numéro 3 (Septembre 1996)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> IRONIE numéro 3, Septembre 1996
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AUX BANCS DE LA SOCIÉTÉ

Les bancs sont les bornes d'une mobilité jugée encore libre. Une politique se glisse en douce dans la ville de Paris. Les bancs disparaissent. Petit à petit ces îlots de repos et de rencontre gratuits sont effacés de nos déambulations. Ceci pour des raisons précises. D'abord, les bancs sont les refuges des déshérités de la ville et des oisifs amoureux ou voyeurs du quotidien. Un citoyen assis à ne rien faire de "productif" devient un danger, surtout s'il trouble l'atmosphère par son comportement. Les places gratuites du théâtre de la rue parasitent le commerce et la réputation d'un quartier.

L'écrivain Eduardo Galeano montre qu'il existe dans toute société une guerre faite aux pauvres, à une plus grande échelle aux improductifs ! Il faut limiter les lieux où ils peuvent être vus et gêner les consommateurs. Les pouvoirs locaux ponctionnent aux abords des magasins et des cafés. On troque le banc plus convivial, plus social, stationnement non payant des êtres entre deux instants mobiles, contre la chaise du café qui nécessite une consommation. Non seulement ces bancs sont retirés de la ville la nuit, comme on arrête des indésirables, mais des designers s'évertuent à trouver le remède mobilier aux sommeils des sans-abri. Dehors on gomme au compte-goutte; dans les couloirs du métro, les bancs ont été conçus pour éviter toute somnolence, surélevés et trop fins pour un corps allongé ou saucissonnés par des barres en fer qui requièrent des prouesses de souplesse pour tenter de dormir. Nous exigeons la réintroduction des bancs sur les trottoirs. Tout va dans le même sens. Les lieux d'amour et de pensée sont mis au ban de la société marchande. Les rues pavées se métamorphosent en tapis lisses. Tout ce qu'il y a de révolutionnaire dans la rue doit être nettoyé pour permettre une répression plus facile. L'introduction de caméras au coin des rues, dans les commerces, dans le métro nous indique que les espaces libres sont en voie de disparition. Le premier acte de résistance sera de masquer avec du scotch opaque les objectifs de ces caméras vicieuses. Les bancs disparaissent ... Les caméras filmeront du noir ! Ironie passera par là ...

Li D.

 

L'ACIDITÉ LUCIDE

"Après avoir été la machine-infernale de la révolte et du doute, la science va devenir (est déjà) un implacable instrument de police"

Julien Torma, Euphorismes (1926)

 

"Contre la vanité
Ne t'enfle pas :
La moindre piqûre te ferait crever"

Nietzsche, Le gai savoir

 

FRUSTRATION

On vit comme des chiens en chaleur, mais on baise peu; on regarde les autres baiser sur les ondes médiatiques : l'ère de l'onanisme non transgressé est venu. Les voyeurs éternels, les baiseurs hypnotiques fantasment. L'amour devient une géante branlette cosmique en face d'un film porno sur petit écran. Nous vivons dans la frustration du voyeurisme, de la transparence (transe apparente); toutes ces fenêtres ornées de rideaux, ces stores baissés pour cacher le non-baisable, le quotidien le plus plat. Plus de corps exaltés, tout calculer. A la recherche du temps où l'on était trop absorbé par le corps de l'autre pour penser à masquer les ouvertures. La vérité, je vous le dis, plus personne ne baise. On gère.

Yvain Logres

 

"Envoûtant. Cette faune qui guette dans l'obscurité, ce filament de convoitises sexuelles qui grésille en silence d'immeuble en immeuble. Tous ces types qui espionnent, tendus, cachés, comme pour une embuscade. Ces hommes qui veulent voir, se rassasier d'images. Ces corps imprenables, si près pourtant. Le souvenir de tous ces gestes de femmes seules. Ca fait combien de sexes aux abois, tout ça, dans une même rue ? Combien de masturbés entre dix heures et minuit ? Combien de centilitres de foutre éparpillés pour rien ?"

Louis Calaferte, Septentrion

 

PETIT JEU
POLITICO-GÉOGRAPHICO-RELIQUE

Dans quel pays du monde Sa Sainteté offrira-t-elle son dernier souffle ? "Elle" "n'est pas un surhomme" affirme le Vatican. Ouvrons les paris du "toujours malade jamais mourir" ! Ce jeu peut aussi s'appliquer pour Mère Teresa ...

 

GUERRE

"En l'espace d'une nuit, Coca-Cola s'est approprié plus de 80% des parts du marché vénézuélien des boissons gazeuses détenues jusqu'alors par son concurrent direct Pepsi-Cola. L'opération menée au pas de charge par la célèbre firme d'Atlanta s'est déroulée en deux temps. Vendredi soir (16/08/1996), Douglas Ivester, le numéro un de Coca-Cola, signait à Caracas, dans le plus grand secret, un accord avec le groupe vénézuélien Cisnéros, l'un des plus puissants consortiums d'Amérique latine, qui mettait en bouteille et distribuait depuis quarante-huit ans les produits Pepsi-Cola.

Dans la corbeille de ce mariage à la hussarde, Coca-Cola disposait aussitôt 500 millions de dollars (2,5 milliards de francs) destinés à développer ses activités au Venezuela et le groupe Cisnéros ses 18 usines de fabrication de boisson. Et dès le lendemain matin, Pepsi-Cola avait complètement disparu des commerces vénézuéliens pour être remplacé par les célèbres canettes de son rival, dont 250 millions d'unités avaient été acheminés à la hâte par avion spécial pour approvisionner le marché local, avant d'être fabriqué sur place dès les prochaines semaines. Dans la nuit, toute la flotte de camions du groupe Cisnéros, la façade de ses usines et les uniformes de ses employés avaient été 'retaillés' aux formes et aux couleurs de la firme d'Atlanta. 'Notre indice de pénétration n'atteignait même pas les 10%, a commenté Douglas Ivester, nous voilà maintenant à près de 90%. It's a good job'. Wall Street a d'ailleurs aussitôt réagi et les actions de Coca-Cola ont grimpé de près de 20% à la bourse de New York."

Libération, 20/08/1996

 

JE BANDE

Dieu n'est pas mort, il ré-suscite à chaque fois que je bande !

"Sed non potest resurgere nisi caro et spiritus solus ac purus"

Tertullien, De cultu Feminarum
Adrien Pwatt

 

Sprezzatura acerbo et mordace

"Amat ironias; quidem clam et risu mordet"

"Il aime les ironies puisqu'il ne mord qu'à la dérobée en riant"

Viperano

 

TRIPLE LANCERS

1) Nous lançons un appel à la vigilance et à la résistance contre tous les actes ou idées xénophobes, racistes, antisémites, révisionnistes.

2) Nous lançons un appel à la lutte contre la médiocrité et la mesquinerie qui s'infiltrent insidieusement partout.

3) Nous lançons un appel au jeu afin de laisser couler dans nos veines les soubresauts du rire, les frissons de l'ironie et les orgasmes de l'humour.

La Rédaction

 

IRRÉVÉRENCE

"J'aimerais bien savoir ce qui serait advenu si l'Europe tout entière avait été absolument archicatholique, s'il n'y avait pas eu de protestants qui sourient et apportent l'éveil aux hommes intelligents, s'il n'y avait plus de curés honteux, si tout avait continué comme il y a quelques siècles; le pape serait adoré comme un Dieu, sa merde serait estimée en carats et vendue."

Lichtenberg, Aphorismes, Troisième cahier 1775-1789)

 

"AFFAIRE CLASSÉE" ?
Lettre envoyée à Ironie

Sans Date
Nom : sans nom apparent
Adresse : sans adresse apparente
N° de l'affaire : sans numéro
Objet : sans objet

Nous avons appris avec regret la disparition prématurée de Mr Etienne Z. Ce grand mélomane a marqué l'histoire contemporaine de son empreinte indélébile. Bien que nous n'ayons jamais eu le plaisir de connaître, ni de voir, ni de savoir qui était monsieur Z., nous tenons à vous transmettre nos condoléances les plus sincères.

En ce qui concerne le décès de vos amis berlinois, nous avons appris qu'il s'agissait d'un crime crapuleux au sujet d'une somme de 2 DM due à son souteneur par Julietta S., qui se prostituait éhontément depuis plusieurs années, dans le but d'assouvir ses passions perverses.

En ce qui concerne vos identités, soyez assurés que nous en avons eu connaissance avant même que vous pensiez à écrire.

Nous vous prions à l'avenir de ne plus diffuser l'organe subversif "Ironie". Le non-respect de cet avertissement nous obligerait à prendre des mesures coercitives et restrictives à l'égard de votre publication, de vous-même ou de tout autre membre de votre organisation satanique.

Les Ondes

 

INCONSTANCE

"e sembla l malaveis/Trop sojornar et estar en un loc"

"c'est une maladie de séjourner et de rester trop longtemps dans un même lieu".

Peire Vidal, Poésies, XIIème siècle

 

IRONIE FAIT CORPS AVEC LA VOLONTE LUDIQUE DE JOUISSANCE

 

L'ART DE L'IRONIE

"L'ironie irrite. Non pas qu'elle se moque ou qu'elle attaque mais parce qu'elle nous prive des certitudes en dévoilant le monde comme ambiguïté."

Milan Kundera, L'art du roman


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