IRONIE numéro 7 (Novembre 1996)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> IRONIE numéro 7, Novembre 1996

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Ironie est la publication la plus libre du monde : nous travaillons à l'établissement conscient et individuel d'une nouvelle civilisation basée sur le plaisir et le jeu.
Vous avez la possibilité, lecteurs, de répondre à nos attaques et nos fous rires. Seulement, nous publierons uniquement les propos qui créeront chez nous un sentiment de révolte ou l'hilarité la plus profonde.

"Les citations sont utiles dans les périodes d'ignorance ou de croyances obscurantistes"

Guy Debord, Panégyrique

 

EPIGRAMME

Dans un monde d'experts et de spécialistes en tous genres, la diversité est une arme pour faire diversion et s'adonner en prime aux plaisirs de la curiosité.

Li D.

 

AÉRIEN

"La jeunesse et l'inexpérience rendent léger l'esprit de l'homme,
et égarent le cœur de bien des gens"

Théognis, Poèmes élégiaques

 

SPECTACLE

Le spectacle est un problème moderne incontournable. Debord est un des penseurs les plus lucides du XXème siècle. A côté, la merdiologie nerveuse du Docteur Debray se prend pour une science. Les diatribes périodiques des frères jumeaux des Editions Galilée, Virilio-Baudrillard, noient dans la vase les concepts qu'ils brassent. La pensée de Baudrillard se virtualise à force de redites faciles tandis que Virilio vrille autour du même axe sans jamais libérer son style bien trop laborieux. A quand un "cédérom" mettant en jeu ces penseurs de la virtualisation face aux combattants fiévreux et naïfs de l'espace-monde Internet ? Evitons de parler de Bourdieu, engoncé dans ses analyses socio-sociales, ses témoignages de banlieue qui font la joie des metteurs en scène de théâtre en mal d'inspiration. A contre-courant des mots banalisés et balisés, la puissance du style de Debord se situe dans son agilité, sa sûreté à ne pas écrire deux fois la même chose. L'allusion, la vivacité du latent prennent un essor fulgurant dans sa prose critique. L'écriture doit rester rare.

L'origine mythologique ou historique (les deux se confondent souvent) du ludique, du spectacle, nous éclaire sur la volonté d'asservir les spectateurs.

"Cette ruse des tyrans d'abêtir leurs sujets n'a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu'il se fut emparé de leur capitale et qu'il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s'étaient révoltés. Ils les eut bientôt réduits à l'obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d'y tenir une armée pour la maîtriser, il s'avisa d'un expédient admirable pour s'en assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s'y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n'eut plus à tirer l'épée contre les Lydiens. Ces misérables s'amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu'ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi."

Etienne de La Boétie, Discours sur la servitude volontaire

Cette conception de l'asservissement par le divertissement et son complément, le travail, se retrouve dans les préceptes du Docteur Pinel :

"Un mouvement récréatif ou un travail pénible arrête la divagation immense des aliénés, prévient les congestions vers la tête, rend la conformation plus uniforme, et prépare à un sommeil tranquille".

Doit-on accepter cet état de fait et se murer dans l'écriture du voyeur habile qui pointe du doigt la technique spectaculaire de l'asservissement généralisé ? Ou doit-on user un temps de l'arme de l'adversaire pour chuter avec lui dans la spirale de l'éclatement du jeu ? Faire du spectacle une saillie contre le spectacle ne peut se produire que s'il s'acoquine avec la surprise et l'agressivité de l'acte. Pouvons-nous détourner de son rôle originel le sens du spectacle ? Sa critique est périlleuse, exercice de haute-voltige qui consiste à rire et faire rire : impulser par contagion la nécessité de penser, de s'accomplir libre en quittant le stade passif du spectateur. Ou alors, faut-il décortiquer sérieusement le spectacle sans participer aux malins média avec la force pessimiste et salvatrice de ne point jouer le jeu ? D'un côté la pratique tonitruante qui frôle le ridicule, de l'autre celle plus discrète de l'être conscient qui refuse par l'écrit les images truquées. L'ironie est de tous les combats. Et le style qui l'évite attrape une pâleur maladive, une pauvreté affligeante. Et les sensations tombent à plat, et les reliefs s'effacent du paysage.

Le cinéma, le théâtre, les jeux de hasard, les cafés, les plaisirs sexuels sont des pièges pour ceux qui s'y engouffrent afin d'assouvir leurs frustrations. Les jeux télévisés sont les formes les plus barbares de l'abêtissement du peuple par l'appât du gain. Le cinéma bave des images mort-nées. La télévision s'est inspiré de lui et l'a aspiré. Aujourd'hui qu'elle a bien asservi les masses, c'est le cinéma qui s'inspire d'elle. Bras dessus, bras dessous, le con-cube-image
télévision/cinéma s'organise pour vendre du vide. Les cinéastes filment pour l'argent cathodique (Godard, Lars von Trier, Lynch ...); et dans ce tourbillon de la confusion, la météo et les jeux débilitants côtoient les critiques intégrées (vite oubliées) de certaines émissions. Le cinéma devient une annexe imbécile de la télévision.

En marge, le théâtre ouvre une forme plus violente du spectacle. Le corps est directement en jeu, en joue des regards sur une scène où les pensées se métamorphosent en lames. Le corps et la voix sculptent l'espace et font virevolter les apathiques ! Voyez le travail de Matthias Langhoff. Ceux qui usent de ces moyens spectaculaires pour penser et faire penser (violare pro violare) renversent la fonction originelle du spectacle. Tous les plaisirs et les jeux nés du désir touchent les nerfs de la jouissance et activent la pensée et le corps. Ils résistent contre l'asservissement des plaisirs et des jeux nés de la frustration qui empêchent le corps de jouir et la pensée de se mouvoir. "Je ris, je bois. Les plaisirs sont faits pour moi".

L'ironie sera généreuse et radieuse, libre et gratuite - Trinquons à l'ironie !

Lionel Dax

 

RUSES SPÉCTACULAIRES

"Bacchus dans son expédition des Indes, afin d'être reçu plus aisément dans les villes, ne marchait pas armé à découvert. Ses troupes étaient vêtues de robes légères et de peaux de cerfs. Les javelots étaient ombragés de lierre, et l'on ne voyait pas la pointe dont les thyrses étaient garnis. Les sonnettes et les tambours tenaient lieu de trompettes, et les ennemis domptés par le vin, ne s'occupaient que de la danse. En un mot, tous les mystères auxquels on a donné le nom d'orgies, ne sont qu'une représentation des ruses dont Bacchus s'était servi, pour assujettir les Indiens, et les autres peuples d'Asie."

Livre I, Chapitre I (Bacchus)

 

"Phalaris voulant désarmer les Agrigentins, fit publier qu'il donnerait au public hors de la ville, un spectacle magnifique d'athlètes. Mais pendant que tous les habitants étaient dehors, pour voir les jeux, il fit fermer les portes de la ville, et commanda à ses gardes d'enlever les armes de toutes les maisons".

Livre V, Chapitre I (Phalaris)

 

"Midas, sous prétexte de faire un sacrifice aux grands Dieux, fit sortir les Phrygiens la nuit avec des flûtes, des tambours, et des cymbales, et de plus chacun d'eux était armé secrètement d'une dague. Les habitants sortirent de leurs maisons pour voir le spectacle. Les Phrygiens tout en jouant de leurs tambours et de leurs cymbales, poignardèrent les spectateurs, et s'emparèrent de leurs maisons, qu'ils trouvèrent ouvertes, et établirent Midas Tyrien."

Livre VII, Chapitre V (Midas)
 
Polyen, Les ruses de guerre

 

XÉNIES

"L'oeil nu ne suffit pas à sonder la vermine;
seule la satire pénètre son intérieur."

Ludwig Feuerbach, Epigrammes satirico-théologiques

 

LES SAILLIES DU VIN

"Un peu de vin rend plus jolie,
Le vin donne de la saillie,
Le vin fait dire de bons mots
Et tenir de galants propos."

Charles Collé

"Les vendanges de la folie"
"Sans boire on ne peut rire;
Les sens sont froids et lourds;
Mais le bon vin inspire
Les plus piquants discours."

Armand Gouffé, "Versez toujours"

 

WITZVACITÉ

Le Witz est un jaillissement d'esprit ludique où l'individu s'exprime par de là tous les systèmes philosophiques. Il prend vie dans les fragments, paroles libres et ivres de penseurs ayant oublié l'ordre moral d'une construction. Les sens de saillir : avancer en formant un relief - (animaux) monter (sexuel) la femelle - s'élancer, jaillir - (litt) la saillie est un trait brillant et inattendu. Jouons en phase avec le rire jaculatoire et la surprise du texte :

Friedrich Schlegel, Fragments

 

RÉFLEXION D'UN POÈTE

"Mort-aux-rats (Il est assis à une table et s'apprête à composer) : Hélas, les pensées ... Les rimes sont bien là, mais les pensées, les pensées ! Je suis là à boire du café, à mâcher mes plumes, j'écris, je barre et je ne puis trouver la moindre pensée, pas la moindre ! Halte, halte ! Quelle est cette idée qui me passe par la tête ? Magnifique ! Divin ! C'est précisément sur la pensée que je n'en puis trouver la moindre, que je vais faire un sonnet et de fait cette pensée de l'absence de pensée est la plus géniale pensée qui me pouvait venir ! Pour ainsi dire, je fais un poème précisément de ce que je n'en puis faire ! Comme c'est piquant, comme c'est original ! (Il se précipite au miroir). Sur l'honneur, j'ai tout à fait l'air génial."

Christian Dietrich Grabbe, Plaisanterie, satire, ironie et sens plus profond

 

SANS NERF

Une jeune revue tente d'exister avec flagornerie à l'égard des pères, sans violence, à pas de velours. Voici le mou flambeau d'une génération limitée par la précédente. Leurs textes stupides oscillent entre une adolescence faible et une révolte frustrée, muée en une acceptation de l'ordre. Outre le refus du travail abrutissant que ces journalistes choyés fustigent, leurs idées sombrent dans une asthénie dite NRV, à juste titre privée de nerf.

A contrario, en lutte, Ironie met tous ses nerfs dans la bataille, du muscle, de la danse, le piment des secousses enjouées !

Yvain Logres

 


LE FER ENTRA PLUS PROFONDEMENT DANS LE VIF

Luisa Siega


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