![]() |
![]() |
![]() |
Tous les textes publiés dans Ironie peuvent être reproduits, imités, ou partiellement cités, sans la moindre indication d'origine.
"Notre façon ordinaire, c'est d'aller après les inclinations de notre appétit, à gauche, à dextre, contremont, contrebas, selon que le vent des occasions nous emporte. Nous ne pensons ce que nous voulons, et changeons comme cet animal qui prend la couleur du lieu où on le couche. Ce que nous avons à cette heure proposé, nous le changeons tantôt, et tantôt encore nous retournons sur nos pas; ce n'est que branle et inconstance."
"Diogène : Es-tu sûr d'avoir rendu toute l'ironie et la perspicacité de Socrate, ou même toute sa vertu ?
Platon : Je crois avoir pleinement montré sa vertu."
Vladimir Jankélévitch : Pourquoi es-tu venu me voir, me déranger d'entre les morts, alors que j'étais en conversation avec Socrate, inconnu impatient ?
Lionel Dax : Après la lecture de L'Ironie, je souhaitais confronter mes idées aux tiennes car il me semble qu'un texte écrit fige trop la pensée. La parole, le dialogue en l'occurrence, permet une joute, une réflexion plus profonde. Le texte respire à nouveau.
V. J. : Que veux-tu m'objectiver ?
L. D. : Vois comment tu commences ta démonstration, j'y vois déjà une confusion : "Il est une ironie élémentaire qui se confond avec la connaissance et qui est, comme l'art, fille du loisir. L'ironie, assurément, est bien trop morale pour être vraiment comique". A mon sens, l'ironie est immorale, voire amorale, comme doit l'être la/le sati(y)re. Et tout au long de ton ouvrage, tu ramènes l'ironie superbe à Socrate, préférant l'analyse et le sérieux d'un système philosophique à l'improvisation ...
V. J. : Oui, "Socrate reproche aux marchands d'Orvietan de mettre la charrue avant les boeufs, d'improviser là où il faudrait analyser", comme ce que tu es en train de faire. Je préfère Socrate à Diogène. "Diogène est pour ainsi dire un Socrate forcené, une espèce de chèvre-pied échappé de quelque cortège bachique. Le cynisme est souvent un moralisme déçu et une extrême ironie".
L. D. : C'est exact. Or ton livre met en ordre un moralisme accepté, une ironie un peu molle, juste assez mobile pour être légère mais qui se refuse toute ivresse et tout excès de chair dans les mots. Je pense que la limite de l'ironie se situe dans sa force d'inclure au sein de sa pertinence sa propre critique. Autrui reste désarmé, manquant d'argument pour contrer une idée qui se raille elle-même. Et ton livre procède du même acabit. Il est si truffé de paradoxes que j'y retrouve ma conception de l'ironie et celle que je rejette, cette ironie chrétienne, bourgeoise, assise qui est devenue le lot de beaucoup d'intellectuels résolus à ne plus lutter. Tu prônes l'ironique bonne conscience. Et quand tu affirmes,"l'ironie, anonyme chez Socrate, éprouve le besoin de se montrer hirsute, crasseuse et agressive; au lieu d'analyser les idées, elle préfère les aphorismes", j'embrasse plus la saleté inconvenante de Diogène que la barbe sâge de Socrate !
V. J. : L'ironie n'est pas "profonde" : "Qui trop embrasse mal étreint ... mais la conscience ironique ne désire pas étreindre : elle préfère papillonner d'anecdote en anecdote, de plaisir en plaisir, et goûter de tout sans se poser nulle part; elle sait la préface de toutes les passions, mais la préface seulement, car elle part toujours avant la fin : l'amour ironique, par exemple, est un éternel avant-propos, et qui joue avec les préliminaires sans s'engager à fond, et qui évite l'appassionato. Au lieu de se griser uniquement du même vin, au lieu de vider sa coupe, l'ironie préfère se composer une ivresse multicolore avec tous les alcools de la passion; de chaque philtre elle boit une gorgée, et elle est la première à s'amuser de ses
propres ivresses". "Dans ces ruses de l'ironie, on a déjà reconnu un talent propre à l'intelligence et que nous appellerons, d'un mot l'art d'effleurer."
L. D. : C'est cela même : l'ironie est libertine. Seulement, tu sembles réduire l'ironie à un chatouillement léger. Elle effleure mais souvent la pointe de son épée va au plus profond du corps de la société. Un amour libertin peut-il être profond ? Il arrive qu'une profondeur furtive, libre et puissante s'accomplisse dans l'éphémère et l'ivresse. Le papillonnage de l'ironie semble sans danger dans ta langue, car elle se joue de tout ... De temps en temps, elle perce et ça saigne.
V. J. : "L'ironiste ne veut pas être profond" par contre "l'ironie, c'est l'imprévu et le paradoxe", cela devrait te plaire ...
L. D. : Tu masques ton dégoût pour l'ironie percutante par la perfidie de ta démarche paradoxale et des phrases enjolivées qui charment n'importe quel ironiste. L'ironie est plus qu'une préface, qu'un avant-propos. Sous couvert de la rendre légère, sympathique, tu l'enfermes dans un concept réducteur d'inachévement, son aspect trop volage. L'ironie est le corps du texte ou d'une action, le cur. L'ironie se passe de préface, de postface. Quand l'ironie fait peur, quand le jeu porte en son sein du sérieux (il arrive parfois que le jeu avorte, mais cela ne le décourage pas), alors on tente, comme dans ta démonstration, de réduire sa portée. Trouve un autre argument ...
V. J. : "Le mal est comme le vice même, l'impasse". "Il y a des mots qu'il suffit de prononcer pour les rendre inoffensifs : le cynisme, en proférant le mal à haute voix, l'exorcise, car l'appeler par son nom, c'est déjà, en quelque sorte, l'envoûter. De la faiblesse de l'injure et la chasteté de l'obscène". "Il ne suffit pas, pour être outlaw, de porter un gilet rouge et de scandaliser les bourgeois. Comme l'esprit de contradiction n'est qu'une des formes de l'imitation, ainsi les grands gestes insurrectionnels dissimulent souvent les plus basses flagorneries, celles des inciviques et des capitulards. Ils ont beau trépigner, grimacer, jeter des bombes, ils n'arrivent pas à se délivrer de l'académisme; c'est que la révolution véritable n'est pas dans les violences de détail, dans les outrances verbales ou les blousons de cuir, mais dans la conversion profonde d'une volonté qui se refuse à l'ordre traditionnel".
L. D. : Tu n'as pas tout à fait tort, mais ce cynisme te monte à la tête ! Le mal, le bien; la bonne ironie, la mauvaise ... Quelle diatribe manichéiste ! Le bien m'ennuie autant que le mal.
V. J. : "L'ironiste ressemble à ces provocateurs qui, pour avoir joué leur rôle avec un peu trop d'ardeur, finissent par ne plus savoir eux-mêmes s'ils travaillent avec la police ou avec les
révolutionnaires : à force de manger à deux rateliers, ils perdent de vue le 'système de référence' et ils trompent tout le monde."; "L'ironiste, jouant double jeu, appartient à ce troupeau ambigu des menteurs sincères qui fait le désespoir du dogmatisme et qui est à mi-chemin entre l'illusion et la vérité, entre l'hypocrisie et la bonne foi."
L. D. : Où se trouve l'hypocrisie, vieux renard de la dialectique ? Jouer de l'hypocrisie, des masques, pour déjouer précisément une hypocrisie non assumée. D'accord, l'ironie rassemble les extrêmes moraux. Seule la modération est immorale portant en son sein la jouissance la plus élevée. Mieux vaut jouir de l'écriture dans l'excès du milieu que de se perdre dans le pathos des extrêmes. Je préfèrent tes phrases qui pulsent : "L'ironiste prend de l'altitude et se donne des panoramas d'aéronaute"; "l'ironie est une pudeur qui se sert, pour tamiser le secret, d'un rideau de plaisanteries"; "par ses interrogations indiscrètes elle ruine toute définition, ravive inlassablement le problématique en toute solution, dérange à tout moment la pontifiante pédanterie prête à s'installer dans une déduction satisfaite. L'ironie, c'est l'inquiétude et la vie inconfortable". En un mot, c'est l'éloge de la mobilité ...
V. J. : Sur l'ironie, j'ai d'autres critiques, jamais en reste ! Peut-être la manifestation évidente de la mienne. "L'ironiste, comme un forain, campe dans le provisoire de ses successives résidences. D'humeur pérégrine, il découche chaque nuit et s'en va sur les routes, tel le vagabond Eros, avec sa besace d'émigrant. La vie ironique est ainsi un perpétuel voyage de modalité en modalité et de catégorie en catégorie; elle n'a que des déterminations instables et des épithètes ambulantes. L'ironiste, le voyageur des voyages oniriques, est toujours un autre, toujours ailleurs, toujours plus tard."; "sa fugue est une recension de tous les masques, de tous les décors; et s'il est anonyme, c'est sans doute par excès de pseudonymes."
L. D. : Holà, ne t'emballe pas ! Tu craches encore sur le libertinage, l'inconstance de l'ironie. Tu t'englues dans des comparaisons, des définitions pour autopsier l'ironie beaucoup plus insaississable que tu ne crois ! Je rêve d'une Grande Ironie, où l'on trouvera les fragments de Schlegel, les pensées de Pascal, les aphorismes de Nietzsche, les jeux de mot de Pasquin, les épigrammes de Martial, les ruses de Sun Tzu, où se mêleront dans une orgie de rires en désordre la satire, le jeu, l'humour, la bouffonnerie, le cirque, la moquerie, le cynisme, le rire, la raillerie; je rêve d'une Grande Ironie qui ne serait pas attachée à une définition limitée ...
V. J. : De toute façon, cette conversation ne trouvera jamais sa conclusion, un accord, une théorie, un consensus entre deux individualités, car l'ironie est "toujours mobile et supérieurement imprévisible ! L'ironie est une de ces qualités qu'il est contradictoire de s'attribuer, parce qu'elles n'existent que selon la pure mobilité de la vie" ...
L. D. : N'en disons pas plus !
"Boire hypocras, a jour et a nuitee,
Rire, jouer, mignonner et baiser,
Et nu a nu, pour mieux des corps s'aiser"
Voix des sexes et des ruts, voix voilées, et j'écarte le voile
-1-
Conversation mystique d'un chasseur sachant se chausser
-2-
La peau lisse au cul
"Je n'aime pas à voir la belle Bordelaise
Dont la bouche à moustache est un con malgré lui.
Même quand elle suce on dirait qu'elle baise
Et pour peu qu'elle bave on croit qu'elle a joui."
Tout ce qui est profond est amusant - Je peux voir la vérité en farce