IRONIE numéro 114 - Juillet/août/septembre 2006

Voltaire

« Ce qui manque à notre génération, ce n’est ni un Mirabeau,
ni un Robespierre, ni un Bonaparte : c’est un Voltaire.
 »

Proudhon – Confession d’un révolutionnaire

« On ne saurait trop relire les ouvrages d’un tel homme. Je vous exhorte à les lire,
les eussiez-vous lus mille fois, car c’est toujours nouveau et toujours délicieux.
 »

Marquis de Sade – Lettres à sa femme

« Voltaire me fait jouir »

Céline

Ironie 114 – Dessin de Cézanne d'après le Voltaire de Houdon, vers 1885

Dessin de Cézanne d'après le Voltaire de Houdon, vers 1885

« Quelle merveille ! C’est la personnification de la malice. Les regards légèrement obliques semblent guetter quelque adversaire. Le nez pointu ressemble à celui d’un renard : il paraît se tirebouchonner pour flairer, de côté et d’autre, les abus et les ridicules ; on le voit palpiter. Et la bouche : quel chef-d’œuvre ! Elle est encadrée par deux sillons d’ironie. »

Rodin au Louvre, devant le buste de Voltaire de Houdon

Le cœur de la Bibliothèque

« De l’organe au symbole, ce fut une étrange et longue histoire.
Extrait du corps à l’autopsie (31 mai 1778), le cœur échut au marquis de Villette, chez qui Voltaire était mort. Ayant acquis de Mme Denis le château de Ferney en septembre 1778, Villette y fit aménager et décorer la chambre même de Voltaire, afin d’exposer le précieux reliquaire de vermeil – en forme de cœur. Dès 1780, les visiteurs de Ferney pouvaient ainsi se recueillir devant un mausolée pyramidal dressé dans la pièce, avec un petit autel détaché, et sur cet autel un coussin de velours où reposait la boîte. On grava une estampe de cette « chambre du cœur », et de ses quarante et un portraits accrochés aux murs, amis et adeptes du grand homme, veillant sur son souvenir. Revenu à Paris en 1783, Villette y rapporta le cœur. Le 11 juillet 1791, c’est pour honorer cette relique, devenue nationale en quelque sorte par un vote de l’Assemblée, que le cortège de la translation solennelle de la dépouille de Voltaire au Panthéon fit halte devant l’hôtel de Villette, sur le quai Voltaire inondé de fleurs, avec sur la façade pavoisée, en grande lettres, l’inscription même de la « chambre du cœur » : « Son esprit est partout et son cœur est ici. » Mais le fils de Villette, reniant son nom de naissance dûment déclaré de « Voltaire-Villette », devint sous la Restauration un royaliste ultra, et le resta, légitimiste nostalgique et même un peu conspirateur, jusqu’à sa mort sous le second empire (1859). L’ouverture de son testament causa un grand émoi : il léguait tous ses biens, cœur de Voltaire compris, au comte de Chambord… Heureusement, une loi de 1832 frappait le prince d’incapacité : la famille Villette contesta le legs, perdit son procès, fit appel et eut enfin gain de cause en cassation (1862). Les copartageants des biens Villette voulant écarter de leurs démêlés la vieille relique, se souvinrent opportunément du décret du 30 mars 1791 qui avait déclaré propriété de l’État la dépouille du philosophe : ils offrirent en 1864 le cœur de Voltaire à l’empereur Napoléon III, le don fut accepté et le cœur déposé à la bibliothèque impériale, aujourd’hui Bibliothèque nationale de France – où il se trouve encore, un peu oublié, scellé dans le socle du modèle en plâtre de la fameuse statue de Houdon : Voltaire assis. »

André Magnan – Inventaire Voltaire (1995)

« Nous n’avons rien trouvé d’extraordinaire »

« L’histoire post mortem du cerveau de Voltaire fait penser à un roman feuilleton, macabre et de mauvais goût. Après l’autopsie, pratiquée dans la nuit du 30 au 31 mai 1778, l’apothicaire Mitouart, qui procéda à l’embaumement, obtint de conserver le cervelet. Il fit durcir ce cerveau dans de l’alcool bouillant, pour le conserver ensuite dans de l’esprit-de-vin. Wagnière écrit dans ses Mémoires que « les chirurgiens se partagèrent la cervelle », mais la chose reste incertaine. Le fils Mitouart offrit à la République, le 14 mars 1799, le cervelet de Voltaire. On peut lire, en marge de sa lettre adressée au ministre de l’Intérieur : « Faire un rapport bien motivé ; proposer d’accepter l’offre et de placer le cervelet de Voltaire à la Bibliothèque nationale au milieu des productions de génie. » L’affaire n’eut pas de suite :c’est le cœur de Voltaire qui se trouve à la Bibliothèque nationale de France. Un employé du fils Mitouart, ayant acquis le cervelet de Voltaire, l’aurait ensuite vendu aux enchères – autre épisode obscur. La précieuse relique fut enfin remise en 1924 à la Comédie-Française, où elle se trouve encore. »

Didier Masseau – Inventaire Voltaire (1995)

« Le crâne ouvert, nous n’avons rien trouvé d’extraordinaire. »

Rapport de l’ouverture et embaumement du corps de M. de Voltaire,
fait le 30 mai 1778, en l’hôtel de M. le marquis de Villette

« Longtemps après, dans une société savante, on mit une petite portion de ce cerveau en contact avec la lumière d’une bougie ; elle s’enflamma et jeta de vives étincelles. »

Docteur Réveillé-Parise
Physiologie et hygiène des hommes livrés aux travaux de l’esprit (1839)

Étincelles

« La grande affaire et la seule, c’est de vivre heureux. »

« Vous assurez que je suis heureux. Vous ne vous trompez pas : je me crois le plus heureux des hommes ; mais il ne faut pas que je le dise : cela est trop cruel pour les autres. »

« Le public est une bête féroce : il faut l’enchaîner ou la fuir. Je n’ai point de chaînes pour elle, mais j’ai le secret de la retraite. »

« Le vulgaire sera toujours fanatique »

« Rejetons donc toute superstition afin de devenir plus humains ; mais en parlant contre le fanatisme, n’irritons point les fanatiques : ce sont des malades en délire qui veulent battre leurs médecins. Adoucissons leurs maux, ne les aigrissons jamais, et faisons couler goutte à goutte dans leur âme ce baume divin de la tolérance, qu’ils rejetteraient avec horreur si on le leur présentait à pleine coupe. »

« Je crois que la meilleure manière de tomber sur l’Infâme est de paraître n’avoir nulle envie de l’attaquer, de faire voir combien on nous a trompé en tout, combien ce qu’on nous a donné comme respectable est ridicule ; de laisser le lecteur tirer lui-même les conséquences. »

« Quelle suite infernale d’horribles assassinats, depuis la boucherie des Templiers jusqu’à la mort du chevalier de La Barre ! On croit lire l’histoire des sauvages ; on frémit un moment, et on va à l’opéra. »

« On a remarqué que presque tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux-arts les ont cultivés malgré leurs parents, et que la nature a toujours été en eux plus forte que l’éducation. »

« La meilleure satire qu’on puisse faire des mauvais poètes, c’est de donner d’excellents ouvrages. Molière et Despréaux n’avaient pas besoin d’y ajouter des injures. »

« J’entends parler beaucoup de liberté, mais je ne crois pas qu’il y ait eu en Europe un particulier qui s’en soit fait une comme la mienne. Suivra mon exemple qui voudra ou qui pourra. »

« Les chênes tombent, les roseaux demeurent. »

« Je vais me faire, pour mon instruction, un petit dictionnaire à l’usage des rois.
Mon ami signifie mon esclave.
Mon cher ami veut dire vous m’êtes plus qu’indifférent.
Entendez par je vous rendrai heureux : je vous souffrirai tant que j’aurai besoin de vous.
Soupez avec moi ce soir signifie : je me moquerai de vous ce soir.
Le dictionnaire peut être long ; c’est un article à mettre dans l’Encyclopédie. »

« Quiconque n’est pas animé est indigne de vivre. Je le compte au rang des morts. »

« Ce monde-ci est une guerre continuelle ; il faut être armé, mais la paix vaut mieux. »

« Je fais la guerre jusqu’au dernier moment.
Je reçois cent estocades : J’en rends deux cents et je ris. »

« Ceux qui cherchent des causes métaphysiques au rire ne sont pas gais. »

« Je crois que j’étais né plaisant, et que c’est dommage que je me sois adonné parfois au sérieux. »

« Point d’injure ; beaucoup d’ironie et de gaieté. Les injures révoltent ; l’ironie fait rentrer les gens en eux-mêmes, la gaieté désarme. »

« Il y a donc infiniment moins de mal sur la terre qu’on ne le dit et qu’on ne croit. Il y en a encore trop, sans doute : on voit des malheurs et des crimes horribles ; mais le plaisir de se plaindre et d’exagérer est si grand qu’à la moindre égratinure vous criez que la terre regorge de sang. Avez-vous été trompé, tous les hommes sont des parjures. Un esprit mélancolique qui a souffert une injustice voit l’univers couvert de damnés, comme un jeune voluptueux soupant avec sa dame, au sortir de l’Opéra, n’imagine pas qu’il y ait des infortunés. »

« Monsieur et cher ami, quoiqu’il y ait beaucoup de livres, croyez-moi, peu de gens lisent, et parmi ceux qui lisent, il y en a beaucoup qui ne se servent que de leurs yeux. »

Citations prélevées presque au hasard dans The Complete Works of Voltaire,
Oxford, The Voltaire Foundation (82 volumes)

Ironie 114 – Dessin de Cézanne d'après le Voltaire de Houdon, vers 1885

Ridicules du 19e siècle

« Les ennemis de Voltaire sont destinés à être toujours ridicules,
c’est une grâce de plus donnée par Dieu à ce grand homme.
 »

Gustave Flaubert – Correspondance (1878)

« Le vrai Voltaire, le voici : Insulteur du peuple, courtisan, insulteur de la France,
agioteur, négrier, et vivrier, insulteur de la vérité, insulteur des mœurs.
 »

Monseigneur Dupanloup – Lettre à Victor Hugo (1 juin 1878)

« Mme de Staël crédite Voltaire d’avoir détruit l’intolérance religieuse, mais c’est pour lui reprocher d’avoir utilisé les armes du ridicule au lieu de recourir au raisonnement ; moyen dangereux, s’il en est, car la plaisanterie « est un dissolvant général », reflet d’un climat d’insouciance que les républicains de 1793 ont voulu ensuite détruire par le « fanatisme ». La critique qu’inspire à Mme de Staël le comique du conte voltairien traduit la même crainte et le même scepticisme. Dans une République, ce genre littéraire n’est plus utile, car il suppose des institutions contraires à la raison, dont on puisse se moquer. Il devient même néfaste, puisque la plaisanterie risque de porter atteinte à la vertu et de déjouer la passion par le sang-froid. La condamnation de Voltaire conteur se fait plus pressante dans De l’Allemagne (1810). Certes, Mme de Staël attribue à l’auteur de Candide une légèreté piquante qui fait défaut aux conteurs allemands, mais, devançant Musset dans sa critique du « hideux sourire », elle dénonce « la gaieté infernale » et « le rire sardonique » qui empêche le cœur de s’ouvrir à la pitié. »

Didier Masseau – Inventaire Voltaire (1995)

« Il ne rit pas seulement, il ricane ; il y a un peu de tic, c’est le défaut. À la longue, on prend toujours la ride de son sourire. Se moquer est bien amusant ; mais ce n’est qu’un mince plaisir. »

Sainte-Beuve – Causeries du Lundi (1850-51)

« Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire
Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ?
Ton siècle était, dit-on, trop jeune pour te lire ;
Le nôtre doit te plaire, et tes hommes sont nés.
Il est tombé sur nous, cet édifice immense
Que de tes larges mains tu sapais nuit et jour.
La mort devait t’attendre avec impatience,
Pendant quatre-vingts ans que tu lui fis la cour ;
Vous devez vous aimer d’un infernal amour.
Ne quittes-tu jamais la couche nuptiale
Où vous vous embrassez dans les vers du tombeau,
Pour t’en aller tout seul promener ton front pâle
Dans un cloître désert ou dans un vieux château ?
 »

Alfred de Musset - Poésies

« Voltaire – Célèbre par son « rictus » épouvantable. Science superficielle. »

Gustave Flaubert – Dictionnaire des idées reçues

Voltaire/Rousseau

« Aux Délices, près de Genève, 30 août 1755

J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain ; je vous en remercie ; vous plairez aux hommes à qui vous dites leurs vérités, et vous ne les corrigerez pas. Vous peignez avec des couleurs bien vraies les horreurs de la société humaine dont l'ignorance et la faiblesse se promettent tant de douceurs. On n'a jamais tant employé d'esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre. Et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada, premièrement parce que les maladies auxquelles je suis condamné me rendent un médecin d'Europe nécessaire, secondement parce que la guerre est portée dans ce pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous. Je me borne à être un sauvage paisible dans la solitude que j'ai choisie auprès de votre patrie où vous devriez être. […] »

Voltaire à Rousseau

« À Paris le 10 septembre 1755

C'est à moi, Monsieur, de vous remercier à tous égards. En vous offrant l'ébauche de mes tristes rêveries, je n'ai point cru vous faire un présent digne de vous, mais m'acquitter d'un devoir et vous rendre un hommage que nous vous devons tous comme à notre chef. Sensible, d'ailleurs, à l'honneur que vous faites à ma patrie, je partage la reconnaissance de mes Concitoyens, et j'espère qu'elle ne fera qu'augmenter encore, lorsqu'ils auront profité des instructions que vous pouvez leur donner. Embellissez l'asile que vous avez choisi : éclairez un Peuple digne de vos leçons ; et, vous qui savez si bien peindre les vertus de la liberté, apprenez-nous à les chérir dans nos murs comme dans vos Ecrits. Tout ce qui vous approche doit apprendre de vous le chemin de la gloire. Vous voyez que je n'aspire pas à nous rétablir dans notre bêtise, quoique je regrette beaucoup, pour ma part, le peu que j'en ai perdu. À votre égard, Monsieur, ce retour serait un miracle, si grand à la fois et si nuisible, qu'il n'appartiendrait qu'à Dieu de le faire et qu'au Diable de le vouloir. Ne tentez donc pas de retomber à quatre pattes ; personne au monde n'y réussirait moins que vous. Vous nous redressez trop bien sur nos deux pieds pour cesser de vous tenir sur les vôtres. »

Réponse de Rousseau à Voltaire

« À propos de M. de Voltaire et de J. J. Rousseau, il faut conserver ici une anecdote qu’un témoin oculaire nous conta l’autre jour. Il s’était trouvé présent à Ferney le jour que M. de Voltaire reçut les « Lettres de la montagne » et qu’il y lut l’apostrophe qui le regarde ; et voilà son regard qui s’enflamme, ses yeux qui étincellent de fureur, tout son corps qui frémit et lui qui s’écrit avec une voix terrible : « Ah ! le scélérat ! Ah ! le monstre ! Il faut que je le fasse assommer… Oui, j’enverrai le faire assommer dans ses montagnes, entre les genoux de sa gouvernante. – Calmez-vous, lui dit notre homme, je sais que Rousseau se propose de vous faire une visite et qu’il viendra dans peu à Ferney. – Ah ! qu’il y vienne, répond M. de Voltaire. – Mais comment le recevrez-vous ? – Comment je le recevrai ? Je lui donnerai à souper, je le mettrai dans mon lit, je lui dirai : Voilà un bon souper ; ce lit est le meilleur de la maison ; faites-moi le plaisir d’accepter l’un et l’autre et d’être heureux chez moi. » Ce trait m’a fait un sensible plaisir : il peint M. de Voltaire mieux qu’il ne l’a jamais été ; il fait en deux lignes l’histoire de toute sa vie. »

Correspondance de Grimm – 1 janvier 1766

« Celui qui le persécutait avec le plus de cruauté et d’absurdité était un montagnard étranger, plus propre à ramoner des cheminées qu’à diriger des consciences. Cet homme, qui était très familier, écrivit cordialement au roi de France, de couronne à couronne : il le pria de lui faire le plaisir de chasser un vieillard de soixante et quinze ans, et très malade, de la propre maison qu’il avait fait bâtir, des champs qu’il avait fait défricher, et de l’arracher à cent familles qui ne subsistaient que par lui. Le roi trouva la proposition très malhonnête et peu chrétienne.

Le solitaire de Ferney étant malade, et n’ayant rien à faire, ne voulut se venger de cette petite manœuvre que par le plaisir de se faire donner l’extrême-onction par exploit, selon l’usage qui se pratiquait alors. Il se comporta comme ceux qu’on appelait jansénistes à Paris : il fit signifier par un huissier à son curé, nommé Gros (bon ivrogne, qui s’est tué depuis à force de boire), que ledit curé eût à le venir oindre dans sa chambre au 1er avril sans faute. Le curé vint, et lui remontra qu’il fallait d’abord commencer par la communion, et qu’ensuite il lui donnerait tant de saintes huiles qu’il voudrait. Le malade accepta la proposition; il se fit apporter la communion dans sa chambre le 1er avril ; et là, en présence de témoins, il déclara par-devant notaire qu’« il pardonnait à son calomniateur, qui avait tenté de le perdre, et qui n’avait pu y réussir. Le procès verbal en fut dressé. Il dit après cette cérémonie : « J’ai eu la satisfaction de mourir comme Guzman dans Alzire, et je m’en porte mieux. Les plaisants de Paris croiront que c’est un poisson d’avril. »

L’ennemi, un peu étonné de cette aventure, ne se piqua pas de l’imiter ; il ne pardonna point, et n’y sut autre chose que faire supposer une déclaration du malade, toute différente de celle qui était authentique, faite par-devant notaire, signée du testateur et des témoins, dûment légalisée et contrôlée. Deux faussaires rédigèrent donc, quinze jours après, une contre-profession de foi en patois savoyard ; mais on n’osa pas supporter le seing de celui auquel on avait eu la bêtise de l’attribuer. Voici la lettre que M. de Voltaire écrivit sur ce sujet : « Je ne sais point mauvais gré à ceux qui m’ont fait parler saintement dans un style si barbare et si impertinent. Ils ont pu mal exprimer mes sentiments véritables, ils ont pu redire dans leur jargon ce que j’ai publié si souvent en français ; ils n’en ont pas moins exprimé la substance de mes opinions. Je suis d’accord avec eux : je m’unis à leur foi : mon zèle éclairé seconde leur zèle ignorant ; je me recommande à leurs prières savoyardes. Je supplie humblement les pieux faussaires qui ont fait rédiger l’acte du 15 avril de vouloir bien considérer qu’il ne faut jamais faire d’actes faux en faveur de la vérité. Plus la religion catholique est vraie (comme tout le monde le sait), moins on doit mentir pour elle. Ces petites libertés trop communes autoriseraient d’autres impostures plus funestes : bientôt on se croirait permis de fabriquer de faux testaments, de fausses donations, de fausses accusations, pour la gloire de Dieu. De plus horribles falsifications ont été employées autrefois.

Quelques-uns de ces prétendus témoins ont avoué qu’ils avaient été subordonnés, mais qu’ils avaient cru bien faire. Ils ont signé qu’ils n’avaient menti qu’à bonne intention. Ces fraudes pieuses sont à la mode depuis environ seize cents ans. Mais quand cette bonne œuvre va jusqu’au crime de faux, on risque beaucoup dans ce monde, en attendant le royaume des cieux. »
Notre solitaire continua donc gaiement à faire un peu de bien quand il le pouvait, en se moquant de ceux qui faisait tristement du mal, et en fortifiant, souvent par des plaisanteries, les vérités les plus sérieuses. »

Voltaire – Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade (1776)

« Lyon, le 2 juin 1770

J’apprends, Monsieur, qu’on a formé le projet d’élever une statue à M. de Voltaire, et qu’on permet à tous ceux qui sont connus par quelque ouvrage imprimé de concourir à cette entreprise. J’ai payé assez cher le droit d’être admis à cet honneur pour oser y prétendre, et je vous supplie de vouloir bien interposer vos bons offices pour me faire inscrire au nombre des souscrivants. J’espère monsieur, que les bontés dont vous m’honorez, et l’occasion pour laquelle je m’en prévaux ici, vous feront aisément pardonner la liberté que je prends. Je vous salue, monsieur, très-humblement et de tout mon cœur. »

Rousseau à M. de La Tourette

Pigalle

« Le fameux sculpteur M. Pigalle travaillait dans Paris à la statue du solitaire caché dans Ferney. Ce fut une étrangère qui proposa un jour, en 1770, à quelques véritables gens de lettres de lui faire cette galanterie, pour le venger de tous les plats libelles et des calomnies ridicules que le fanatisme et la basse littérature ne cessaient d’accumuler contre lui. »

Voltaire – Commentaire historique sur les œuvres de l’auteur de la Henriade (1776)

Ironie 114 – Esquisse de Pigalle

Esquisse de Pigalle

Ironie 114 – Rodin, Victor Hugo nu (1901-1902)

Rodin – Victor Hugo nu (1901-1902)

Ironie 114 – Pigalle, Voltaire nu (1776)

Pigalle – Voltaire nu (1776)

« Le plus beau monument de Voltaire est celui qu’il s’est érigé lui-même : ses ouvrages.
Ils subsisteront plus longtemps que la basilique de Saint-Pierre, le Louvre, et tous ces bâtiments que la vanité consacre à l’éternité. On ne parlera plus français,
que Voltaire sera encore traduit dans la langue qui lui aura succédé.
 »

Lettre de Frédéric II de Prusse à M. d’Alembert – 28 juillet 1770

Fragments posthumes

Littératures

« Tout est devenu bien commun, tout est trouvé ; il ne s’agit que d’enchâsser. »

« Nous sommes venus tard en tout. Je l’ai dit et le redit. Regagnons le temps perdu. »

« Les Indiens commencent, dit-on, leurs livres par cette épigraphe : béni soit l’inventeur de l’écriture. »

« O grandeur des gens de lettres ! Qu’un premier commis fasse un mauvais livre, il est excellent ; que leur confrère en fasse un bon, il est honni. »

« Les calomniateurs sont comme le feu qui noircit le bois vert ne pouvant le brûler. »

« La plupart des livres sont comme les gazettes : ils ne valent plus rien l’ordinaire suivant. »

« Théâtre. Peu d’excellents ouvrages, beaucoup qu’on représente. »

« Il en est du théâtre comme de la guerre, il y a des généraux qui ont gagné des batailles sans se faire un nom. »

« À quoi sert la lecture, disait Louis XIV au duc de Vivonne. Sire, dit-il, à faire à l’esprit ce que font à mes joues les perdrix de votre majesté. »

« Un imitateur est un estomac ruiné qui rend l’aliment comme il le reçoit. »

« On pourrait (au moins poétiquement comparer), deux hommes puissants qui paraissent ennemis en public et qui en secret sont réunis, à deux arbres plantés à grande distance l’un de l’autre, mais dont les racines se joignent sous terre. »

« Vous voulez connaître le Dante. Les Italiens l’appellent divin ; mais c’est une divinité cachée ; peu de gens entendent ses oracles ; il a des commentateurs, c’est peut-être une raison de plus pour n’être pas compris. Sa réputation s’affermira toujours, parce qu’on ne le lit guère. Il y a de lui une vingtaine de traits qu’on sait par cœur : cela suffit pour s’épargner la peine d’examiner le reste. »

« Corneille dit toujours tout ce qu’il peut plutôt que ce qu’il doit. »

« Molière, Racine, Corneille dans leurs pièces enseignaient la France. Ils disaient ce qu’on ne savait pas, aujourd’hui quelque bien qu’on fasse, on ne dit que ce que nous savons. »

« La première édition del Furioso del Ariosto est de 1515, et la seconde de 1532, dix-sept années entre les deux. On rend tard justice. »

« Bon goût : Gracian loue cette pensée. »

« Un livre défendu est un feu sur lequel on veut marcher et qui jette au nez des étincelles. »

Langues

« Ce sont les bons livres qui font le mérite des langues. »

« Apprendre plusieurs langues, c’est l’affaire de peu d’années ; être éloquent dans la sienne, c’est l’affaire de toute la vie. »

« On sait sa langue comme la géographie. Les mots généraux ; on connaît les provinces, non les villages. »

« Les grammairiens sont pour les auteurs ce qu’un luthier est pour un musicien. »

« Les bêtes ont de l’instinct avec des cris ; et nous, nous avons de l’instinct avec des paroles. »

« Les paroles sont aux pensées ce que l’or est aux diamants ; il est nécessaire pour les enchâsser, mais il en faut peu. »

« De paradis on a fait ciel ; mais paradis signifiait jardin. De fosse on a fait enfer. On ne s’entend point depuis des siècles. »

« Pourquoi dit-on toujours, mon dieu et notre-dame ? »

« Braguette, de braye, bracca. On portait de longues braguettes détachées du haut de chausses, et souvent au fond de ces braguettes on mettait une orange qu’on présentait aux dames. Rabelais parle d’un beau livre intitulé De la dignité des braguettes – c’était la prérogative distinctive. »

Philosophie

« En ouvrages d’esprit, comme en mécanique, le temps augmente la force. »

« Pourquoi a-t-on persécuté les philosophes qui ne font ni ne peuvent faire de mal ? Parce qu’ils méprisent ce qu’on enseigne. »

« Deux métaphysiciens sont deux oiseaux de passage qui se rencontrent dans le vague de l’air, personne n’entend leur ramage, et les bœufs broutent sans les regarder. »

« Quand on a épuisé la métaphysique on revient aux idées communes comme la colombe qui rentra dans l’arche ne trouvant point où se reposer. »

« La critique est la dixième muse qui éclaire les neuf autres. »

« Toutes les pensées viennent des sensations. »

Les princes

« Les grands princes ont toujours aimé les lettres. Vauvenargues dit qu’il ne reste à ceux qui les négligent que ce qui est indigne d’être senti et d’être peint. »

« On exige la perfection dans un poète, dans un musicien, non dans un prince. Quelle honte ! »

« Celui qui brûle de l’ambition d’être édile, tribun, préteur, consul, dictateur, crie qu’il aime sa patrie, et il n’aime que lui-même. »

« On baisse les yeux, on s’anéantit devant le prodigieux mérite de ceux qui gouvernent, on approche d’eux et on est étonné de leur médiocrité. »

« Dissimuler : vertu de roi, et de femme de chambre. »

« Montesquieu dit : un sauvage veut un fruit, il coupe l’arbre, image du despotisme. C’est l’image de la folie et non de la puissance. »

« Denis le tyran traitait les philosophes comme des bouteilles de bon vin : tant qu’il y avait de la liqueur, il s’en servait ; n’y avait-il plus rien, il les cassait. Ainsi font tous les grands. »

« Le vainqueur attrape au petit pas les vaincus qui fuient au galop. »

« Il faut, dans le gouvernement, des bergers et des bouchers. »

« Quand les généraux de l’armée de Louis XII parurent près de Rome, le pape Alexandre VI leur envoya douze courtisanes. »

« Quand un prince est sot, tout le monde le devient. »

L’homme et les malheurs

« Dans les malheurs présents, dans l’espoir des plaisirs, / Les mortels abusés promènent leur folie. / De regrets en desseins, et d’erreurs en désirs, / Sans vivre un seul moment nous attendons la vie. / Demain, demain, dit-on, va combler tous nos vœux. / Ce jour vient et nous laisse encore plus malheureux. »

« Un chinois de quarante ans que sa vieille mère fouettait tous les jours, pleurait avec un de ses amis. Pourquoi pleurez-vous ? Hélas cela ne va plus comme autrefois, la bonne femme n’a plus le bras si ferme, elle se meurt. »

« Que l’homme est peu de chose ! On parle moins de lui après sa mort que d’une poularde : on dit du moins de celle-ci qu’elle est tendre et bien cuite. Qu’est-ce qu’un homme ? Un moment de bonté, de méchanceté, d’aigreur, de douceur, etc., etc., une balle de paume que le sort pousse. »

« Nous sommes esclaves au point que nous ne pouvons nous empêcher de nous croire libres. »

« Un malheureux qui se croit célèbre est consolé. »

« Nous traitons les hommes comme les lettres que nous recevons ; nous les lisons avec empressement, mais nous ne les relisons pas. »

« Nous sommes malheureux par ce qui nous manque, et point heureux par les choses que nous avons. Dormir etc, n’est point un bonheur, ne point dormir est insupportable. »

« L’homme est un animal inquiet, et cependant il ne peut souffrir qu’on l’inquiète. »

« Dans l’âge avancé, la sagesse est donnée pour cacher la décrépitude de l’esprit. »

« Les hommes parlent souvent très bien de ce qu’ils ne connaissent guère. »

« Les hommes sont comme les animaux, les gros mangent les petits et les petits les piquent. »

« Ceux qui ne prétendent à rien sont les juges de ceux qui prétendent. »

« Il est arrivé à l’âge de raison mais non pas à l’âge de discrétion. »

« Il semble que les hommes n’aient pu parvenir à la paix que par la guerre, et que les tempêtes soient nécessaires pour amener le calme. »

« Le malheur des autres doit vous consoler ? Mais, quand je suis heureux me dites vous, le bonheur des autres doit vous attrister ? »

L’homme et les bonheurs

« Il n’y a que les faibles qui fassent des crimes. Le puissant et l’heureux n’a pas besoin d’être méchant. »

« Dieu nous a donné le vivre, c’est à nous à nous donner le bien vivre. »

« La bonne compagnie est une république dispersée, dont on rencontre quelquefois des membres. »

« En venant au monde, on pleure et on réjouit, il faut rire en mourant et faire pleurer. »

« Mémoires de Sully. Il dit que si la raison et la justice peuvent être sur la terre, c’est plutôt dans un seul homme que dans une multitude d’hommes. »

« L’homme doit s’applaudir d’être frivole, s’il ne l’était pas, il sécherait de douleur en pensant qu’il est né pour un jour entre deux éternités, et pour souffrir onze heures au moins sur douze. »

« Si chacun était satisfait, personne ne travaillerait. »

« L’homme doit être content, dit-on ; mais de quoi ? »

« Cromwell disait qu’on n’allait jamais si loin que quand on ne savait plus où on allait. »

« Les hommes qui cherchent le bonheur sont comme des ivrognes qui ne peuvent trouver leur maison, mais qui savent qu’ils en ont une. »

Mœurs des temps

« Le maître à danser de Louis XIV avait 7600 livres par an, et le maître de mathématiques 1500. »

« Une seule fontaine à Versailles de l’aveu du roi coûtait 3 millions. »

« Nulle police, 40 mille mendiants dans la banlieue. »

« Usages – ils sont si forts qu’on crie l’heure en Allemagne parce qu’on la criait avant qu’il y eût des horloges. »

« 1684. Louis XIV se levait à huit heures et un quart.
Dès qu’il était habillé il travaillait avec ses ministres jusqu’à midi et demi. Ensuite il entendait une messe en musique. Au sortir de la messe, il allait chez Madame de Montespan puis dinaît dans l’antichambre de Madame la Dauphine.

Les gentilshommes servants le servaient. Monseigneur, Madame la Dauphine, Monsieur, Madame, Mademoiselle, Madame de Guise, quelquefois les princesses du sang mangeaient avec lui.

Après dîner il travaillait encore, à huit heures du soir allait chez Madame de Maintenon, de là souper, puis chez Madame de Maintenon jusqu’à minuit. »

« Tout s’oublie. Les intrigues de la cour de Henri le Grand furent l’entretien de la cour de Louis XIII. Sous Louis XIV on ne parlait que de la Régence. Tous ces petits événements s’anéantissent les uns par les autres. »

« Les pêches viennent de Perse ; les abricots d’Ibérie ; les cerises, de Cérasunte, au royaume de Pont ; les prunes, de Syrie ; les grenades, les oranges, d’Afrique ; la soie, de Chine ; le coton, le lin, d’Egypte. Presque tout ce qui sert aux agréments de la vie dans nos climats est transplanté. »

« Venise fut toujours libre, et Rome toujours asservie »

« On chantait à Rome sur le théâtre : Post mortem nihil est, ipsaque mors nihil est/Rien n’est après la mort, la mort même n’est rien. »

Anecdotes

« Chacun se croit quelque chose. Quand j’arrivai en Angleterre la femme d’un procureur se tua, et fit mettre dans les gazettes qu’elle protestait à la face de toute la terre qu’elle n’avait jamais couché qu’avec son clerc. »

« Descartes dans ses lettres. Que la reine de Suède était plus faite à l’image de dieu qu’une autre parce qu’elle faisait plus de choses à la fois. Qu’il veut renoncer à écrire puisqu’un Jésuite l’a accusé d’être pyrrhonien pour avoir écrit contre les pyrrhoniens, et un ministre d’être un athée pour avoir écrit contre les athées. »

« La reine Christine disait à Pimentel en voyant un tableau de la Vierge et du bambin : « Elle n’a eu qu’un fils ; et que de guerres en son occasion ! Si elle avait eu deux enfants, la terre serait dépeuplée. »

« Henry IV à Créteil, des procureurs lui refusent un poulet, il les fait fouetter. »

« Un provincial vint à Versailles ; il vit Louis XIV dans ses jardins : « Je l’ai vu », dit-il, « ce grand roi, qui se promenait lui-même ». »

« Bernier disait que l’abstinence des plaisirs est un péché. »

« Le lettré Ouang rencontre une jeune femme éplorée au bord de la mer, elle était sur le tombeau de son mari et remuait un grand éventail. « Pourquoi cet éventail, madame ? » « Hélas mon cher mari m’a fait promettre que je ne me remarierai que quand son tombeau serait sec, et je l’évente pour le sécher. » Ouang raconte cette histoire à sa femme qui frémit d’horreur et qui lui jure qu’elle ne se servira jamais de l’éventail. Ouang feint une maladie, et contrefait le mort. On le met au cercueil. Aussitôt paraît un jeune homme fort joli qui vient pour étudier chez le lettré, etc. Il plaît, on l’épouse. Il tombe en convulsion, son vieux valet fait accroire à la dame qu’il faut la cervelle d’un mort pour le guérir, et la bonne dame va fendre la tête à son mari Ouang qui sort de son tombeau. »

« Des astronomes observent des étoiles, un paysan dit : « Ils ont beau faire, ils n’en seront jamais plus près que nous. Ainsi des raisonneurs sur le bonheur. »

« Un curé disait à ses paroissiens accusés de l’avoir volé, Jésus Christ n’avait-il pas le diable au corps de s’incarner pour des canailles comme vous. »

« Le testament de Ruben admet sept sens dans l’homme au lieu de cinq, il les appelle esprits, souffles, et il ajoute aux cinq sens, ceux de la vie et du coït. »

Médecines générales

« On n’est ni malade, ni malheureux, ni vicieux, ni pauvre que par sa faute. »

« Ne trembles-tu pas de me saigner ? » disait monsieur le prince à un jeune chirurgien. « Pardi, monseigneur, c’est à vous de trembler ! »

« Les siècles se ressemblent-ils ? Non, pas plus que les différents âges de l’homme. Il y a des siècles de santé et de maladie. »

« Buvez, il vaut mieux hausser le coude que le ton. »

« Un médecin croit d’abord à toute la médecine ; un théologien à toute sa philosophie. Deviennent-ils savants ? ils ne croient plus rien : mais les malades croient, et meurent trompés. »

« Tout change. Nouvelles maladies, nouvelle nourriture. Deux cent millions de sucre avalés par an en Espagne ou en France ; chocolat, thé, café, vérole ; changement de constitution ; pays gouvernés par des malades ; aussi deux cent quarante mille livres à Versailles en gages de médecins. »

« Il est besoin que le peuple ignore beaucoup de vrai, et croit beaucoup de faux. »

« Il semble que les européens soient tous médecins. Tout le monde demande comment on se porte. »

« Apparitions. Fréquentes chez les cerveaux échauffés. Fantômes apparaissent aux malades. »

« Boileau disait de Charles Perrault : La preuve qu’il ne fut jamais mon médecin c’est que je suis encore en vie. »

Nouvelles en trois lignes

« Un homme éternue ; un chien épouvanté mord un âne ; l’âne renverse la faïence d’un pauvre homme ; la faïence renversée blesse un petit enfant. Procès. »

« 1673. Un Ecossais, nommé Jean Frazer, vint à Amsterdam pour mettre le feu à la flotte hollandaise, action qu’il l’eût immortalisé en Angleterre, et qui le fit expirer sur la roue en Hollande. »

« Le 22 septembre 1767 le feu prit au village de Fontenoi en Franche Comté, et avait déjà consumé quatre maisons, malgré les secours des habitants et même de ceux des villages voisins qui accouraient de toutes parts, lorsque M. Quemiret curé de cette paroisse au lieu de donner l’exemple du secours s’avisa d’aller sonner une bénédiction, alors tout le monde cessa de travailler pour aller l’entendre, et trois maisons qui restaient encore dans cette partie du village furent réduites en cendres. »

« Au mois de juin 1743, un janséniste s’est pendu, disant qu’il ressusciterait dans trois jours. C’est à Utrecht, le fait est certain. »

« A Londres, en 1749, un charlatan fait afficher qu’il fait entrer son corps tout entier dans une bouteille de six pintes, prend l’argent, et s’en va. »

« J’ai vu un Roselli, à la Haye, présenter requête pour être professeur de philosophie, ou pour tenir Café. »

« Valeario brûlé par l’ordre de Pie V sua du sang en allant au supplice. On le dit, mais cela est douteux. »

« Rieman, professeur de physique à Petersbourg, voulut électriser le tonnerre et en fut frappé 1753. Il y a des gens qu’on ne peut apprivoiser. »

« Aujourd’hui, 20 juin 1751, le professeur Sturff m’est venu apporter un poème allemand sur le messie. Je lui ai dit d’attendre que je reçusse un poème danois sur la sainte vierge, qui devait incessamment me parvenir. »

« Dans le Country journal du samedi 28 mars 1752, il y a un étrange chapitre sur le vendredi saint. Il est dit que si Adam n’avait pas mangé la pomme, les hommes auraient été immortels sur la terre, mais que le crime d’Adam leur a valu bien mieux puisque par Jésus Christ ils sont immortels dans le ciel. »

« Mai ou janvier 1758. Le Journal chrétien dit que Dieu permet que les femmes accouchent d’enfants morts afin que les limbes soient remplis. »

« La fille du médecin Young ayant appris la médecine de son père, s’habilla en homme ; et après avoir accouché, épousa deux femmes qui lui donnèrent chacune un enfant, qu’il voulut bien reconnaître. Il est fameux à Londres, le docteur Young. »

Plaisanteries

« Si la lumière vient des étoiles en 25 ans, Adam fut 25 ans sans en voir. »

« Sanderson aveugle né professeur de mathématiques à Cambridge a fait un beau traité d’optique. »

« Jean Craigg, mathématicien écossais, a calculé les probabilités pour la religion chrétienne ; il a trouvé qu’elle en a encore pour 1350 ans. Cela est honnête. »

« Dieu en langue péruvienne s’appelle Con. »

« Mon colonel, je suis las de piller. Je vais violer. »

« Si j’épouse ma tante je serai mon oncle. »

« Le coq eut bien tort de chanter (quand saint Pierre eut renié) en voyant une si grande poule mouillée. »

« Un écolier reprochait à Dagoumer en pleine classe qu’il avait fait un enfant à une fille. – Eh que voulais-tu que je lui fisse ? Un bœuf ? »

Femmes

« Le lit découvre tous les secrets : Nox nocti indicat scientiam. »

« Clitoris, Jupiter en fourmi pour y entrer. »

« Les femmes ressemblent aux girouettes ; quand elles se rouillent, elles se fixent. »

« Madame de Longueville à monsieur de C. : « Je viens de confesse, j’y ai été trois quarts d’heure et j’ai eu le plaisir de n’y parler que de vous. » »

« J’ai la copie d’un arrêt du parlement de Grenoble, en 1587, qui déclare que la dame d’Apremont a été engrossée en songeant à son mari, et qui rend légitime son fils né deux ans après que le mari avait été fait esclave à Alger. L’arrêt est rendu sur le rapport des sages-femmes, qui assurent que le cas leur est souvent arrivé.»

« Avez-vous couché avec votre sœur ? Pas encore. »

« Un aveugle des Quinze-vingts, enlevé pour aller faire un enfant à une femme dont le mari était impuissant, criait depuis ce temps-là à la porte de l’église : « Messieurs, n’y a-t-il plus personne qui ait besoin de moi ? » »

« Une dame disait : « A quel saint me conseillez-vous, mon révérend père, de m’adresser pour avoir des enfants ? » « Madame, je ne m’adresse jamais à d’autres pour les choses que je peux faire par moi-même. »

« Les filles nubiles à Rome, le premier jour d’avril, allaient au temple de Vénus se mettre toutes nues, et la prier de cacher leurs défauts aux maris qu’elles devaient avoir. »

« La fille d’un ministre de l’évangile, nommé Vautier, s’était laissée engrosser : le père s’en aperçut. « C’est l’esprit-saint qui m’a fait cet enfant », lui dit la jeune fille. « Oh ! Oh ! nous n’y serons pas attrapés deux fois », répondit le père. »

« « Pourquoi allez-vous à Rome ? » disait l’abbé Dulau à madame de Richelieu. « Pour f… ». « Eh ! madame, restez à Paris » « Ah ! mon ami, les romains sont toujours le premier peuple du monde. » »

Rêves

« Les rêves sont les intermèdes de la comédie que joue la raison humaine. Alors l’imagination se trouvant seule fait la parodie de la pièce que la raison jouait pendant le jour. »

« Jésus, Pierre et Judas n’ont qu’une oie à souper. Jésus dit, c’est trop peu, couchons nous, et celui qui aura fait le plus beau songe mangera l’oie. J’ai songé que j’étais dans le ciel à la droite de Dieu, dit Pierre. Et moi, dit Jésus, j’ai songé que tu étais à ma droite. Moi, dis Judas, j’ai songé que j’ai mangé l’oie. En effet le coquin l’avait mangé. »

« Les pensées combinées qu’on reçoit dans les rêves, prouvent qu’on les reçoit de même quand on est éveillé, et que tout se fait dans nous, plutôt que nous ne faisons. »

« Dans un rêve je récitais le 1er chant de la Henriade tout autrement qu’il n’est. Hier je révais qu’on nous disait des vers à souper. Quelqu’un prétendait qu’il y avait trop d’esprit. Je lui répondis que les vers étaient une fête qu’on donnait à l’âme, et qu’il fallait des ornements dans les fêtes. J’ai donc en rêvant dit des choses que j’aurais dites à peine dans la veille. J’ai donc eu des pensées réfléchies malgré moi et sans y avoir la moindre part. Je n’avais ni volonté ni liberté, et cependant je combinais des idées avec sagacité, et même avec quelque génie. Que suis-je donc sinon une machine ? »

Le péché des péchés

« Et malheureux prodigue, disait un avare à son fils, comment feras-tu quand tu auras tout dépensé ? Je ferai comme vous, je manquerai de tout. »

« Il n’y a point d’avare qui ne compte faire un jour une belle dépense : la mort vient et fait exécuter ses desseins par un héritier. »

« L’avarice est le partage de ceux qui n’ont pas de goût. S’ils aimaient les arts, les jardins, etc., ils achèteraient ces plaisirs : mais qui n’aime rien et qui s’aime doit aimer son argent, avec lequel on peut satisfaire toutes les fantaisies qu’on espère toujours avoir. »

« Les avares sont comme les mines d’or qui ne produisent ni fleurs ni feuillages. »

« Un vieillard avare, nommé Vernet, disait souvent : « On en veut toujours à nous autres pauvres riches. »

Superstitions

« Tout le monde crie, aimez la religion, fuyez la superstition, mais qu’est-ce que l’un et l’autre ? »

« On a beau prouver le mouvement de la terre, la nature de l’arc-en-ciel, l’impénétrabilité de la matière, etc., la foi ne subsiste pas moins. La découverte des antipodes n’a servi qu’à leur porter notre religion. »

« Amurath IV se donne des airs d’être muphti ; il permet le vin malgré le Coran et protège les cabarets ; personne ne murmura ; mais la dévotion a tout gâté depuis. »

« Turc, tu crois en dieu par Mahomet ; indien, par Fohi ; japonais, par Xaca, etc. Eh, misérable ! que ne crois-tu en dieu par toi-même. »

« Ici on est incrédule, tout est sage et tranquille. »

« Prières des pèlerins à la Mecque : « Mon dieu, délivre-nous des visages tristes. » »

« Quand les musulmans tuent un mouton, ils disent : « Je t’égorge au nom de dieu. » Devise des guerres civiles. »

« La religion est comme la monnaie : les hommes la prennent sans l’examiner. »

« Que cherchez-vous dans l’Ecriture sainte ? Un passage pour me sauver, dit Bassompierre. »

« Le père Malebranche apporte en preuve de la résurrection des hommes celle des insectes, des vers changés en mouches. Quelle preuve ! »

« Il se peut faire que nous devenions quelque chose après notre mort : une chenille se doute-t-elle qu’elle deviendra papillon ? »

« En 1745, les protestants des montagnes de la haute Silésie supplièrent le roi de Prusse de leur permettre d’égorger les catholiques. « Mais, s’ils me demandaient la même permission, leur dit le roi ? » « Oh ! cela est bien différent, répondirent-ils, nous sommes les vrais chrétiens ! »

« On peut connaître l’esprit de ce temps par les dialogues de saint Grégoire, et par la foule des miracles ridicules, mais ces miracles servirent à convertir beaucoup de paysans païens, les preuves étant proportionnées à leur entendement. »

« Un curé donna à une vieille un jeton d’ivoire pour une hostie. « Je crois, dit-elle, que vous m’avez donné le Père éternel, tant il est coriace – je ne peux l’avaler. »

« Monseigneur Cassini est de mes amis, il fera recommencer l’éclipse. »

« Au concile de Pise : défense de rire. »

« Fanatisme, enthousiasme parfait. Point de fanatiques en Chine chez les lettrés. »

« De la tolérance : si tu n’en as point, personne n’en aura pour toi. L’esprit d’intolérantisme est un symptôme de l’enthousiasme et l’enthousiasme est une folie. »

« J’ai vu toutes les sectes s’accuser d’impostures les unes les autres ; j’ai vu tous les mages disputer avec fureur du premier principe et de la dernière fin. Je les ai tous interrogés et je n’ai vu dans tous ces chefs de faction, qu’une opiniâtreté inflexible dans leurs sentiments ; un mépris superbe et une haine implacable pour les autres. J’ai donc résolu de n’en croire aucun, etc. »

Ces fragments posthumes sont tirés des Notebooks de Voltaire
Edition Theodore Besterman – Second edition revised and much enlarged
Genève : Institut et musée Voltaire – Toronto : University of Toronto press – 1968 (2 vol.)

Génie du cœur et Rire d’or

« Le génie du cœur qui force à se taire, à obéir tous les bruyants, les vaniteux, qui polit les âmes grossières et leur donne, nouveau désir, l’envie d’être lisses comme un miroir pour refléter le ciel profond… Le génie du cœur qui enseigne aux mains maladroites et impatientes le tact et la modération, qui devine les trésors cachés, la goutte de bonté et de délicatesse sous la glace épaisse et trouble, le génie du cœur, baguette magique qui révèle le moindre grain d’or enfoui dans la boue et le sable… Le génie du cœur que personne ne saurait toucher sans s’enrichir, non qu’on le quitte écrasé comme par des biens venant d’un autre, mais plus riche dans sa propre substance, plus neuf à soi qu’auparavant, débloqué, pénétré, surpris comme par un vent de dégel, plus incertain peut-être, plus délicat, plus fragile, plus brisé, mais plein d’espérances encore sans nom, plein de nouveaux vouloirs et de nouveaux courants, plein de nouveaux contre-vouloirs et de nouveaux contre-courants… »

Nietzsche – Par delà le bien et le mal (1886)

Ironie 114 – Voltaire

« Je serai tenté de classer les philosophes d’après la qualité de leur rire,
en plaçant en haut de l’échelle ceux qui sont capables du rire d’or.
 »

Nietzsche – Par delà le bien et le mal (1886)

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