IRONIE numéro 12 (Février 1997)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> IRONIE numéro 12, Février 1997

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LE MEILLEUR DES ONDES

"Lors d'un débat consacré au pouvoir de la presse, plusieurs participants au forum économique de Davos ont accusé les médias d'abuser de leur pouvoir, et de manquer de 'responsabilité sociale'. Dans la ligne de mire : les télévisions américaines, CNN notamment, et la presse en général accusée de privilégier les mauvaises nouvelles."

Libération, 06/02/1997

 

Une tendance réactionnaire vise à culpabiliser les télévisions les plus fallacieusement propagandistes afin qu'elles servent le mieux possible les intérêts économiques de notre temps. Trop de mauvaises nouvelles nuisent à la clarté uniforme du soleil capitaliste. La seule annonce des chiffres du chômage déjà truqués suffit à démoraliser une frange sérieuse de la population consommatrice. La dépression-gangrène gagne du terrain. Regardez les visages dans les rues, sentez ces queues molles inutiles et ces vagins esseulés qui rêvent de se toucher, de s'animer, mais qui s'évitent par peur de prendre leur temps. Tous les jours, voyez ces regards hagards qui passent à côté de la jouissance !

Alors, dans la nasse neurasthénique, les esprits se replient dans des cavernes exiguës, épargnant leurs petits soucis, et commencent à douter de la valeur exutoire de la frénésie marchande. Ces nouveaux troglodytes, sans se révolter, sans en avoir conscience, cassent le marché et installent la xénophobie au rang des vertus. Les média déjà manipulés qui relient le monde sauvage au quotidien le plus plat sont donc considérés par les puissants consortiums économiques et financiers comme des fauteurs de troubles ! Voir à ce sujet les déclarations intempestives de certains députés de droite virant à l'extrême comme Alain Griotteray ou Michel Péricard accusant les rédactions très ancrées à droite de France 2, France 3, et France-Info de faire l'apologie des idées gauchistes. L'ironie de la communication atteint son comble...

Jusqu'à présent, le spectacle de la mort, du sang, de la violence, agissait avec vigueur et titillait le voyeurisme de chacun. Nous vivions sur la planète du reality-show ! Seulement, le spectacle de la mort provoque de plus en plus un effet de saturation, d'écœurement, qui a culminé avec les faits divers croustillants autour de la pédophilie. Il convient de revenir à un spectacle épuré, des nouvelles lisses, optimistes, afin de renverser la vapeur dépressive des ondes. Cela pourrait contribuer à calmer les angoisses du lendemain et revitaliser les anciennes habitudes consommatrices. Soyez heureux et que rien ne vienne gâcher vos achats lubriques !

La télévision filtrera les scories négatives du monde et nous livrera un paysage doux et ensoleillé où les sourires des esprits vidés décanilleront toute pensée critique. Voici venu le temps du happy-show !

Ainsi la télévision se mue en simple aquarium hypnotiseur qui captera le maximum de regards perdus dans l'ennui. Sa fonction sera un interlude paradisiaque de virtualités abêtissantes. Les sculptures de Nam June Paik préfigurent ce monde où la télévision noiera le poisson de la révolte dans la fluidité apprivoisée des images.

Lionel Dax

 

FRIVOLITÉ DU MASQUE

"Nous sourions à part nous des mélancoliques du goût - ah, nous les envions encore en les raillant ! - car nous ne sommes pas assez heureux pour pouvoir nous accorder leur douce tristesse. Nous devons fuir jusqu'à l'ombre de la tristesse : notre enfer et nos ténèbres sont toujours proches de nous. Nous disposons d'un savoir que nous redoutons, avec lequel nous ne voulons pas rester seuls; nous avons une foi dont la charge nous fait trembler, dont le chuchotement nous fait pâlir - les incrédules nous semblent bienheureux. Nous nous détournons des spectacles tristes, nous fermons nos oreilles à la souffrance; la compassion nous briserait sur-le-champ, si nous ne savions pas nous endurcir. Reste vaillamment à nos côtés, frivolité railleuse : rafraîchis-nous, ô vent, toi qui courus sur les glaciers : nous ne voulons plus rien prendre à cœur, nous voulons prier le Masque."

Friedrich Nietzsche, Fragments (1886)

 

L'IMPACT : UN PACTE

Si la communication avait une théorie, ce serait celle de l'impact. L'image devient la munition principale des différents moyens de diffusion de l'information. Dans ce flot d'images-concepts, on recherche la puissance de l'impact et on la travaille. Toucher le regard provient d'une technique habile jouant sur l'optique, la palette des couleurs, les effleurements de l'iris ... Le choc prémédité des annonceurs publicitaires soulève l'indignation de certains spectateurs attachés à certaines valeurs. Les stratégies des tables rondes tournent autour de la réception : comment créer un impact fatal (voire au détriment de la marque industrielle vantée) sur une masse importante de la population ?

Qui ingurgite toutes sortes d'images se fait cobaye potentiel de la société publicitaire. Les répercutions des chocs qu'il a emmagasinés au cours d'une journée sont matière à discuter de l'impact qui se propage à une vitesse ahurissante : d'où l'intérêt des annonceurs publicitaires à marteler les ondes et à poser des affiches dans un temps très court. Ce martèlement vise un effet général, jouant de la surprise pour que tout le monde voie le phénomène et en parle à son tour - Alors l'impact réussit son implantation !

Les publicités qui usent de cette théorie montrent que les spectateurs du spectacle sont encore majoritairement attachés à des valeurs très traditionnelles. Ce travail permanent sur les tabous universels s'applique dans une forme hygiénique qui nous renvoie l'image réfrigérée d'une société malade des images. Pour l'impact, les créateurs cherchent des combinaisons inédites qui font taches dans l'univers uniforme des images banalisées ... L'image entre dans le domaine du hard comme le sexe se développe dans le porno ! Comment lutter contre ces impacts répétés ? Porter en permanence un gilet pare-balle mental contre les insanités frigides des messages publicitaires ?

Prendre la plume, se servir de l'épée de la phrase afin de résister par écrit, quitte à se voir traiter de traître vis-à-vis du monde moderne, de réactionnaire, de rétrograde ? Et lire, lire, lire, des mots, des mots, des mots, lire des textes essentiels qui transforment le temps en jouissance, alchimie secrète des mots qui accompagnent toute pensée...

Li D.

 

C'EST PROPRE, C'EST NET

Les utilisateurs d'Internet obéissent à une sorte de déontologie nommée Netiquette qui pose les jalons du bon fonctionnement du réseau. Quelques points de cette charte informatique présentée comme un code de bonne conduite affermissent l'idée que l'on construit des sociétés plates, horizontales, où le relief de la subversion est Nettoyé :

 

 

 

 

La Netiquette ou le savoir communiquer sur Internet
L'art de l'ironie entre de plein fouet dans la danse libre et exubérante de la cuisine des mots contre le despotisme de la philosophie froide d'Internet.

La Rédaction

 

- Elle est seule ?
- A part amants...

 

ALEXANDRIN

Le sexe peut sauver un immeuble bruyant

Adrien Pwatt

 

"JEUNES" CHÔMEURS, PARTEZ À L'ÉTRANGER...

"Chirac a pu voir qu'on proposait des emplois de boulangers en Belgique ou au Japon. Il a donc demandé à ses interlocuteurs s'ils comptaient s'expatrier : "Il ne faut pas en avoir peur. Les Français en règle générale, ne vont pas assez à l'étranger""

Libération, 28/01/1997.
Visite du Président de la République dans un espace qui offre la recherche d'emploi par Internet.

Si ce propos était ironique, voire cynique, on y verrait de l'intelligence. Mais là, il s'agit de la bêtise la plus évidente !

 

RÉSISTANCE

"Je n'écrirai pas de poème d'acquiescement"

René Char
, Feuillets d'Hypnos

 

JEUX DE LÈVRES

Quelle soie aux baumes de temps
Où la Chimère s'exténue
Vaut la torse et native nue
Que, hors de ton miroir, tu tends !

Les trous de drapeaux méditants
S'exaltent dans notre avenue :
Moi, j'ai ta chevelure nue
Pour enfouir mes yeux contents.

Non ! La bouche ne sera sûre
De rien goûter à sa morsure,
S'il ne fait, ton princier amant,

Dans la considérable touffe
Expirer, comme un diamant,
Le cri des Gloires qu'il étouffe.

Stéphane Mallarmé, Poésies

 

Dollar
Euro

 

L'ÂME ORGIAQUE DE LA FEMME

Je l'ai vu, son sourire alcyonien, ses yeux de miel,
tantôt profonds et voilés, tantôt verts et lascifs, tremblante surface,
lascive, sommeilleuse, tremblante, frémissante,
sourd la mer dans ses yeux...

Nietzsche, Fragments (1885)

 

"Toutes les idéologies, toutes les conceptions du monde sans exception,
se distinguent par leur intolérance."

Anonyme cité par Bohumil Hrabal, Tendre Barbare

 


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