IRONIE numéro 121 - Avril 2007

« Redouter l’ironie, c’est craindre la raison »

Sacha Guitry

À rebrousse-temps

Aujourd’hui, nous avons rajeuni de douze heures.

Jean-Pierre Le Goff nous avait donné rendez-vous devant le 10, rue Tiquetonne, dans le deuxième arrondissement de Paris, sous l’enseigne d’un chêne en bois d’épave. Cette enseigne sous laquelle on peut lire l’inscription A L’ARBRE A LIEGE, était peut-être celle d’un fabricant de bouchons. Au bout de quelques minutes, tous les participants attendus se rejoignirent, arrivant sous une petite pluie fine en ce 10 novembre 2002.

Mais d’abord, quelques mots d’explication. A partir de deux récits d’un livre de Jacques Yonnet, Enchantements sur Paris, l’un où il est question d’une horloge dont les aiguilles tournent à l’envers et permettent à leurs possesseurs de rajeunir, l’autre où l’auteur indique que l’enseigne de l’Arbre à liège se trouve sur le même méridien que celle du Vieux-Chêne au 69, rue Mouffetard et que ces deux points sont équidistants du centre de Paris, Jean-Pierre a imaginé de construire sur cet axe une horloge géographique dont la douzième heure correspondrait à l’enseigne de la rive droite et la sixième à celle de la rive gauche. Sur un plan de Paris, il a découpé la ville en secteurs de 30 degrés d’arc à partir du centre situé au pied de Notre-Dame, pour localiser sur la circonférence obtenue les autres heures. Il nous a proposé alors de remonter avec lui le cours des heures en sens inverse et de déposer à chaque étape autant de cartes d’un jeu de tarot que d’heures figurant au cadran dessiné sur le plan. Au terme du parcours, le jeu sera épuisé, car la somme des chiffres de 1 à 12 équivaut en effet au nombre des cartes du tarot, qui est de 78.

Nous nous retrouvâmes à huit en comptant le maître des cérémonies : un couple âgé, deux hommes, l’un d’une quarantaine d’années, Bruno, l’autre, nettement plus jeune, Théo, une jeune femme fort avenante, Bénédicte, que j’avais déjà rencontrée lors d’une autre intervention de Jean-Pierre (celle qui consistait à matérialiser le Milieu du monde au carrefour de la rue du Rendez-Vous et de l’avenue Michel-Bizot), et enfin Jill et moi. Jill me fit remarquer que là, sous la pluie, à dix heures du matin, nous avions l’air de parfaits anoraks, ces désœuvrés anglais dont toute l’occupation consiste à noter le numéro des trains qu’ils voient passer en gare. Cette observation, assez juste somme toute, me plaît beaucoup.

La cérémonie commence : Jean-Pierre sort un tarot de Marseille, et nous présente le jeu. Douze cartes, indiquant midi, doivent être tirées au sort. Comme nous sommes sept, cinq tireront deux cartes et deux une seule. C’est sur Jill et moi que tombe cette contrainte. Je tire l’Amoureux, et Jill un as solaire, qui nous fait immédiatement penser à un tournesol, fleur qui a une signification importante dans notre mythologie commune. Jill et Jean-Pierre s’amusent de ce que j’aie tiré l’Amoureux. Jean-Pierre dépose les cartes sur le pas de porte de la boutique qui a remplacé l’ancienne échoppe où l’on travaillait le liège; nous avions remarqué que derrière la vitrine est tendu un rideau sombre sur lequel est accroché un panneau portant en rouge l’inscription WONDER, c’est-à-dire merveille en anglais. On ne pouvait rêver plus juste coïncidence : la journée se présente donc sous les meilleurs auspices. Nous nous sentons aussitôt entraînés dans la spirale de l’enchantement.

Nous nous dirigeons ensuite vers le second point de notre remontée temporelle, marquant la onzième heure, localisée par Jean-Pierre à l’entrée de la Galerie Véro-Dodat. Nous descendons la rue Montorgueil, et je signale aux amis un porche où apparaît un croissant de lune couché sur un lit de nuages. Arrivés sur la place triangulaire qui est délimitée par la rue Jean-Jacques-Rousseau et la rue Croix-des-Petits-Champs, nous tirons nos cartes et les déposons à l’entrée de la galerie, près d’un arbuste en pot du Café de l’Époque. Je remarque qu’au-dessus de la galerie se trouvent dans deux niches deux statues de divinités grecques appuyées sur des troncs d’arbre. Le couple âgé prend congé et notre petite troupe réduite à six éléments continue son périple. Jean-Pierre m’explique que, dans le couple qui vient de nous quitter, la femme, Véronique, est sociologue et a écrit un livre où elle analyse les différentes sortes de rumeurs.

Nous prenons la rue Montesquieu, puis, devant le bâtiment qui longe la rue des Bons-Enfants, Jean-Pierre nous montre une fenêtre derrière laquelle il a travaillé pendant les dernières années de sa carrière au ministère des Finances. Il précise qu’à cet emplacement s’élevait la maison où habitait Gérard de Nerval juste avant de se pendre. Nous empruntons ensuite le passage Vérité. Je remarque que c’est la seule plaque du quartier à n’avoir pas reçu ces abominables sous-titres explicatifs qui contribuent beaucoup à la dépoétisation de l’espace urbain. Jean-Pierre en suggère un, qui pour le coup serait plutôt bienvenu : « sort de la bouche des enfants et se promène toute nue ». Dans la cour de Valois, donc sur la façade cour de ce même bâtiment où il a travaillé, il nous montre l’emplacement de la demeure occupée par la fameuse Vénus hottentote à la fin de sa courte vie.

Sortant du Palais-Royal, nous faisons un léger crochet en remontant la rue Honoré devant le Louvre des antiquaires pour admirer une demi-ellipse imprimée dans le granit d’une bordure de trottoir. Il ne reste plus qu’à trouver, pensé-je, la moitié qui lui correspond dans une bordure analogue. Puis nous reprenons notre chemin en direction du Louvre. En pénétrant dans le passage qui rejoint la rue de Rivoli à la cour Napoléon, Jean-Pierre nous montre la porte par où il se rendait au travail lorsque le ministère des Finances occupait encore une partie du Louvre. Il travaillait dans un réduit situé au quatrième étage sous les combles. Il rappelle que cette cour était plantée d’arbres et très peu fréquentée, et j’ajoute que j’y allais lire, notamment Les Chants de Maldodor pour ce dont je me souviens, quand je séchais les cours en première ou en terminale. Jean-Pierre évoque deux curieuses légendes courant sur cet endroit : l’une selon laquelle la cour Napoléon, originellement appelée cour La Fayette, appartiendrait aux États-Unis et serait territoire américain; l’autre, que certains opposants à l’érection de la pyramide auraient dénombré dans le monument de Ieoh-Ming Peï autant de triangles de verre que le chiffre de la bête, soit 666; mais il a constaté, en les dénombrant à son tour, que cette allégation n’était que pure invention farfelue.

Nous traversons la Seine au pont du Carrousel, puis déposons dix cartes sur le parapet du quai Malaquais, faisant ainsi une très brève incursion dans le septième arrondissement. Nous prenons ensuite la rue des Saints-Pères; traversant le boulevard Saint-Germain, je montre à mes amis l’enseigne de la boutique Crabtree & Evelyn, où j’ai coutume de me fournir en savon à barbe, et qui représente un pommier sauvage, selon la signification du mot crabtree en anglais; sur le boulevard je remarque une galerie Christian Béalu, expert en arts; comme je la signale à Jean-Pierre, celui-ci me renvoie aussitôt un calembour sur les Béalu qui ont la berlue. Enfin, par les rues du Dragon et Bernard-Palissy, nous atteignons la rue du Sabot où nous déposons neuf cartes devant un pub londonien fermé pour travaux. Jill tire le Mat, ou le fou.

Après avoir franchi la rue de Rennes, nous prenons la rue Madame, et presque arrivés à la hauteur de la rue de Vaugirard, nous remarquons, ô hasard objectif, deux boutiques d’horlogers se faisant face de chaque côté de la rue. Les photos que nous prenons alors attestent que nous n’avons point la berlue, même si, quelques mètres plus loin, nous longeons Le Pont traversé, la librairie que tenait avant sa mort Marcel Béalu lui-même !

Nous entrons dans le jardin du Luxembourg — une découverte pour Jill — et à peu près au milieu, en arrière de la pièce d’eau, nous déposons huit cartes sur un banc. Nous sortons par la rue Auguste-Comte et, au moment de franchir le boulevard Saint-Michel et de quitter le sixième arrondissement pour le cinquième, mes yeux se portent sur la façade de la librairie Armand Colin, décorée d’un grand bas-relief représentant l’emblème de cette vénérable maison — un arbre, évidemment. Laissant à notre gauche le monument immortalisant la dialectique de la fièvre et de la quinine, nous prenons la rue de l’Abbé-de-l’Épée, et Jean-Pierre s’arrête devant une porte entièrement murée, mais dont l’encadrement reste dessiné dans l’enceinte de l’Institut national des jeunes sourds. Il suggère d’y fixer une poignée et se rappelle une fausse porte similaire qu’il a repérée dans quelque ville de province, et où s’ouvrait une entrée de boîte aux lettres en cuivre soigneusement entretenue. J’avance alors qu’il s’agissait sans doute de la résidence secondaire du passe-muraille. Bientôt nous arrivons à l’angle de la rue Saint-Jacques et de la rue des Feuillantines, devant la brasserie de l’Étoile, où nous déposons sept cartes. Nous sommes quelque peu déçus de ne point voir tirer le dix-septième arcane à ce moment-là.

La pluie reprend avec une certaine intensité et nous convenons qu’il serait opportun de faire une pause pour le déjeuner. Mais nous savions tous que notre sixième destination, le chêne en bois d’épave diamétralement opposé sur le cercle de notre parcours à celui de la rue Tiquetonne, se trouvait au 69 rue Mouffetard, ce qui nous assurait de trouver table ouverte en ce dimanche, mais nous inquiétait sur la qualité de la pitance proposée. Cependant Bénédicte affirma connaître dans ce quartier des restaurants acceptables. Parvenus à destination, nous tirâmes les six cartes, et Jill eut en main l’Étoile, ce qui compensa largement notre déception antérieure, puisque cette carte qui symbolise le mouvement de la création et la matérialisation des désirs apparaissait à mi-parcours1. Bénédicte nous emmena déjeuner au Pot de Terre, rue du Pot-de-Fer, où l’on propose un menu bon marché. Au moment du dessert, mon choix se porte sur le far breton, et Jean-Pierre nous apprend que farz veut dire soupe, mais une soupe si épaisse que la cuillère que l’on y plonge doit se maintenir droite. Au moment de quitter les lieux, je remarque une reproduction d’une belle affiche de la Commune de Paris datant de l’an II, sur la répression de la falsification des vins par les tenanciers de débits de boissons et enjoignant aux commissaires de chaque section d’aller goûter, accompagnés d’« hommes de l’art » les vins proposés par les cabaretiers. Voilà une saine mesure, me dis-je, qu’il serait bon d’appliquer aujourd’hui, pour toutes sortes d’aliments. En repassant devant le 69, de la rue Mouffetard, nous constatons que les cartes sont restées intactes et n’ont pas suscité la convoitise des passants.

Nous partons pour notre dernière étape sur la rive gauche située dans le Jardin des Plantes. En chemin, nous saluons, rue Larrey, la maison qu’habita Marcel Duchamp et, sur le trottoir d’en face, le magasin MARCEL MOTOS ! C’est entre la Galerie de minéralogie et la Galerie de botanique que nous disposons sur une curieuse table ronde en pierre2 les cinq cartes que nous tirons alors. Je tire la treizième, l’Arcane sans nom ou la Mort. Nous évoquons non sans humour noir le sniper de Washington, qui avait laissé cette carte après l’un de ses crimes. Un couple avec un enfant remarque notre manège. Le père hausse les épaules et entraîne son gamin loin de nous.

Nous traversons la Seine par le pont d’Austerlitz : brève incursion dans le douzième arrondissement. Jill est intriguée par les voies du métro aérien qui surgissent sur le quai de la Rapée. Nous prenons le pont Morland sur le canal, puis descendons près de l’écluse. Nous disposons quatre cartes sur les marches de la petite bâtisse de l’éclusier, aujourd’hui désaffectée, semble-t-il. Nous franchissons l’écluse, longeons le port de l’Arsenal où, parmi les yachts amarrés, Théo remarque The Best of times, qu’aussitôt ceux qui sont armés d’appareils prennent en photo. Nous traversons la place de la Bastille, et j’évoque pour Jill les Trois Glorieuses et l’éléphant de Gavroche. Rue Jacques-Cœur, à côté de l’excellente librairie 1789, devant le rideau de fer d’une boutique dénommée Or & Change, nous déposons trois cartes. Alchimie des noms et des lieux.

Notre périple touche à sa fin. Alors que la pluie reprend, nous nous engageons dans la rue des Tournelles, puis, passant dans le troisième arrondissement, arrivons rue Villehardouin où, après le coude, nous déposons deux cartes. Peu après survient une femme qui dérobe l’une d’elles. Quelques instants plus tard, elle entrera dans l’église Saint-Denys du Saint-Sacrement, rue de Turenne : nous imaginons qu’elle brûlera cette émanation de la magie et du satanisme à la flamme d’un cierge. Nous tournons ensuite dans la rue du Poitou, où mon regard s’accroche à une enclume et deux paires de pinces qui constituent les poignées de porte d’une boutique de quincaillerie en gros. Puis Jill repère sur un mur trois gros cadrans : un thermomètre, un baromètre et un hygromètre, qu’elle prend en photo. Nous atteignons notre avant-dernière étape, où nous ne déposerons qu’une seule carte, rue Pastourelle. Il y a à cet endroit une cabine téléphonique. Jean-Pierre décide de laisser la carte dans la cabine. Il se fait prendre en photo en tentant d’introduire la lame de tarot dans l’appareil comme s’il s’agissait d’une carte téléphone.

En suivant la rue des Gravilliers, nous parvenons rue Turbigo, puis rue Tiquetonne. Là, nous constatons que, sur les douze cartes, cinq ont disparu. Parmi les cartes restantes, on reconnaît la Maison-Dieu et l’Amoureux.

Avant de nous séparer, nous décidons de prendre un verre dans un café. Je propose d’aller à la Grappe d’Orgueil. Malheureusement le bar est fermé. À l’angle de la rue Saint-Sauveur, Jean-Pierre me montre une de ces plaques mystérieuses qui fleurissent depuis quelques mois sur les murs de Paris, et où l’on peut lire : Karima Bentiffa, fonctionnaire, a vécu dans cette maison de 1984 à 1989; ce qui ne manque pas de sel quand on sait que rue de Belleville est apposée une plaque identique. Mais après tout, Paris est une ville où l’on peut vivre plusieurs vies, et pourquoi pas dans deux lieux différents.

Comme les bars ferment les uns après les autres, nous devons nous replier sur le Rocher de Cancale. La seule table libre est située juste en face d’une de ces grosses horloges de marque Lepaute qui ornaient la plupart des quais de gare il y a encore peu d’années et qui finit sa carrière, les aiguilles obstinément arrêtées sur 5 heures, comme élément de décor d’un café branché. À nos montres, il est 4 h 10. Notre périple aura duré six heures, que nous avons parcourues à rebours. Nous sommes donc au petit matin, et le vin chaud que je bois est un vin de jeunesse.

Joël GAYRAUD, 10 novembre 2002

(1) Comme l’axe vertical des arcanes majeurs du tarot est formé par l’Amoureux et par l’Etoile, le fait que ces deux cartes fussent apparues selon l’axe même de notre parcours faisait surgir du hasard un ordre nécessaire. Que la première ait été tirée par moi, la seconde par Jill, montrait que cette opération divinatoire était catalysée par l’amour qui nous unit.

(2) J’ai omis de dire qu’il s’agissait de la célèbre Table de Plaisanterie, du nom de son inventeur, une jument douée de remarquables facultés cryptesthésiques. Alors qu’elle trottait en forêt de Chantilly, Plaisanterie s’arrêta net et ne voulut plus repartir avant qu’on eût creusé le sol et découvert à deux mètres sous terre une mystérieuse table en calcaire d’environ un mètre de rayon et pesant plus de deux tonnes.

Impressions de Paris

Soleil de novembre, berges folles… Quelques faux Sphinx crachent une eau longue. Des femmes s’ennuient, parlent sans discontinuer, occupées à fuir l’éventuel d’un frisson. L’affairement est un choix, une prison, une mode.

Je traverse la Seine, jour de brouillard brillant, et rejoins une amie au bout du pont. Leçon de musique sur les quais.

Matin de pluie fine, la ville pâle. Les ombres s’activent, enfer plat des artères. Elles rêvent d’un repos uniforme, d’un calcul cloné, d’une assurance létale, d’une épargne temps. Dans la bataille, il y a peu d’hommes qui s’accordent à l’éclair, qui tentent le temps.

Au Compas d’or, jambes rieuses, musiques des feuilles, une grappe de raisin dans la main, offerte à ta bouche. Baiser du muscat, sourire violet de l’amour, mutinerie délicieuse de ta langue.

Je prends mes habits de souplesse, je fonce vers le Pont-Neuf – superbes mouettes – cris sur Seine – pointe de cette place j’avance seul – il convient de ne pas se laisser prendre au flux circonvenu convenu venu du monde.

Plus rien de dangereux ce matin – le soleil a refait son apparition – j’ai revu mon spectre, les yeux épuisés – rien de dangereux – une accalmie urbaine, le bruit lancinant des fontaines, quelques rires d’enfants – le marché aux légumes léthargie – le sourire d’une amie, le vieil homme tirait sur son cigare dos à l’église Saint Médard – une énergie d’été en hiver – il est vrai que le sablier des saisons se remplit de lumière.

Quand elle est arrivée pluie verglacée elle avait ce ciré jaune des tempêtes, une harmonie rose sur les joues, la précision du sourire marin, brune parfaite en séduction imperceptible des yeux – flottement de l’environnement, café Sarah Bernhardt, théâtre de la ville, danse urbaine du charme, serpent qui flanche avalanche, langue en sarabande et puis acte. Acte d’amour en lucide envol – en gloire de jouir – ses hanches en mes paumes, l’instant en ivresse vallon de son ventre – je tiens la grâce en son baiser.

Aujourd’hui le soleil est de brique – je suis en face de l’Abbaye et je pense au magicien d’or à ses secrets de cave laboratoire du croire et à ses trésors enfouis ailleurs jamais on ne saura où – partout, l’or inventé des fous, le fantasme Midas, l’or envoûte, l’abbé au diable de Rennes-le-Château – caracolent le délire et la foire des hommes, le temps à vide dès lors que l’être se fait avoir pour mieux apparaître en roi de société – je m’endors poudre d’or sur les pistes du luxe – je rêve d’un hors monde, d’un autre sort encore inconnu – good luck ma roue – et cela arrive en splendeurs – alors le corps s’écrit en chants successifs comme si la narration s’était noyée évanouie avait disparue et la vie devient éclats éclairs éclaircies en roulé-boulé en tohu-bohu en sauts périlleux s’attachant au rythme des jours à la danse improvisée des heures.

Je suis devant le tableau au Louvre – il embrase tout – un couple de femmes s’enlace au premier plan sur un nuage léger – l’une se caresse sans concession – je me rappelle Eve à San Cassiano, à droite de la musique résurrection, de l’orgue soleil des anges : sortir des Limbes avec la même caresse – au-dessus, c’est vapeurs d’illuminations – jaune et rose avec des espaces bleu azur.

J’ai traversé la ville à toute allure car j’aime saisir d’un trait la géographie de Paris – halte sur les quais tant Paris se comprend au niveau de son lit rythmé en variations – je me suis arrêté Chez Jeannette, au cœur du faubourg Saint-Denis pour lire les Mémoires sur Louis XI – je me souviens d’avoir pris un café après une répétition au conservatoire d’art dramatique.

Ce matin, un éclair, une toile de Matisse, une femme en soleil, les seins abricot, une toile de 1906 après son retour de Corse – l’éclat du midi sur la nue surprise – ce midi-ci sur les quais de l’Arsenal, les femmes en tailleur cherchent le soleil, des terrasses lunettes de soleil, un lieu éclairé par le Projecteur – stars de rue, le rose s’expose – mode rose, esprit rose du printemps petite fille culotte – les voitures défilent en robes grises, processions urbaines continuelles.

J’enregistre les instants de vraie liberté dans les villes et en contrepoint noir les terreurs appliquées de l’humanité chétive.

Nuages sur les cités – rectangles blancs sur fond gris – ça se déverse humains en cascade – une foule houle brutale – pousse-toi, dare-dare, gare à toi – valises voyages piétinements successifs – dépêche-toi, cours, tu vas le rater – les aiguilleurs, les réseaux ne se préoccupent jamais de ton retard, de ta brouille hasardeuse avec le temps des machines – la masse est une armée inconsciente, perdue, déconstruite par le refus de la passion – en avant toujours les sacs en bandoulière, les provisions prêtes – une vacuité de l’espace ressentie comme hostile à une nouvelle disposition du plan – une proposition poétique du temps qui renverserait la crise du lieu vécu – dénicher déjà les décors favorables au déploiement illimité de passions inédites.

Je suis dans un autre Paris – j’ai seize ans – la haie d’arbustes dissimule sur le quai Notre-Dame – la bouteille de Get 27 pour une partie de la nuit à lire près de l’eau, à converser hors temps du temps en train de se jouer, des textes en présence, de nos corps amoureux et ivres, prêt à glisser dans la Seine ouverte – parce que tout est jeu Montesquieu – déjà l’idée que le texte est en nous, qu’il ne quittera pas nos corps en révolte belle – mais un jour l’un de nous s’est noyé, très écorché, saint Sébastien aux hospices. Maintenant, là, un petit bateau fend les eaux du port de l’Arsenal – sa fumée est effet d’orgue – j’entends un air révolutionnaire.

Cette nuit, des oiseaux dans les parkings – ivre vers la voiture, les haut-parleurs sur des pylônes perchés diffusent l’ambiance campagne en plein béton – ce spectacle est l’indice le plus parfait de nos sociétés téléguidées – les voitures rossignols du bitume chantent dans les sous-sols des villes.

Jour de feu – femmes libres aux pieds des bureaux Bercy-Bibliothèque – des lèvres comme dans un film abrupt.

La philosophie entretient un étrange commerce avec Mallarmé – aujourd’hui jour soleil à Paris – vélo vers la Seine – echos of mirrors – je me souviens l’été ce matelas sous la charpente de la Sainte Chapelle – les amours guidées sous les carillons – et respirer ensuite dos aux gargouilles l’air des hauteurs les torses nus sur la flèche – girouettes érotiques.

Le Mistral est un café béni des dieux – jeunes filles alertes – allez-y – aux bords des quais ville ouverte vers la pointe de la Cité et la miss Eiffel en hic – les théâtres opéra danse et le ballet mécanique incessant de Paris – le corps s’écrit en texte inattendu – laissez venir à moi les petits cris de joie glissades des mains – rendre au monde son énigme par la simplicité d’un geste.

Mosquée de Paris – soleil d’Afrique – précisions du corps en promenade du jour – temps silencieux de l’écriture en secret – à jamais invisible ce temps du corps enfui aux autres où se joue la rencontre – je dévoile des Vénus endormies au toucher près du jouir entre rêve et éveil – à côté de moi, je sens la gêne des femmes au voile – ce drôle de problème de la toison femme, des poils des cheveux – l’attrait des cheveux, sa consonance érotique évidente – celle du Titien en fleuve de mèches – il y aurait là, un danger sous le voile.

Femme en robe noire d’été cet après-midi sur la Butte-aux-Cailles – soleil sur ses cheveux châtains – Je pense aux Italiennes.

Au soleil, après la misère de la Structure – un art de vivre sur ce boulevard, une paresse de guerre.

Le Louvre, antiquités orientales – « Que l’initié instruise l’initié, le profane ne doit pas voir ! » – « Les princes sont engourdis par le sommeil, les gens bruyants sont devenus silencieux, les dieux du pays, les déesses du pays, sont rentrés se coucher dans les cieux ; la nuit a mis son voile, le palais est endormi, les steppes sont silencieuses, celui qui chemine prie son dieu." » – Vieux proverbe hollandais : « Vóór herberg, achter bordeel », « Par devant une auberge, par derrière un bordel » – « Scène de bordel » de Frans van Mieris (1635-1681) : la courtisane sert du vin à un soldat, son corps-sage à demi délacé laisse entrevoir le sommet de ses seins – « éléphants de douceur » – amor docet musicam – les fontaines d’Hubert Robert – les gouttes d’eau pendant léger à l’architecture – pierre et eau : Rome.

6 heures – le Commerce ouvre ses portes – bientôt une banque au coin – mouvement imperceptible au nombre mais significatif d’un rythme latent, celui de la séparation et de la spéculation marchande.

Un détenu d’une prison française fracasse la tête de son co-détenu, en retire la cervelle en sang pour la manger crue – déchirer le cortex et bouffer la substance molle des connexions. Et moi, là, dans le café de la rue Pascal devant la serveuse en bustier noir qui remplit les salières – elle a le visage rond des modèles de Vermeer, me sourit longtemps, piercing brillant sur l’arête gauche du nez – mouvements de tête – peintures du maintenant – perles des instants – elle plie son tablier, libre ce soir.

Aujourd’hui nus – amours chuchotées – louve secrète des jouissances sans hic – l’étrangère dans mes bras – la lumière fait sa sieste – révélation de la baiseuse majestueuse, de l’étincelle au cœur, déclics des corps – les filles d’à-côté rêvent cette nuit dans ce bar de la Butte-aux-Cailles – mes cailles, mes jolies enjôleuses, allons faire souffrir le mignon – ruses de filles – tester – ne jamais se coucher – continuer le bluff – voir avant tout – perdre – le risque du jeu – cartes maîtresses – as – brelan – carré – suite – Ken Flush Royale – à cœur – la folie effeuillée en tête – « je sais ce que c’est d’être dévorée – il faut qu’il se passe des choses – j’aime bien ce que tu dis – j’ai jamais fait l’expérience – c’est ça qui me fait peur – la nausée ce mec – je touche pas à ce genre de truc – ça m’a dégoûtée – tous ces vieux dégueulasses – je t’épargne les détails – mal à l’aise, malaise – c’est assez fréquent » - propos acerbes entre filles ce soir – la crudité sexuelle et la moquerie des hommes – au mur, une accumulation d’instruments de musique – spots rouges du nocturne bien établi, red district et le rhum – une mélodie orientale enrobe les rires rares d’ici – c’est pourtant la Fête Nationale – la prise électrique de la Bastille.

Face au Luxembourg, soleil, au Petit Suisse – café et lectures – le désir de vengeance partout – ordre du spectre – on rénove le théâtre de l’Odéon – espace des mots en corps, visage vibré de l’angoisse maintenue.

Traversée sous le soleil – Paris travaillé par une mémoire amoureuse – l’anti-urbanisme des rendez-vous secrets – place Paul Albert derrière Montmartre, avec elle encore – la gourmande surprise, un accompagnement musical.

Je vais au Louvre souvent ces temps d’été – devant les deux cousines – l’éclat ranime les fantaisies – roide de dos robe raide pliée à souhait de jalousie feinte – regards fleurs sur les seins – ces tétons l’étonnent – si proche d’un éclatement du corset, la dentelle soulignant le haut du rose – le corps sait – caresse sur la soie cache seins – le bout poind son nez rose – pointes d’un ballet, triangle des enjeux.

Paris ciel gris en formation – à nouveau le jeu rencontre – amis pissenlits, cocktails empesés, déprimes ajoutées – et ce matin, naviguer dans les livres nouveaux – feuillette effeuille fouille – j’y vois pompes funèbres – y’a du monde au balcon éventail éventé du vent des livres – signifier par l’accumulation la haine de la lecture – j’écris donc je ne lis pas – en éclaicie limitée, lumière tamisée – le temps fait son lit.

De nouvelles étudiantes, une croix entre les seins, les sourires lolita et les pseudo-sérieuses chignons – chemisiers séductions d’entrée de jeu – la misère de l’université me paraît moins terne tout d’un coup – c’est passager monsieur, bientôt tu déchanteras, comme nous tous, victimes de la grisaille, quand ils viendront te chier dessus – tu as eu un accès de positif, un soleil éclat au cerveau, mais maintenant dorénavant regarde devant toi – tout se lézarde, les murs, les esprits – tu n’y peux rien – et pourtant elles sont jolies les jeunes étudiantes – elles habitent l’espace de leurs jeux, charmes discrets des enclanchements – aux murs des affiches jaunies de Matisse et Gauguin.

Odeur de brasserie ce matin, ciel dégagé – les moteurs ont repris leurs exercices.

Belle clarté du jour – liberté retrouvé du temps – Saint Paul sous le soleil – j’écarte les monuments, les pierres s’écroulent en un tendre chamboulement – détourner l’espace confiant de la ville – vivre dans un tableau d’Hubert Robert. Je suis aux Couleurs rue saint Maur – le café sera transformé, là encore, fin d’une aventure.

Dans ce café face Notre-Dame vers la vitre une jeune femme fume – elle regarde ses ongles, lève les yeux, me regarde, tourne la tête vers la vitre – elle est en jupe automne – elle se masse les joues, va partir au travail – la solitude n’a pas l’air de l’ennuyer – à côté, deux radiologues d’âge mûr parlent de leurs voyages, de leurs maîtresses, de leurs enfants, de leurs femmes – ils sont déjà vidés par la vie, les soucis du matériel, les plaisirs déçus – dehors pourtant, soleil froid lumineux – un serveur lance à la volée : « la première chose qu’on regarde chez une femme, c’est ses seins » - Ah ces seins assassins, ah c’est sain tous ces seins, le seing des femmes – une vieille histoire, maternité fécondité rotondité – arrondissement signalé, voies lactées du début.

Dehors le ciel est azur moiré virant au noir de l’orient – je traverse le pont, les lumières de Paris accompagnent mon jeu avec la ville – surpris par la beauté, toujours.

Plaisir de la fugue – la retrouver ce jour, en soleil bombé béni – dans ma géographie, elle est le sud, l’orient – la richesse de sa voix – maintenant madone des jeux subtils – un fin filet tissé de surprises.

Café Véronèse – un jour seul, se retrouver seul, incognito – s’armer d’une solitude heureuse à l’écart de tout et de tous et voir là le texte craché hâtif des autres – sur la table formica dans un coin, le « Temple du goût » de Voltaire, lecture attentive et plaisir des variantes – leçon du style – en diagonale du carrefour, les dorures du Dôme – l’espace d’un instant me revoilà, il y a quatre ans ici – le même serveur, les mêmes clients, les mêmes jeunes filles – et rien, aucune mélancolie ne me gagne – je savoure très seul en fait cette fortune du temps – cette possibilité secrète de mon esprit d’être à nouveau là à me réjouir des mêmes sensations.

Boulevard Magenta, temps gris bruine fine – les enseignes seules lumières : « l’empire du mariage », « le palais des princesses » – je vais vers elle – par tout temps, saisons appliquées à la chance de se retrouver.

Bar portugais à l’est de Paris, à l’écart du tumulte – rien ne reste de la surface des communications – sons perdus dans l’espace – le creux sidéral et sidérant des inanités, des écoutes brisées.

Il est des jours sans but, d’errance amusée dans la ville – de librairie en librairie, de café en café, de livre en livre – un plaisir sans fin de suspendre le temps du texte, du corps laissé aux rues, aux échoppes glacées, aux vitrines marchandes d’avant Noël – déambulation attentive et discrète, présence en marge des flux, tel un spectateur français – je me rappelle l’été dernier à la terrasse d’un café d’Odéon la rencontre avec une jeune autrichienne, peintre abstrait, perdue dans Paris – ne sachant plus quoi faire, travaillant tout le jour en grande banlieue, elle avait simulé une maladie imaginaire pour voir Paris le jour, sans désir, être là dans la ville, sans but – juste là, regarder les passants, les allures, les lumières de cet après-midi très clair – on parle un peu peinture – c’est son goût dit-elle – mais elle ne veut pas voir les musées, trop fatiguant – je lui parle de Delacroix – elle fait semblant de connaître – je lui parle des fresques de l’église saint Sulpice – elle ne connaît pas – elle m’avoue que ses peintures abstraites sont plutôt décoratives et qu’elle n’a aucune culture artistique – je lui propose de lui montrer les fresques, de l’accompagner, de profiter de ses temps libres à Paris pour que je sois son guide, voir le Louvre, les Watteau – elle me suit amusée du jeu improvisé – nous marchons en silence, simple promenade gratuite au soleil – on entre dans l’église – je la sens rétive et en même temps éblouie – les œuvres s’allument, tout tourne dans le jour et nous sommes dévorés par les couleurs – son portable se met à sonner – elle sort de l’église, elle disparaît d’un coup – le temps d’une improvisation sans suite, danse de marbre devant la joie en lutte.

Mangin a été choisi pour la rénovation des Halles à Paris – l’urbanisme aux mains des policiers : « Je crois avoir assez bien répondu à ce qui nous était demandé, c’est-à-dire régler les dysfonctionnements : l’inconfort de la salle d’Échange du RER, les parties délaissées du centre commercial, l’insécurité nocturne du jardin et l’encombrement des sorties de tunnel dans les rues adjacentes. Sur ces quatre points, mon projet offrait des réponses claires. » – mots-clés du projet soulignés – gérer les flux les foules – venez nombreux dans ce nouveau parking marchand maintenant mieux surveillé, mieux conçu pour des emplettes sécurisées – l’architecte toujours porte-parole du préfet.

La ville est une coquille d’échos – le creuset des conversations – le terrain d’activité des flâneurs. Je m’arrête sur des îlots, j’écoute les phrases au hasard, je saisi le fond des sentiments qui circulent – J’entends là, dans ce café près de la Seine : « Il faut apprendre les citations ».

Lionel Dax

Les deux textes, « A rebrousse-temps » de Joël Gayraud et « Impressions de Paris » de Lionel Dax, ont été diffusés dans le cadre du forum sur Internet modéré par Elie During et Laurent Jeanpierre (www.centrepompidou.fr/airsdeparis), autour de l’exposition « Airs de Paris » qui se déroulera à Beaubourg du 25 avril au 15 août 2007.

L’esprit de Paris

Giacometti, L’Enlèvement des filles de Leucippe, d’après Rubens

Voltaire, Le Mondain (1736 - première édition) :
« Le Paradis terrestre est à Paris. »

Nietzsche, dans une lettre de 1884 :
« J’ai besoin de personnes gaies autour de moi. Dommage que je ne sois pas allé à Paris. »

Apollinaire, Le Poète assassiné (1916) :
« Son établissement à Paris avait été le but de sa vie. Il pensait que les plaisirs que l’on y trouve sont supérieurs à ceux qui s’offrent aux voluptueux sur les autres parties du globe. »

Max Jacob :
« Apollinaire nous entraîna dans son éternelle ronde, sa ronde d’un trottoir à l’autre, dans tous les arrondissements de Paris, à toutes les heures. Il tournait, rôdait, regardait, riait, révélait les détails des siècles passés, les poches pleines de papiers qui enflaient les hanches, riait encore... »

Joyce, lettre à sa mère du 20 mars 1903, Grand Hôtel Corneille à Paris :
« Aujourd’hui j’ai descendu le boulevard Saint-Michel en riant et en chantant tout seul sans un souci au monde parce que je savais que j’allais dîner – mon premier dîner (à proprement parler) depuis trois jours. Voilà qui montre bien quels idiots nous sommes tous. Tous les dimanches je m’efforce d’aller à la campagne. Dimanche dernier je me suis promené dans les bois de Clamart que j’ai traversés jusqu’à Sèvres, d’où je suis rentré en bateau.
Je travaille tous les jours à la Bibliothèque nationale et tous les soirs à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. J’assiste souvent aux vêpres à Notre-Dame ou à Saint-Germain-l’Auxerrois. Je ne vais jamais au théâtre – faute d’argent. Je n’ai pas les moyens non plus d’acheter des livres. Synge qui est venu pour placer ses œuvres m’a donné sa pièce à lire – une pièce que doit monter l’Irish Literary Theatre. Je l’ai critiquée : Synge prétend que j’ai l’esprit de Spinoza (Spinoza était un grand philosophe juif) je suis plongé en ce moment jusqu’au cou dans la Métaphysique d’Aristote et ne lis que lui et Ben Jonson (auteur de chansons et de pièces). Gogarty m’a écrit il y a un ou deux jours et m’a rapporté une phrase de John Eglinton (Stannie t’expliquera qui il est) “Il y a quelque chose de sublime dans la solitude de Joyce”. Mon volume de chansons paraîtra au printemps 1907. Ma première comédie environ cinq ans plus tard. Mon Esthétique cinq ans après. (Voilà qui doit t’intéresser !) Yeats (qui est impressionnable) a déclaré qu’il ne me connaissait pas depuis longtemps, mais que pendant ce temps j’avais ri bruyamment en entendant les noms de Balzac, Swinburne, etc. J’ai, plus d’une fois, semé le trouble dans tout un café par mon rire. Un jour, à Dublin, une vieille femme m’a menacé de son parapluie – je riais si fort. Advienne que pourra, je déjeunerai demain. »

Van Gogh :
« Il n’y a qu’un Paris ; et bien que la vie y soit difficile, si même cela devait encore s’aggraver, devenir plus difficile encore, l’air de France éclaircit les idées et fait du bien, beaucoup de bien, tout le bien du monde. »

Giacometti, Paris sans fin (1969) :
« Il me semble infiniment loin le jour où vers le soir en venant de chez Mourlot, la rue Saint-Denis, le ciel clair, la rue comme une pente entre des falaises noires, hautes et déjà noires et le ciel jaune, le ciel jaune du soir je me suis vu, impatient d’y être, dessinant au plus vite tout ce qui frapperait mon regard et cela partout et toute la ville qui devenait soudainement un immense inconnu à courir à découvrir, cette richesse illimitée partout, partout. »

Ezra Pound, Lettres de Paris (janvier 1922) :
« Il y a énormément de goût à Paris. Et Paris reste peut-être le point de rencontre de ceux qui se sont libérés des stupidités et des timidités sanctifiées et qui narguent les choses telles qu’elles sont.»

Sacha Guitry :
« Etre de Paris, ce n’est pas y avoir vu le jour – mais c’est y voir clair. »

Klee, Journal (1905) :
« Nous arrivâmes à onze heures et demi du matin, et gagnâmes en fiacre notre hôtel rue de l’École-de-Médecine. Puis nous fîmes une première sortie d’orientation. L’après-midi au Louvre. Le soir bal de nuit aux Halles.
1 juin. Ascension. Exposition intégrale de Whistler. Panthéon (Puvis de Chavannes), puis à pied par le bois de Boulogne jusqu’à Saint-Cloud. Retour par la Seine (bateau-mouche). Le soir au théâtre Sarah Bernhardt : Il Barbieri di Seviglia, en italien.
2 juin. Luxembourg : Rodin, Puvis, Manet, Monet, Renoir. Louvre : Vélasquez, Goya, Watteau, Fragonard, Millet. Le soir : boulevards extérieurs, retour par les Halles (vers l’aube).
3 juin. Morgue ; à l’Hôtel de Ville, mauvaises fresques de Puvis de Chavannes. L’après-midi au Louvre : Millet, Corot. Le soir à l’Opéra-Comique : Chérubin, de Massenet.
4 juin (dimanche). Luxembourg. Salon. Le soir : Comédie-Française : Tartuffe, et Il ne faut jurer de rien d’A. de Musset.
5 juin. Excursion à Versailles (interrompue par la pluie). L’après-midi, sieste. Le soir, Folies-Bergère et boulevards. Journée plus calme.
6 juin. Louvre : collection des Antiques. Salon national (meilleur). Le soir, boulevards extérieurs, cabaret.
7 juin. Louvre : anciens maîtres français. L’après-midi retour au meilleur Salon. Le soir : Armide de Gluck.
8 juin. Jardin des Plantes. Le soir au bal Bullier.
9 juin. Commencé à onze heures et demi par le repas de midi. Ensuite au Louvre : Rembrandt et Frans Hals. Thé à cinq heures. Les deux autres me quittèrent, pour la première fois, à six heures et demi pour aller entendre Tristan.
10 juin. Luxembourg : encore une fois Manet, etc. Sorbonne (Puvis de Chavannes). En tramway à Montmartre, le Sacré-Cœur, vue sur la ville. En tramway à la tour Eiffel. L’ascension en fut empêchée par une pluie torrentielle. En fiacre à l’opéra. Armide pour la seconde fois.
11 juin. Pentecôte. Panthéon, fontaine monumental de Carpeaux. Lion de Belfort. Gare Montparnasse. En omnibus par le boulevard Saint-Michel ; le soir à l’Opéra-Comique : Louise, de Charpentier.
12 juin. Matinée à Versailles. Le soir de nouveau à Paris, Taverne de l’Olympia, dégoûtante boîte de nuit.
13 juin. Au Louvre pour faire mes adieux. Thé à cinq heures. Départ à sept heures quarante, pour Berne. »

Delacroix, dans une lettre de 1829 :
« Je vois de mes fenêtres le Louvre, un peu de la rivière et de Tuileries. Il ne tient qu’à moi de me croire roi de tout cela. »

Cézanne, en regardant la Seine d’une fenêtre du Louvre :
« Au fond, celui qui rendrait ça, simplement, la Seine, Paris, un jour de Paris, pourrait entrer ici, la tête haute… »

Marcelin Pleynet, La vie à deux ou trois :
« Lorsque les Français ont pris la Bastille, ils n’ont pas fait du plein, mais du vide. Trop de vide peut-être ? Tant de vide que certains n’en sont pas revenus. Si l’on devait donner la formule de l’esprit français, en ce qu’il ne ressemblerait à aucun autre, et en conséquence inquiéterait, je dirais qu’il fait de la place. Non pas comme le baroque italien en manière, en révulsion de regards, en torsions extatiques, mais plus tranquillement pour se complaire et se plaire à lui-même, pour dégager le panorama des croyances inutiles et des autres, pour la circulation, les besoins du plaisir et les jeux rhétoriques de l’esprit. Du siècle de Louis XIV au siècle de Voltaire, même combat. Il faudrait enseigner aux enfants que c’est l’esprit même du siècle de Louis XIV qui renverse la Bastille. Au demeurant, peu importe, tout passe dans l’air vide et plein de musique : sonate, fanfare, orchestre de la lumière. À vous de jouer. »

Ironie Café

Aux mois d’avril et de mai, la rédaction d’Ironie se réunit
chaque mercredi de 14h à 16h au Café Véronèse,
à l’angle du boulevard Raspail et du boulevard du Montparnasse,
Place Pablo Picasso

Advienne que pourra

 

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