IRONIE numéro 15 (Mars 1997)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> IRONIE numéro 15, Mars 1997

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IRONIE LIBERTINE

"Je m'entretiens avec moi-même de politique, d'amour, de goût ou de philosophie. J'abandonne mon esprit à tout son libertinage. Je le laisse maître de suivre la première idée sage ou folle qui se présente, comme on voit, dans l'allée de Foy nos jeunes dissolus marcher sur les pas d'une courtisane à l'air éventé, au visage riant, à l'oeil vif, au nez retroussé, quitter celle-ci pour une autre, les attaquant toutes et ne s'attachant à aucune. Mes pensées, ce sont mes catins."

Diderot, Le neveu de Rameau

 

L'IDÉOLOGIE DE LA TECHNIQUE

Lionel Dax : Guten Tag Jürgen ! Je crois que tu as un message à faire passer ...

Jürgen Habermas : Je pense qu'on ne m'a pas bien lu. Je souhaite revenir à une lettre que j'avais envoyé à mon ami Herbert Marcuse pour son soixante-dixième anniversaire, le 19 juillet 1968 intitulée "la technique et la science comme "idéologie"".

L. D. : Pourquoi revenir en 1968 ?

J. H. : Je reviens aux mots, non aux événements. Aucune nostalgie ne me stimule. J'ai montré qu'il fallait repenser le marxisme et que les idées de 1968 ne pouvaient rien changer à l'idéologie technique du progrès. Voici ce que dit Marcuse dans l'Homme unidimensionnel : "Dans cet univers, la technologie fournit à l'absence de liberté de l'homme sa grande rationalisation et démontre qu'il est "techniquement" impossible d'être autonome, de déterminer soi-même sa propre vie. Car ce manque de liberté n'apparaît ni comme irrationnel ni comme un fait politique, il se présente bien plutôt comme la soumission à l'appareil technique qui donne plus de confort à l'existence et augmente la productivité du travail."

L. D. : Encore l'idée de l'aliénation. Toujours cette volonté paranoïaque de se croire sans arrêt épié et contrôlé par des forces extérieures. "L'homme n'est pas une réalité, il crée sa réalité. C'est pourquoi l'aliénation n'est jamais absolue." dixit Octavio Paz. La plupart des techniques qui nous entourent sont les agents idéologiques d'une dissuasion perverse qui a donné vie aux théories philosophiques des années soixante-dix, celles de Foucault, Baudrillard, Debord, Deleuze. Y a-t-il un oeil derrière toutes ces caméras qui balisent nos chemins ? Il n'y a souvent qu'un magnétoscope qui enregistre des images qui ne seront visionnées qu'en cas d'incident. Ensuite, elles seront effacées par le même magnétoscope pour éviter un stockage inutile. Tous les systèmes de surveillance comportent des failles par lesquelles nous pouvons passer inaperçus !

J. H. : Ceci est un autre problème. L'idée de l'aliénation ne me convainc pas totalement, même si j'avançais ceci en 1968 : "Les sociétés industrielles avancées semblent se rapprocher d'un modèle de contrôle du comportement commandé par des stimuli externes plutôt que par des normes. La manipulation indirecte grâce à des stimuli donnés de l'extérieur s'est développée principalement dans des domaines jouissant apparemment d'une certaine liberté subjective (comme le vote, la consommation, l'utilisation des loisirs)."

L. D. : Alors, qu'apportes-tu au moulin du marxisme ?

J. H. : Le fait que l'on ne puisse plus appliquer, au vue de la transformation de la société capitaliste, le concept de lutte des classes : "Le système du capitalisme avancé se définit par une politique s'assurant la loyauté des masses par des gratifications compensatrices, c'est-à-dire une politique évitant les conflits, à tel point que le conflit qui, comme par le passé, est inhérent à la structure de la société du fait de la mise en valeur du capital dans le cadre de l'économie privée est précisément celui qui a le plus de chances de rester latent. (...) Par ailleurs, le déplacement des zones de conflit, loin des frontières de classes vers les secteurs sous-privilégiés de la vie sociale, ne signifie nullement que soit éliminé tout potentiel de conflit important. (...) tous ces conflits engendrés par l'existence de ces situations sous-privilégiées sont caractérisés par le fait qu'ils peuvent éventuellement pousser le système à des réactions violentes, qui ne sont plus compatibles avec la démocratie formelle, mais ils ne peuvent pas à proprement parler le renverser. Car les groupes sous-privilégiés ne sont pas des classes sociales. Ils ne représentent jamais, même à titre potentiel, la masse de la population. La privation de droits dont ils sont victimes et leur paupérisation ne représentent plus une exploitation car le système ne vit pas de leur travail. Ils peuvent tout au plus représenter un stade antérieur de l'exploitation."

L. D. : Peut-être, mais on ne peut nier que ces groupes sous-privilégiés deviennent de plus en plus nombreux, revendicateurs. Les sociétés capitalistes avancées sont convaincues que les exclus et les chômeurs ne constituent pas un danger pour le bien-être du système économique, que les projets politiques ne peuvent rien face aux processus idéologiques de la technique. Toutes ces pensées ne sont-elles pas futiles ? Contre le progrès, il ne reste plus que la jouissance secrète des corps dont ta philosophie est dépourvue. La froideur de ton style, la pertinence de tes exposés ne valent pas les cuisses bien roses d'une femme, un plat exquis !

Auf Wiedersehen !

 

ÉROTISMES

"L'érotisme ne se laisse pas réduire à un principe. Son royaume est celui de la singularité, de l'unicité : il échappe continuellement à la raison, c'est un domaine mouvant, régi par l'exception et le caprice."

Octavio Paz, Un au-delà érotique : le marquis de Sade

 


CHU
: Concentration Humaine Urbaine
HLM
: Hôpitaux pour Longue Maladie

 


Goza, goza el color, la luz, el oro / Jouis, jouis de la couleur, de la lumière, de l'or

Luis de Gongora, Sonnets

 


L'IRONIE VIENT EN JOUISSANT

 

FÉMININ / MASCULIN

" Jeu-parti ", Chanson anonyme d'un trouvère

 

PENSÉES HORS LIMITE

"Par bonheur nous possédons un instrument de mesure dont la finesse n'a pas de limite : notre pensée. La pensée est plus fine que les atomes et les électrons. Par la pensée, il nous est loisible aussi bien d'opérer la fission du noyau atomique que de franchir les millions d'années-lumière des distances cosmiques. On entend dire parfois que la nature embrasse de bien plus vastes étendues que l'imagination humaine. C'est le contraire qui est vrai. Dans l'univers sans limite de la pensée, la nature n'occupe qu'un étroit district. A coup sûr, la pensée a besoin pour son jeu de stimulants extérieurs. Mais une fois en mouvement, l'imagination est capable de tramer sa toile jusque dans des domaines situés au-delà de tout événement naturel."

Max Planck, L'image du monde dans la physique moderne

 

LES MARCHÉS DE L'HISTOIRE

Le Monde du 18/01/1997 faisait état d'une déclaration du Commissaire Européen Yves Thibault de Silguy :

Les propos ont le mérite d'être clairs. Comment ne pas établir un rapport entre cette déclaration, la récente fermeture de l'usine Renault en Belgique et l'ascension du cours des actions de la firme suite à l'annonce des licenciements (phénomène déjà observé dans d'autres situations similaires où l'on parle de plans dits "sociaux") ? Devons-nous accepter que l'Europe, à une plus grande échelle le monde de demain, soient le produit des décideurs des marchés, nouveaux ordonnateurs impitoyables de l'histoire ?

Madjid Si Hocine

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