> IRONIE numéro 16, Avril 1997 Tous les textes publiés dans Ironie peuvent être reproduits, imités, ou partiellement cités, sans la moindre indication d'origine.

---

"UNE LANGUE GENEREUSE EST UNE EPEE DRESSEE POUR L'ETERNITE" PIO

L'ironie est une tactique de résistance. Elle s'appuie sur les bases légères et mobiles de l'art de la prudence, de la dissimulation honnête. L'ironie n'est pas hypocrite, ni superficielle. Elle s'affirme comme un art de vivre en société, un bouclier contre toute médiocrité. Elle évite, pas de danse ou escrime, les fossés manichéens inhérents à toute manipulation. Elle se joue des contraires pour perturber autant les adversaires du mal que ses adeptes. L'art de la guerre de l'ironie n'a rien à voir avec les uniformes, l'histoire événementielle des exploits guerriers, le culte d'un ordre, d'une hiérarchie souvent tyranniques. J'use de l'art de la guerre comme d'une éthique, pour l'esprit, dans le but d'atteindre un maximum de jouissances. Le Condottiere, admirablement mu dans une perspective esthétique par Michel Onfray dans La sculpture de soi, semble correspondre à cette image vivifiante de la pensée fusionnée à un corps sensuel. Les exemples de ruses et les phases de combat peuvent ainsi prendre une autre tournure dans une lecture éclairée de l'art de jouir.

Ironie n'est pas un groupe. Je n'ai aucun but militant. Les associations politiques pacifiques ou guerrières au service d'un système sont autant de freins à l'épanouissement individuel. Ne pas se laisser happer par le marasme idéologique. Par les mots, nous pouvons savoir à qui nous avons à faire. Ouvrez un livre, lisez ... vous savez très vite par les codes de la pensée, l'ironie, si l'auteur se glissera dans le giron ouvert de vos affinités électives. Ainsi, de par les siècles, nous conversons avec ces âmes vivantes qui s'agitent dans nos bibliothèques. Par l'écriture, la pensée, nous utilisons l'art de la pointe, l'épée de l'aphorisme, le rire qui tue plus que la colère.

C'est un art de la guerre que de pouvoir être soi et d'en jouir avec d'autres. La guerre est à gagner au-delà ...

"L'art de vivre ressemble plutôt à une lutte qu'à la danse en ce qu'il faut toujours se tenir en garde et d'aplomb contre les coups qui fondent sur vous à l'improviste."

• Polyen, Ruses de guerre (Livre VIII - Chapitre XXIV) :
  "Auguste recommandait souvent aux officiers généraux d'avoir une attention particulière à la sûreté des troupes. Il avait continuellement à la bouche son : "Hâte-toi lentement"; et : "Le général qui se précautionne, vaut mieux que celui qui se laisse emporter par son courage"."

• Rabelais, Gargantua (Chapitre XXXI) :
  "Ne soyez jamais tant soudain à vos entreprises. Savez-vous que disait Octavien Auguste ? Festina Lente."

• Graciàn, Art de la prudence (Maxime 53 : Diligent et intelligent) :
  "La diligence exécute promptement ce que l'intelligence pense à loisir. La précipitation est la passion des fous qui, faute de pouvoir découvrir le danger, agissent précipitamment. Au contraire, les sages pèchent en lenteur, effet ordinaire de la réflexion. Quelquefois le délai fait échouer une entreprise bien concertée. La prompte exécution est la mère de la bonne fortune. Celui-là a beaucoup fait, qui n'a rien laissé à faire pour le lendemain. Ce mot est digne d'Auguste : "Hatez-vous lentement"."

"Grand jour et ténèbres, apparence et secret : voilà tout l'art. De même qu'avec les cinq tons de la musique, les cinq couleurs et les cinq goûts, on peut, par combinaison, obtenir des effets infinis, la possession des principes donne au général dans n'importe quelle circonstance toutes les solutions qui conviennent."

• "Les artifices licites sont des actes de prudence, que l'on emploie pour les autres avec des façons et dispositions si habiles qu'elles permettent de mener à bonne fin ses propres desseins. On les appelle actes de prudence, pour les distinguer des mauvais artifices qui sont des actes d'astuce malicieuse."

• "La dissimulation est une industrie qui consiste à ne pas faire voir les choses telles qu'elles sont. On simule ce qui n'est pas, on dissimule ce qui est."

"Un sage a compris toute la sagesse en ce précepte : Rien de trop. Une justice trop exacte dégénère en injustice. L'orange qui est trop pressurisée donne un jus amer. Dans la jouissance même, il ne faut jamais aller à une des extrémités. L'esprit même s'épuise à force de se raffiner. A vouloir tirer trop de lait, on fait venir le sang."

"C'est le rôle d'une grande intelligence que de donner à voir que l'on ne voit pas, alors que l'on voit tout, car ainsi le jeu se déroule-t-il avec des yeux qui paraissent clos, mais qui, en réalité, sont ouverts."

"Une embuscade imprévue peut souvent vous perdre, mais, prévue, elle est sans danger; (...) attiré dans une embuscade par les ruses de l'ennemi, il faut, pour le prévenir, ne croire que difficilement ce qui ne vous paraît pas vraisemblable"

"Il faut fixer des mots de passe faciles à retenir et le plus possible en relation avec les actions que l'on va conduire. Par exemple, pour des hommes qu'on envoie à la chasse, "Artémis chasseresse", pour ceux qu'on envoie à quelque action furtive "Hermès rusé", pour un coup de force "Héraclès", pour une attaque à découvert "Soleil et lune"."

"Le contre-signe ne doit pas être exprimé par la voix, mais être donné par un geste, comme un signe de la main ou le choc d'armes entre elles ou une inclination de la lance ou le geste d'écarter l'épée, pour qu'en cas de confusion les soldats puissent ne pas se fier seulement au mot de passe qu'on leur dit - car les ennemis l'entendent fréquemment et peuvent l'intercepter - mais aussi au contre-signe."

"Soyez vigilant; s'il s'agit d'aller, allez promptement, mais en sûreté, par des chemins tenus secrets. L'ennemi ne doit pas soupçonner dans quels lieux vous vous rendez. Sortez à l'improviste d'où il ne vous attend pas et tombez sur lui quand il y pensera le moins."

"O quelle excellente chose à savoir que l'art de dissimuler et couvrir ses sentiments véritables grâce aux savants artifices d'une simulation trompeuse !"

• Sémiramis : "Sémiramis étant au bain, apprit la révolte des Siraques. Aussitôt, nus pieds comme elle était, et sans se donner le temps de raccommoder ses cheveux, elle partit pour aller faire la guerre. Voici ce qu'elle fit graver sur sa colonne : "La nature m'a fait naître femme; mais j'ai égalé par mes actions les hommes les plus excellents; (...) Et tous ces ouvrages m'ont encore laissé du temps de reste que j'ai utilement employé pour moi et mes amis"."

• Télésille : "Télésille, musicienne, arma toutes les femmes d'Argos, et les mena au combat. Elles se présentèrent sur les murs, et les défendirent contre Cléomène. Elles le repoussèrent, chassèrent l'autre roi Démarate et sauvèrent la place, qui était sur le point d'être prise. Cette belle action des femmes est encore célébrée ("la fête qui fait honte aux hommes") jusqu'à ce jour par les Argiens, à la nouvelle lune du mois de Mercure; et le jour de la fête les hommes s'habillent en femmes, et les femmes prennent des habits d'hommes"

"Un homme fut envoyé avec un message écrit sur des feuilles d'arbre, et ces feuilles étaient appliquées en bandage et liées sur une blessure qu'il avait à la jambe. On peut aussi faire passer un écrit en l'attachant aux oreilles des femmes qui portent à la place des boucles d'oreilles de fines lamelles de plomb roulées. (...) Lorsque Histiaios voulait donner à Aristagoras le signal de la révolte, il n'eut aucun autre moyen sûr de communiquer, (...) sinon de tondre la tête du plus fidèle de ses esclaves, de la tatouer et d'attendre que ses cheveux aient repoussé. Ensuite, il dépêcha cet homme tatoué à Milet avec pour seul ordre, en présence d'Aristagoras, de demander à celui-ci de le tondre et d'examiner sa tête. Le tatouage lui signifia ce qu'il fallait faire."