> IRONIE numéro 23, Septembre 1997 Tous les textes publiés dans Ironie peuvent être reproduits, imités, ou partiellement cités, sans la moindre indication d'origine.

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"Nous sommes en {1997}. Année louche, et les champs sinistres où l'oeil de l'homme saute comme un crapaud, ruissellent de paradoxes, puent de charognes mentales. Je m'adresse aux gouvernements : Gouvernements ... Mais c'est en vain ils ne pensent qu'à leur bifteck. Ils ont bouffé du Chinois toute l'année, maintenant ils ont mal au cœur et chicotent pour cure-dents des insurgés et des grévistes. Donc je m'adresse à la jeunesse, mais voyez-moi les jeunes gens, comme ils supportent le train-train du monde. Foireux comme jamais. Ayant trouvé le truc. Ils sont assis très paisiblement aux milieux des machines infernales."

Ironie s'organise sur l'espace mouvant des affinités éclectives. La thèse, peu ou prou, de notre aventure éphémère et instable montre qu'un auteur dépourvu d'ironie ouverte baisant avec l'humour est un figurant sans saveur dans l'histoire de la création. Les auteurs que nous citons ont ceci en commun qu'ils manient l'ironie comme le fil secret de leur écriture. Notre désir multiplié par notre plaisir est de jouir de l'individualité à travers l'histoire collective de la pensée. Ironie déteste les uniformes. L'éclectisme est en même temps un hommage à ceux qui nous ont devancé dans le jonglage des facettes de l'ironie et une poursuite de la lutte contre une société satiété limitée à un idéal unique. Une ironie éclective se sert de l'éclectisme comme d'une modestie à mots d'esprit et une auto-ironie, une ouverture vers le voyage et les autres, pressant le présent de tout son jus pour jouer de l'en-avant ! Notre ironie élective (notre jeu d'adresses) combat le dédain autocratique et narcissique, et use des hauteurs de la connaissance en évitant le mépris hautain des imbéciles.

"no man who has once heartly and wholly laughed can be altogether irreclaimably bad. How much lies in laughter : the cipher-key, wherewith we decipher the whole man ! Some men wear an everlasting barren simper : in the smile of others lies a cold glitter as of ice : the fewest are able to laugh, what can be called laughing, but only sniff and titter and snigger from the throat outwards; or at best, produce some whiffling husky cachinnation, as if they were laughing through wool : of none such comes good. The man who cannot laugh is not only fit for treasons, stratagems, and spoils; but his whole life is already a treason and a stratagem."

"nul homme qui a une fois ri de tout son cœur et à fond ne peut être irrémédiablement mauvais. Combien important est le rire : cette clé avec laquelle nous déchiffrons tout l'homme ! Certains portent sur le visage un ricanement affecté, stérile et continuel; dans le sourire, chez d'autres, gît un éclat froid comme la glace; rares sont ceux qui savent rire, ce qu'on peut appeler rire; la plupart ne disposent que d'un reniflement, un petit ricanement sournois ou étouffé, qui ne dépasse pas la gorge; ou mieux, émettent quelques explosions enrouées, comme s'ils riaient à travers de la laine : rien de bon à attendre de ceux là. L'homme qui ne sait pas rire n'est pas seulement capable de trahisons, de stratagèmes de filouterie; mais sa vie entière est déjà une trahison et un stratagème."

"Il y a quelques jours, j'accompagnai au Louvre Auguste Rodin qui allait y revoir les bustes de Houdon. À peine fûmes-nous devant le Voltaire :

- Quelle merveille ! C'est la personnification de la malice.
Les regards légèrement obliques semblent guetter quelque adversaire. Le nez pointu ressemble à celui d'un renard : il paraît se tirebouchonner pour flairer, de côté et d'autre, les abus et les ridicules; on le voit palpiter. Et la bouche : quel chef-d'œuvre ! Elle est encadrée par deux sillons d'ironie. Elle a l'air de mâchonner je ne sais quel sarcasme."

"Je suis très émue de vous dire que j'ai
bien compris l'autre jour que vous aviez
toujours une envie folle de me faire
danser, je garde le souvenir de notre
baiser et je voudrais que ce soit
là, la preuve que je puisse être aimée
par vous, je suis prête à vous montrer mon
affection toute désintéressée et sans cal-
cul, et si vous voulez aussi me voir
dévoiler sans artifice mon âme
nue, daignez me rendre visite
nous parlerons franchement en amis
je vous prouverai que je suis la femme
sérieuse, capable de vous offrir l'amitié
la plus profonde comme la plus étroite
en un mot la meilleure épouse
que vous puissiez imaginer. Puisque votre
âme est libre, pensez que ma solitude su-
bite est longue, bien dure, souvent
pénible. Je sais que j'ai l'âme é-
branlée. Accourez-vite me la
guérir. A l'amour, je viens me sou-
mettre entièrement."

Autant nous avons critiqué la récupération vaseuse d'une partie de l'intelligentsia française des discours et de l'espoir suscité par le combat des membres de l'EZLN au Chiapas, autant nous voulons souligner les idées et le style du sous-commandant Marcos qui bafouent les règles générales de la politique néo-libérale. Lorsqu'il annonce que la quatrième guerre mondiale a déjà commencé à travers un réseau subtil d'arguments empruntés à la mythologie mexicaine et à une réalité sacrifiée par les manipulations économiques, Ironie s'accorde avec lui. Il développe, armé de l'ironie, une stratégie qui place l'écriture au centre de sa résistance.

Tout le reste n'est qu'un folklore révolutionnaire !

"L'apparente infaillibilité de la mondialisation se heurte à l'obstinée désobéissance de la réalité. Tandis que le néolibéralisme poursuit sa guerre, des groupes de protestataires, des noyaux de rebelles se forment à travers la planète. L'empire des financiers aux poches pleines affronte la rébellion des poches de résistance. Oui, des poches. De toutes tailles, de différentes couleurs, de formes variées. Leur seul point commun une volonté de résistance au "nouvel ordre mondial" et au crime contre l'humanité que représente cette quatrième guerre."

"J'y enfile Rosa après l'avoir branlée, le tout, pour la première fois, n'étant pour lors éclairés que par un réverbère (de Marseille) éloigné de vingt-cinq pas, y ayant de la lumière aux fenêtres des maisons vis-à-vis. Pour finir une matière si maigre et si noire, je la foutis à 11 heures, j'entrai chez elle à minuit. Je mourus bien vite de dégoût. Je lui fis cela deux fois, le lui fis faire six, et m'en allai bien dégoûté et honteux à 6 heures du matin. Oncques depuis ne l'ai revue, quoique je dusse y retourner. Je le ferai peut-être pour l'enculer."

L'accélération de la virtualisation qui tend vers l'illusion de la fin de l'histoire et à l'effacement global de la géographie nous plonge dans une confusion apocalyptique. Les images surexcitées et surexposées de l'information live oublient en live les événements qu'elles distillent et endorment les esprits critiques dans un superficiel confort. La falsification, qui était l'apanage des pouvoirs et des trafiquants spécialisés, grâce aux nouvelles technologies, s'est généralisée. Les images hyperréelles, conglomérat des virtuelles et réelles, s'alignent sur les écrans sans que le spectateur de la société s'en aperçoive, atteint par une cécité chronique. En guerre, la lenteur donne une dimension au temps, la distance une profondeur à la géographie, l'ironie une écriture contre l'abêtissement passif. Alors que la Simulation s'étend comme une déesse lascive sur les horizons leurrés d'une perspective calculée par ordinateur, les caméras de surveillance apportent une touche numérique au voyeurisme sécuritaire dans l'univers fragmenté et froid du cyberespace. La falsification éthique brouille les pistes de l'information et de l'histoire tandis que les simulacres ludiques fictionnalisent les esprits dans une réalité virtuelle où tout est possible. Seulement, le crime parfait n'a pas eu lieu ... Il reste des traces ...