> IRONIE numéro 24, Octobre 1997
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"{Maldoror} tire de sa poche un canif américain, composé de dix à douze lames qui servent à divers usages. Il ouvre les pattes anguleuses de cet hydre d'acier; et, muni d'un pareil scalpel, voyant que le gazon n'avait pas encore disparu sous la couleur de tant de sang versé, s'apprête, sans pâlir, à fouiller courageusement le vagin de la malheureuse enfant. De ce trou élargi, il retire successivement les organes intérieurs; les boyaux, les poumons, le foie et enfin le cur lui-même sont arrachés de leur fondement et entraînés à la lumière du jour, par l'ouverture épouvantable. Le sacrificateur s'aperçoit que la jeune fille, poulet vidé, est morte depuis longtemps; il cesse la persévérance croissante de ses ravages, et laisse le cadavre redormir à l'ombre du platane. On ramassa le canif, abandonné à quelques pas. Un berger, témoin du crime, dont on n'avait pas découvert l'auteur, ne le raconta que longtemps après, quand il se fut assuré que le criminel avait gagné en sûreté les frontières, et qu'il n'avait plus à redouter la vengeance certaine proférée contre lui, en cas de révélation."
Souvent, l'histoire des cruautés resurgit comme un mort vivant encore et veut bousculer une paix trop factice, un quotidien trop lisse. Pourquoi certains faits remontent-ils à la surface du temps présent ? Peut-on mesurer le temps d'incubation d'un fait quand on connaît la couveuse rassurante du refoulement collectif ? Certains faits sont venus hanter les sentiers balisés de l'histoire officielle. Devant tant de massacres, de tortures, c'est l'incom-préhension qui me gagne comme une gangrène. La résurgence des os meurtris des égouts du temps s'accompagne d'une interrogation sur l'être.
"Avec les dents, j'ai été obligé d'arracher les testicules de trois autres détenus. Ils hurlaient de douleur. Alors les gardiens leur ont mis dans la bouche de l'huile pour moteurs et leur ont transpercé les lèvres avec du barbelé. Tous les prisonniers devaient regarder le martyre des victimes. Cette souffrance a duré trois heures, et puis ils sont morts. Les noms des personnes ainsi torturées étaient : Jasmin Hrnic, Fikret Harambasic et Emir Karabasic."
"De ma main, j'ai tué 72 personnes, dont 9 femmes. Nous ne posions aucune question. Pour nous, ils étaient tous des Tchetniks et des ennemis. (...) Le plus dur est de brûler la première maison et de tuer le premier homme. Après, tout roule. (...) Nous avons tué un responsable de la poste, celui de l'hôpital et d'autres Serbes. D'une balle dans le front, car nous n'avions pas le temps. (...) "Ce soir, nettoyez toute cette merde", cela voulait dire liquider les prisonniers."
"Chirurgien dans l'armée impériale japonaise pendant la guerre, envoyé en Chine où il pratiqua des expérimentations sur des cobayes humains, Ken Yuasa, 80 ans, milite aujourd'hui pour que le Japon reconnaisse les atrocités qu'il a commises. Il dénonce ceux qui occultent, ou parfois nient, cette période sombre de l'histoire : "J'ai tué de sang-froid quatorze Chinois dont sept en pratiquant sur eux des vivisections. L'armée avait décidé d'installer des hôpitaux sur les lignes de front pour pouvoir secourir plus vite les blessés. (...) Nous devions apprendre à couper une jambe, un bras, à inciser la gorge pour pratiquer une trachéotomie, par exemple. On nous a fait pratiquer en masse des vivisections sur des cobayes humains. Je suis vite passé du stade de l'apprenti à celui du professeur, montrant aux plus jeunes docteurs comment découper un corps humain. Cette fois-là, les victimes étaient sous anesthésie. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Comme ultime entraînement, on m'a envoyé avec 40 autres chirurgiens dans un camp de prisonniers à Tai-yuan. Il s'agissait d'apprendre à extraire une balle de l'estomac d'une personne encore en vie. Les prisonniers chinois nous ont servi de cobayes une nouvelle fois. Les gardes leur ont d'abord tiré dessus, avant de nous les amener en salle d'opération. (...) Nous étions totalement conditionnés. C'est difficile à expliquer mais je n'avais pas conscience de faire quelque chose de mal. Pendant ces opérations, j'étais totalement concentré sur mon travail et je ne pensais pas à la souffrance de mes victimes.""
"Plus nous sommes attaqués par le néant qui, tel un abîme, de toutes parts menace de nous engloutir, ou bien aussi par ce multiple quelque chose qu'est la société des hommes et son activité, qui, sans forme, sans âme et sans amour, nous persécute et nous distrait, et plus la résistance doit être passionnée, véhémente et farouche de notre part. N'est-ce pas ?"
Les jours de pollution jouent le même rôle que les jours de grève : désen-gagement des rendez-vous, transports bondés, restez chez vous. Les entreprises acceptent un jour mort au nom d'une cause générale calculée par des capteurs ordinateurs. Les jours de pollution ont des lendemains qui sentent. L'essence de la grève disparaît sous un nuage de fumée opaque.
"Mon ami Marc Aurèle, auteur grave et quelque peu pompeux, s'écrie quelque part : "Que la mort me surprenne quand elle voudra et où elle voudra, il dépend néanmoins de moi d'être eumoïros, c'est-à-dire un homme heureux. Car l'homme heureux est celui qui, durant sa vie, se forge à soi même un heureux lot."
"Je dirais que l'ironie, c'est dans l'art cette forme d'esprit qui arrache au lecteur ou à l'auditeur un sourire, un sourire intellectuel pourrait-on dire, alors que l'humour produit un rire qui jaillit du fond du cur, c'est un effet que personnellement je préfère et que j'ai plus de plaisir à saluer dans ma propre production que le sourire érasmien provoqué par l'ironie. J'avoue - vous savez que j'ai beaucoup lu en public dans ma vie - que ce qui m'a toujours fait le plus plaisir, ce qui m'a comblé sur un podium, c'est quand ma lecture provoquait dans l'auditoire de francs éclats de rire."
Ayez le sens de l'Etat, achetez des actions !
"Un client sur trois ne tire pas la chasse d'eau sur l'autoroute A7"
-Vous êtes allée aux zobs secs ?
- Avec cette chatte de plomb ?
"J'aime le jeu, l'amour les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un cur mélancolique"
"La jeune fille : J'aime ... rêver. J'aime dormir. J'aime bouger. J'aime rester immobile. J'aime le sucre et le poivre, la ville et la campagne, enfin tout ... que sais-je ?
Le haut-parleur : Oh! Oh! La Fontaine, Montaigne : voilà bien des citations !"
1968 c'était thèse-antithèse-foutaise
2018 ce sera thèse-antithèse-prothèse
"Les bourgeois, c'est comme les cochons.
Plus ça devient vieux, plus ça devient bêtes"
"J'ai arpenté tout l'univers - et je l'ai recouvert du tendre voile de l'ironie"
La théorie
"Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux"
"Le spectacle est le capital à un tel degré d'accumulation qu'il devient image"
La pratique
"Paris-Match retouche une photo trop atroce. C'est le corps d'une fillette en train d'être remontée d'un puits, où elle a été jetée après avoir été égorgée. La photo a été retouchée : la blessure a été estompée en grossissant la largeur du foulard qui entoure le cou, "pour ne pas choquer", indique en légende Paris-Match. "Avec l'Algérie, on a toujours le même problème : le spectacle est trop dur, explique le rédacteur en chef Gilles Martin-Chauffier. Mais cette photo dit tout. Graphiquement, elle est belle et elle traduit la tragédie de l'Algérie.""
L'amorale
Voici l'amère illustration d'un monde en traduction perpétuelle. Le cynisme graphique des manipulateurs d'images nous indique qu'aujourd'hui, chaque image porte en elle sa dose d'alcool numérique, son secret degré de falsification, plus ou moins traître. Dans cette entreprise du faux, on retouche comme on reprise des chaussettes pour qu'elles soient propres, agréables à voir, non trouées ! C'est dans la perte, la zone gommée, que gisent quelques éclats du vrai ! Les limites du spectacle sont truquées. "Fallacieux, du latin fallaciosus, habile ou habitué à tromper, plein de fourberie : la terminison de cet adjectif équivaut au superlatif de trompeur. Ce qui trompe ou induit à erreur de quelque manière que ce soit, est trompeur : ce qui est fait pour tromper, abuser, jeter dans l'erreur par un dessein formé de tromper avec l'artifice et l'appareil imposant le plus propre pour abuser, est fallacieux. Trompeur est un mot générique et vague; tous les genres de signes et d'apparences incertaines sont trompeurs : fallacieux désigne la fausseté, la fourberie, l'imposture étudiée; des discours, des protestations, des raisonnements sophistiqués, sont fallacieux. Ce mot a des rapports avec ceux d'imposteur, de séducteur, d'insidieux, de captieux, mais sans équivalent. Imposteur désigne tous les genres de fausses apparences, ou de trames concertées pour abuser ou pour nuire; l'hypocrisie, par exemple, la calomnie, etc. Séducteur exprime l'action propre de s'emparer de quelqu'un, de l'égarer par des moyens adroits et insinuants. Insidieux ne marque que l'action de tendre adroitement des pièges et d'y faire tomber. Captieux se borne à l'action subtile de surprendre quelqu'un et de le faire tomber dans l'erreur. Fallacieux rassemble la plupart de ces caractères. "
"A tous les moments de la vie,
Il convient de savoir jouir"