IRONIE numéro 24 (Octobre 1997)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> IRONIE numéro 24, Octobre 1997

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RÉSURGENCES

"{Maldoror} tire de sa poche un canif américain, composé de dix à douze lames qui servent à divers usages. Il ouvre les pattes anguleuses de cet hydre d'acier; et, muni d'un pareil scalpel, voyant que le gazon n'avait pas encore disparu sous la couleur de tant de sang versé, s'apprête, sans pâlir, à fouiller courageusement le vagin de la malheureuse enfant. De ce trou élargi, il retire successivement les organes intérieurs; les boyaux, les poumons, le foie et enfin le cœur lui-même sont arrachés de leur fondement et entraînés à la lumière du jour, par l'ouverture épouvantable. Le sacrificateur s'aperçoit que la jeune fille, poulet vidé, est morte depuis longtemps; il cesse la persévérance croissante de ses ravages, et laisse le cadavre redormir à l'ombre du platane. On ramassa le canif, abandonné à quelques pas. Un berger, témoin du crime, dont on n'avait pas découvert l'auteur, ne le raconta que longtemps après, quand il se fut assuré que le criminel avait gagné en sûreté les frontières, et qu'il n'avait plus à redouter la vengeance certaine proférée contre lui, en cas de révélation."

Lautréamont

Souvent, l'histoire des cruautés resurgit comme un mort vivant encore et veut bousculer une paix trop factice, un quotidien trop lisse. Pourquoi certains faits remontent-ils à la surface du temps présent ? Peut-on mesurer le temps d'incubation d'un fait quand on connaît la couveuse rassurante du refoulement collectif ? Certains faits sont venus hanter les sentiers balisés de l'histoire officielle. Devant tant de massacres, de tortures, c'est l'incom-préhension qui me gagne comme une gangrène. La résurgence des os meurtris des égouts du temps s'accompagne d'une interrogation sur l'être.

Tribunal international de La Haye (procès du Serbe D. Tadic)
Miro Bajramovic, criminel de guerre croate
Témoignage recueilli par Libération, 4/09/1997
Alexander Znovu

 

PASSION DE LA RÉSISTANCE

"Plus nous sommes attaqués par le néant qui, tel un abîme, de toutes parts menace de nous engloutir, ou bien aussi par ce multiple quelque chose qu'est la société des hommes et son activité, qui, sans forme, sans âme et sans amour, nous persécute et nous distrait, et plus la résistance doit être passionnée, véhémente et farouche de notre part. N'est-ce pas ?"

Hölderlin

 

LIGNE GÉNÉRALE

Les jours de pollution jouent le même rôle que les jours de grève : désen-gagement des rendez-vous, transports bondés, restez chez vous. Les entreprises acceptent un jour mort au nom d'une cause générale calculée par des capteurs ordinateurs. Les jours de pollution ont des lendemains qui sentent. L'essence de la grève disparaît sous un nuage de fumée opaque.

Li. D.

 

EUMOÏROS

"Mon ami Marc Aurèle, auteur grave et quelque peu pompeux, s'écrie quelque part : "Que la mort me surprenne quand elle voudra et où elle voudra, il dépend néanmoins de moi d'être eumoïros, c'est-à-dire un homme heureux. Car l'homme heureux est celui qui, durant sa vie, se forge à soi même un heureux lot."

W. J. Locke, Simon l'ironiste

 

L'HUMOUR IRONIQUE

"Je dirais que l'ironie, c'est dans l'art cette forme d'esprit qui arrache au lecteur ou à l'auditeur un sourire, un sourire intellectuel pourrait-on dire, alors que l'humour produit un rire qui jaillit du fond du cœur, c'est un effet que personnellement je préfère et que j'ai plus de plaisir à saluer dans ma propre production que le sourire érasmien provoqué par l'ironie. J'avoue - vous savez que j'ai beaucoup lu en public dans ma vie - que ce qui m'a toujours fait le plus plaisir, ce qui m'a comblé sur un podium, c'est quand ma lecture provoquait dans l'auditoire de francs éclats de rire."

Thomas Mann, Humour et ironie (1953)

 

L'ACTION D'ÉTAT

Ayez le sens de l'Etat, achetez des actions !

 

STATISTIQUE

"Un client sur trois ne tire pas la chasse d'eau sur l'autoroute A7"

France 2, Envoyé spécial, 4/09/1997

 

SAISON FROIDE ET SÈCHE :
SEXUALITÉ "FIN DE SIÈCLE"

-Vous êtes allée aux zobs secs ?
- Avec cette chatte de plomb ?

 

J'AIME

"J'aime le jeu, l'amour les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique"

Jean de La Fontaine, Les amours de Psyché et de Cupidon

 

J'AIME

"La jeune fille : J'aime ... rêver. J'aime dormir. J'aime bouger. J'aime rester immobile. J'aime le sucre et le poivre, la ville et la campagne, enfin tout ... que sais-je ?
Le haut-parleur : Oh! Oh! La Fontaine, Montaigne : voilà bien des citations !"

Jean Tardieu, La jeune fille et le haut-parleur

 


1968 c'était thèse-antithèse-foutaise
2018 ce sera thèse-antithèse-prothèse

 


"Les bourgeois, c'est comme les cochons.
Plus ça devient vieux, plus ça devient bêtes"

Jacques Brel, Les bourgeois

 


"J'ai arpenté tout l'univers - et je l'ai recouvert du tendre voile de l'ironie"

Heinrich Heine

 

LES FALLACIEUSES LIMITES DE
LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE

La théorie
"Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux"
"Le spectacle est le capital à un tel degré d'accumulation qu'il devient image"

Guy Debord, La société du spectacle (1967)

La pratique
"Paris-Match retouche une photo trop atroce. C'est le corps d'une fillette en train d'être remontée d'un puits, où elle a été jetée après avoir été égorgée. La photo a été retouchée : la blessure a été estompée en grossissant la largeur du foulard qui entoure le cou, "pour ne pas choquer", indique en légende Paris-Match. "Avec l'Algérie, on a toujours le même problème : le spectacle est trop dur, explique le rédacteur en chef Gilles Martin-Chauffier. Mais cette photo dit tout. Graphiquement, elle est belle et elle traduit la tragédie de l'Algérie.""

Libération, 5/09/1997

L'amorale
Voici l'amère illustration d'un monde en traduction perpétuelle. Le cynisme graphique des manipulateurs d'images nous indique qu'aujourd'hui, chaque image porte en elle sa dose d'alcool numérique, son secret degré de falsification, plus ou moins traître. Dans cette entreprise du faux, on retouche comme on reprise des chaussettes pour qu'elles soient propres, agréables à voir, non trouées ! C'est dans la perte, la zone gommée, que gisent quelques éclats du vrai ! Les limites du spectacle sont truquées. "Fallacieux, du latin fallaciosus, habile ou habitué à tromper, plein de fourberie : la terminison de cet adjectif équivaut au superlatif de trompeur. Ce qui trompe ou induit à erreur de quelque manière que ce soit, est trompeur : ce qui est fait pour tromper, abuser, jeter dans l'erreur par un dessein formé de tromper avec l'artifice et l'appareil imposant le plus propre pour abuser, est fallacieux. Trompeur est un mot générique et vague; tous les genres de signes et d'apparences incertaines sont trompeurs : fallacieux désigne la fausseté, la fourberie, l'imposture étudiée; des discours, des protestations, des raisonnements sophistiqués, sont fallacieux. Ce mot a des rapports avec ceux d'imposteur, de séducteur, d'insidieux, de captieux, mais sans équivalent. Imposteur désigne tous les genres de fausses apparences, ou de trames concertées pour abuser ou pour nuire; l'hypocrisie, par exemple, la calomnie, etc. Séducteur exprime l'action propre de s'emparer de quelqu'un, de l'égarer par des moyens adroits et insinuants. Insidieux ne marque que l'action de tendre adroitement des pièges et d'y faire tomber. Captieux se borne à l'action subtile de surprendre quelqu'un et de le faire tomber dans l'erreur. Fallacieux rassemble la plupart de ces caractères. "

Définition d'A.-L. Sardou, Nouveau dictionnaire des synonymes français
citée par Guy Debord dans Commentaires sur la société du spectacle (1988)

 


"A tous les moments de la vie,
Il convient de savoir jouir"

Goëthe, Le Divan


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