IRONIE numéro 53 (Mai 2000)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulièresironie@free.fr

> IRONIE numéro 53, Mai 2000

Page d'accueil
Supplément du numéro 53,
IRONIE : L'ART DU FEU.


L'IRONIE VÉRONIQUE

Elle est seule, très entourée de gens qu'elle a peur de regarder dans les yeux; elle a été éjectée d'un groupe; elle est blessée, délaissée; sur la défensive, défiante. Le couloir large de couleur crème baigne dans un halo clair de lumière beige, qui vient du haut, des verrières. Elle s'est rapprochée de la porte de la classe, elle se tient maintenant perpendiculairement à la porte. Elle se sent vague, posée là en trop, elle ne sait pas quoi faire d'elle. Elle est mal fagoté, ses cheveux font des nœuds, les lunettes sont de travers, elle ne se sent pas propre, peut être même qu'elle sent mauvais, sa figure est de travers, elle flotte dans le vide. Elle est toute cassée, avec des tâches suspectes et des recoins troués.

Pas loin dans le halo de lumière beige, une autre fille, Véronique, petite, brune, nette (à l'inverse d'elle, si floue, imprécise), toujours habillée en bleu marine - les pulls en V, les cols ronds du chemisier blanc, les jupes qui montrent le genou cagneux, elle n'a pas l'air d'avoir un âge, elle est sans âge, sans sexe - elle ne sera jamais une femme désirable, elle portera des jupes grises qui cacheront le genou, et les mêmes mocassins marronnasses. Ses cheveux nets et luisants sont coupés au carré, la frange est courte et découvre un visage comme le corps, comme les jambes, carré, sans grâce. Elle est la fille bien sous tous rapports, rien qui dépasse, elle a toujours tout ce qu'il faut, les accessoires sobres d'écolière sage, les habits neufs. Elle est la première de la classe, la conforme, la sage, elle ne fait pas de bruit, elle arrive en avance à l'école. L'autre est l'éternelle seconde, distraite et désordonnée, angoissée, turbulente, incertaine, négligée, négligeante, en retard.

La seconde s'est avancée face à la porte de la classe, la première rit sur la droite, fondue dans un groupe de filles. La seconde attend, désemparée, exaspérée que la porte de la classe s'ouvre, son lourd cartable moche au bout du bras endolori. La première est indiférente à la seconde, qui la méprise, elles ne se parlent jamais. La première jette parfois un regard moqueur sur la seconde.

Mais cette fois, comme dans un rêve, la première se détache du groupe de filles, il n'y a pas de doute, c'est bien vers la seconde qu'elle se dirige. La seconde se raidit, se recule paniquée comme il est clair que l'autre s'approche d'elle, très près. Véronique place son visage à quelques centimètres du sien, ses intentions sont énigmatiques : elle considère le pauvre visage surpris de la seconde comme si elle devait y décrypter un message. La porte de la classe s'est ouverte, les autres s'engouffrent dans le passage. Mais la première reste là, très près de la seconde : maintenant un fin sourire se dessine sur son visage épais. La seconde a peur, elle se retire tout au fond d'elle-même, la première va-t-elle exploser en une énorme et terrible moquerie irrémédiable et meurtrière; elle a toutes ses incertitudes au bord des lèvres, la tête tourne, le cœur se lève. La main gauche de Véronique s'approche très lentement de la joue droite de la seconde - va-t-elle la battre ? - puis se pose très délicatement, frôle la peau frêle, doucement, tendrement, longtemps. Les yeux noirs de Véronique sourient d'un insaisissable sourire, le coin droit de la bouche légèrement relevé, sous les sourcils levés le regard est bon, la paume de la main est chaude, mais quelque chose de grave plane dans son geste et dans son sourire, une douleur qui n'est pas une douleur d'enfant, une compassion mêlée d'une imperceptible et inattendue moquerie qui blesse et guérit en même temps. Véronique sourit gentiment à la détresse de la seconde et s'en moque sérieusement - comme si un mystérieux savoir lui permettait de voir au-delà des murs de l'école, de voir dans l'esseulement désolé de la seconde une chance sans fin.

Puis elle retire sa main, vite, entre dans la classe, c'est terminé. En apparence, tout recommence comme avant, leur indifférence réciproque. C'est passé comme un rêve, laissant la seconde perplexe, stupéfaite, fixant pour longtemps le visage grossier au fin sourire ironique, sentant pour toujours sur sa joue la brûlure de la caresse miraculeuse, inexpliquée, et à jamais honteuse, terriblement honteuse de son désarroi d'avant. Elle reste là, songeuse, peu importe la classe déjà commencée, peu importe le moment, le lieu. Quelque chose s'est passé qui a tout changé pour toujours. Quoi, un don, un cadeau à la fois méchant et infiniment tendre, quelque chose qui lui revenait, qui devait faire d'elle autre chose que "la seconde", que "l'incertaine", l'inachevé, la maladroite, la désordonnée, la pauvresse ? ...

Mais Véronique n'a rien donné, elle a seulement partagé un savoir qu'elle ne se soupçonnait pas d'avoir : les yeux noirs ont seulement vu sans avoir l'imposture de la seconde, sa complaisance envers ses propres misères lui cachant la vérité, le regard noir de Véronique a dévoilé sans crier gare à l'incertaine que quelque chose à tout moment peut s'ouvrir - qu'un souffle chaud peut se frayer une voie dans les déserts les plus glacés, que de l'indifférence la plus opaque peut revenir comme de très loin et pourtant de tout près une délivrante et ironique caresse.

Pascale Ormoy

 

STiGMateS

 

accordons nos violons
ne violons plus nos accords

l'orgasme organise mon nid

à la santé des phantasmes
où viennent se déphaser
les phasmes hantés

l'avide est maître

les barrières sont des salopes
tout juste bonnes à être sautées

un tueur est un tuteur
qui nous offre le thé

les plus bas prient les plus chers

le soleil & la lune
fréquentent le même quartier
& les étoiles donnent un peu
de profondeur au tableau

un nuage est un ange eu

cadavre : cadre de vie avarié

satan nuit & ça m'ennuie

un parisien qui prend du hasch
& le voici pharisien

si les saints ont si souvent
les yeux révulsés c'est peut-être
pour tenter d'apercevoir
l'auréole qu'ils ont derrière la tête

 

Textes : Jean-Bernard Thomas
Illustrations : Julia


Retour en tete de page