"La vraie connaissance consiste à adapter les empreintes tirées des impressions sensorielles au moulage ou à l'empreinte de la réalité supérieure dont les choses d'ici-bas ne sont que le reflet."
Jean-Philippe Baert
Empreinte de télévision n°6
de Mémona Hinterman
au journal télévisé "Soir 3" sur France 3
le 21/04/1995 à 23h10
D'abord, il faut faire le noir, fermer les rideaux, qu'aucun faisceau lumineux ne vienne de l'extérieur. C'est une pratique solitaire, sans interférence. L'objet est là, dans l'obscur, éteint, sans vie. Libéré de sa source ardente électrique, de ses photons, il ressemble à une pierre carrée, un cube. Incubation. L'installation tend vers le rituel : les feuilles glacées blanches et sensibles d'un côté, les liquides révélateurs et chimiques qui rendent un "visible" de l'autre. Rien n'est laissé au hasard, car il va jouer avec l'aléatoire, le désordre, la vitesse. Il pointe son doigt pour allumer la boite; et l'image sonore - d'inanité s'honore - habille d'un halo bleuté les murs de la pièce. Alors, attendant son heure, point précis du choix, il va tenter l'empreinte, tâcher de fixer le flux ininterrompu des images ou du moins ses traces. Son corps se poste en face de l'objet et entre en contact avec l'écran. D'un tour de main subtil, il applique sa feuille négative/positive pour subtiliser le je-ne-sais-quoi et le presque-rien des images télévisuelles.
Jean-Philippe Baert
Empreinte de télévision n°11
de Pierre Tchernia
à l'émission "Bouillon de culture" sur France 2
le 16/06/1995 à 23h10
L'empreinte est ""l'image dialectique" (...): quelque chose qui nous dit aussi
bien le contact {la feuille plaquée contre l'écran TV} que la
perte {l'absence de l'écran TV dans son empreinte}; quelque chose
qui nous dit aussi bien le contact de la perte que la perte du
contact. Et c'est au regard d'une telle conflagration que l'empreinte
nous impose de repenser certains modèles de temporalité" Georges Didi-Huberman - La ressemblance par contact.
L'accélération du temps de la représentation TV provoque l'obscur-cissement
du réel, un excès de visible. Ces empreintes réagissent contre
et permettent un décalage, une archéologie du présent, le plaisir
ironique d'un nouvel iconoclasme télévisuel avec ces flottements
spectraux presque abstraits. Plus d'appareil photo (la mise en
abîme du regard), juste prendre connaissance des choses à travers
l'expérience du corps, des mains : détachement tactile du voyeur.
Est : La singularité du photogramme par essence unique prend la multitude des images à contre-pied. Elle est une réponse iconoclaste à la saturation iconographique.
Le fondement : "Les traditions juridiques, théologiques et philosophiques (...)
avaient pressenti l'importance de distinguer l'image et la trace.
La distinction romaine d'imago (l'image) et de vestigium (littéralement
la plante du pied, par extension sa trace, son empreinte) avait
ouvert la voie." Pierre Legendre - Dieu au miroir.
Dans un monde d'imago, Jean-Philippe Baert crée un vestigium d'imago,
une base de mémoire qui montre la transpiration de l'essence humaine
par delà le technologique. L'empreinte ne se conçoit pas sans
ses corollaires, l'histoire et la mémoire.
Jean-Philippe Baert
Neige n°3
Empreinte de télévision, Mai 1994
Aléatoire : Ces photogrammes sont le produit des moyens internes, techniques de la télévision. Ils sont le témoignage de l'énergie électromagnétique qui fait pan à l'image télévisuelle, dans laquelle notre regard plonge trop facilement, excité par les pulsations des images, le scintillement des lignes et le papillotement des trames. L'écran de ces épreuves présente un visible invisible à l'il nu. Le temps de l'empreinte est variable, le résultat toujours aléatoire. La surprise de la prise n'offre jamais la même trace d'un mouvement. Cela reste un jeu avec les ondes.
Qui emprunte ? "J'appelle technique un acte traditionnel efficace (et vous voyez qu'en ceci il n'est pas différent de l'acte magique, religieux, symbolique)." Marcel Mauss - Manuel d'ethnographie. Une pratique de sorcellerie ludique enrobe ces empreintes : voler l'âme, capter l'esprit des visages pris. Vapeur vaudou, aura nébuleuse d'une radiation humaine, ces "vestiges" nous montrent une sorte d'inconscient télévisuel, forme fantomatique des impacts non-visibles, l'envers de l'écran hors temps : "The time is out of joint". Le temps est intraduisible.
Les scories : L'empreinte de TV est une trace, un résidu. Quoi voir ? C'est absurde ou étrange, quelques tâches de sperme sur un tableau noir ou de l'encre éparse sur une feuille vague; ou peut-être, assistons-nous à une expérience génétique, une culture microbienne de l'image ? Ces empreintes brouillent notre espace de référence et laissent à chacun le soin de trouver ses propres indices, la preuve matérielle de l'imperceptible. Elles ressem-blent aux expériences fumeuses des premiers délires photographiques : les optogrammes tâchés du Dr Vernois et les psychicônes flous du Dr Baraduc !
Jean-Philippe Baert
Empreinte de télévision n°18
de Henri Sannier
au journal télévisé "Soir 3" sur France 3
le 8/07/1995 à 23h15
De la télévision : Ces travaux se présentent comme un manifeste contre un système trop bien huilé où la télévision devient le moteur essentiel, une ironie de la télévision. L'objet télévisuel est vécu d'abord comme une matière première et ces empreintes renvoient la TV à son réel : une ampoule dans une boite, abat-jour moderne des solitudes !
"(...) Voilà pourquoi en frottant mes rêves sur le réel rugueux
j'ai su qu'il y a du clownesque dans l'inquiétant une bêtise des
monstres une perfidie de l'obtus (...)
dans la nuit la plus transparente
mais moi, la main dans la main avec la menace et le danger
je dompte l'inconnu qui est partout c'est à mon tour de rire
et de provoquer l'inépuisable Surprise (...)"
Jean-Philippe Baert expose ses empreintes à La Passerelle du 21/11/97
au 27/12/97
108 rue de Paris à Montreuil, Métro : Robespierre, Tél : 01 55
86 00 70