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Les écritures mystiques,
très variées et singulières, sont à revisiter
sous d'autres auspices que ceux des hérésies pathologiques,
des délires divins, de l'austère théologie. L'écriture
mystique est autre, plurielle. On y parle de chair, des sens, de l'esprit,
de l'âme, du Verbe, d'extase, d'expérience, de pensée
... du tout et du rien !
Chaque mystique tente d'entrer en conversation avec Dieu, de s'en rapprocher
afin que l'écart se réduise, jusqu'à disparaître
parfois.
Ce glissement d'égal à égal s'opère dans l'érotisme
et/ou la méditation.
Les mystiques peuvent-ils se contenter de cette conjonction suprême,
de ce contact privilégié avec Dieu ? Non. Ils poussent
leurs expériences jusqu'à l'écriture. Par leur jouissance
du verbe, ils retranscrivent l'accueil du Verbe à travers les sensations
de leur chair. Contagion du désir.
L'écriture mystique est une interrogation sensuelle du monde, un détachement,
quelquefois ironique, de l'être Dieu.
Les mystiques se regardent l'âme dans le miroir Dieu. Ils n'y voient
rien, ou tout, selon l'humeur de l'extase. Tout donner pour n'être rien.
Mais souvent, Dieu le tout ne donne rien. Basculement. Celui qui donne est
tout. Lorsque le mystique se sent tout, Dieu n'est rien ... rien que cette
femme désirée qui ne répond pas. Les mystiques sont les
troubadours de la belle Dieu qui joue avec son sexe béant, trou de
l'ineffable, de l'inénarrable, du rien fait tout.
"Haut dans les langues
de feu,
l'esprit créateur de la langue
est apparu aux croyants
et leur porta le don du Verbe."
"Le vrai détachement impassible signifie que l'esprit se tient impassible dans tout ce qui lui arrive, que ce soit agréable ou douloureux, un honneur ou une honte, comme une large montagne se tient impassible sous un vent léger. Rien ne rend l'homme plus semblable à Dieu que ce détachement impassible. Car que Dieu est Dieu, cela repose sur son détachement impassible : de là découle sa pureté, sa simplicité et son immutabilité. Si donc l'homme doit devenir semblable à Dieu (dans la mesure où l'égalité avec Dieu peut échoir à une créature) cela ne peut arriver que par le détachement"
"Je suis comme Dieu et
Dieu comme moi
Je suis grand comme Dieu, Lui petit comme moi;
Plus haut que moi Il ne peut être, ni moi plus bas que Lui."
"Dans chacun des hommes
il y a trois choses : la chair, l'esprit et la pensée. À
la chair se rattache la délectation, à l'esprit l'exercice de
la pensée, à la pensée le discernement. (...) Les articulations
sont les pensées, les moelles les intentions. D'abord les uvres
sont à l'extérieur comme la peau, ensuite la délectation
comme la chair, ensuite les pensées comme les os, ensuite l'intention
comme la moelle.
De même que la peau couvre la chair, les uvres couvrent la délectation;
et de même que les os étayent la chair, les pensées nourrissent
les désirs; et de même que les moelles sont intérieures
aux os, de même les intentions se cachent dans les pensées. Les
pensées sont aussi appelées articulations parce que d'une certaine
manière elles accouplent les désirs les uns avec les autres,
comme l'assemblage des membres est lié par les articulations. L'articulation
est en effet un lien qui est placé au milieu et joint les extrêmes.
Et de même les pensées, du fait qu'elles naissent des désirs
et engendrent les désirs, d'une certaine façon, en nourrissant
ceci et en engendrant cela, lient les deux choses ensemble. En effet, elles
semblent établir une connexion parce qu'elles sont produites par les
désirs et les désirs par elles."
"Quelquefois on sort des sensations corporelles et même on s'en sépare, de telle sorte que l'âme qui perçoit le Verbe ne se perçoit pas elle-même. Cela se produit lorsque l'âme, charmée par l'ineffable douceur du Verbe, se dérobe en quelque façon, ou plutôt est ravie et s'échappe à elle-même pour jouir du Verbe. L'esprit est affecté de cette façon bien différente selon qu'il porte des fruits pour le Verbe ou qu'il jouit du Verbe. (...) il est bien plus agréable de sortir dans l'extase et d'être avec le Verbe. Mais quand cela et combien de temps ? C'est un doux commerce mais un bref moment, je me souviens d'en avoir parlé : il s'agit pour l'âme de chercher avant tout le Verbe, pour en jouir selon son agrément. Quelqu'un persistera peut-être à me demander aussi ce qu'est jouir du Verbe. Je réponds : qu'il cherche plutôt pour le lui demander celui qui en a fait l'expérience."
"Dieu joue avec le créé
Tout est un jeu que la Déité se donne;
La créature, elle l'a conçue pour son plaisir."
"Voyez le démon
de mon âme et la malice de mon cur ! Ecoutez bien :
je suis l'hypocrisie, fille du diable; je me nomme celle qui ment; je me nomme
l'abomination de Dieu ! Je me disais fille d'oraison, j'étais
fille de colère, et d'enfer, et d'orgueil. Je me présentais
comme ayant Dieu dans mon âme, et sa joie dans ma cellule, j'avais le
diable dans ma cellule, et le diable dans mon âme. Sachez que j'ai passé
ma vie à chercher une réputation de sainteté : sachez
, en vérité, qu'à force de mentir et de déguiser
les infamies de mon cur, j'ai trompé les nations.
Homicide, voilà mon nom ! Homicide des âmes, homicide de
mon âme !"
"Je T'ai écrit
sans écrire
C'est plutôt à mon esprit que j'ai écrit sans écrire
Car rien ne sépare l'esprit de son Bien-Aimé
Fût-ce l'écart d'une lettre
Et toute lettre émanant de Toi, parvenant à Toi
Est une réponse sans renvoi de réponse"
"Amour : Eh bien ! très chère âme, que voulez-vous qu'il vous donne ? (...) Voudriez-vous recevoir de votre bien-aimé quelque chose qu'il ne convient ni à lui de vous donner, ni à vous de recevoir ? Calmez-vous, chère âme, si vous m'en croyez, car il ne donne à une créature rien d'autre que ce que vous avez, et ce don, il le fait comme il vous convient.
L'âme : (...) En effet, vous me disiez que de bien-aimé à bien-aimée, il n'y avait pas de seigneurie : alors qu'il y en a, à ce qu'il me semble, puisque l'un a tout et que l'autre n'a rien à côté de ce tout ! Mais si je pouvais arranger cela, je l'arrangerais, car si je pouvais autant que vous pouvez, je vous aimerais autant que vous valez.
Amour : Regardez ! très chère âme, vous ne pouvez plus parler ! Calmez-vous ! Votre volonté suffit à votre bien-aimé. Il vous ordonne par moi d'avoir confiance en lui, et il m'ordonne de vous dire qu'il n'aimera rien sans vous, ni vous non plus vous n'aimerez rien sans lui. C'est un bien beau privilège, et que cela vous suffise, chère âme, si vous m'en croyez.
L'âme : Au nom de Dieu, sire Amour, taisez-vous ! Car là-dessus je ne pourrais certainement pas, moi, me taire (...)"
"Amour, amour qui m'as
ainsi frappée,
je ne puis rien crier d'autre qu'amour;
amour, amour, je suis unie à toi,
je ne peux rien que t'embrasser;
amour, amour, tu m'as ravie de force;
mon cur toujours se dilate en aimant;
pour toi je veux me pâmer afin d'être unie à toi;
amour, par courtoisie, fais-moi mourir d'amour."
"Dieu ne sait pas de commencement
Tu veux savoir depuis combien de temps Dieu est;
Tais-toi, c'est si lointain, Il ne le sait Lui-même."
"Dieu n'a pas de pensées
Homme, Dieu n'a pas de pensées. S'Il en avait,
Il pourrait hésiter, ce qui ne saurait être."
"Si on aime Dieu en pensant qu'il n'existe pas, il manifestera son existence."
"Au premier degré on perçoit l'odeur de cette douceur céleste; au second, on la goûte; et au troisième quelquefois on la recueille et on la boit jusqu'à l'ivresse."
"{L'âme} est si enivrée de la connaissance de l'amour et de la grâce de la divinité pure, qu'elle est toujours ivre de connaissance et remplie des louanges de l'amour divin; et non seulement ivre de ce qu'elle a bu, mais entièrement ivre et plus qu'ivre de ce que jamais elle n'a bu ni jamais ne boira."
"Dans mon esprit tu es devenu comme du vin dansant"
"Il n'apparaît pas, il touche, et sa présence est d'autant plus délicieuse qu'elle ne se fait pas sentir à l'extérieur, mais au dedans. C'est le Verbe, qui ne s'entend pas, mais pénètre; il ne parle pas, il agit; il ne frappe pas les oreilles, mais enchante le cur de sa caresse."
"Il est très dur
de résister
Au goût du fruit."
"Sans jouissance rien
ne subsiste
Sans jouissance rien ne dure, Dieu doit jouir de soi;
Sinon son essence comme l'herbe sécherait."
"Ma détresse est
grande, inconnue des hommes
qui me sont cruels et voudraient m'interdire
ce but, où vont les forces de l'amour.
Ils l'ignorent et que puis-je leur dire ?
Je dois donc vivre (selon) ce que je suis :
ce qu'amour m'inspire,
c'est là qu'est mon être et j'y vouerai mon effort. (...)
Cet ordre que m'intime l'amour même,
jette mon esprit dans l'aventure :
c'est chose qui n'a ni forme, ni raison, ni figure,
mais que l'on peut éprouver clairement.
C'est la substance de ma joie,
ce vers quoi je ne cesse de tendre (...)
Il se manifeste en fuyant,
on le poursuit, on ne peut le voir :
ceci tient le cur dolent et vigilant."
"Ami, j'arrête là.
Si tu veux lire encore,
Va, toi-même deviens l'écriture et l'essence."
Citations réunies par Lionel Dax, Delphine Lesbros et Salvatore Spada