IRONIE numéro 32 - Supplément Ecritures Mystiques
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> Supplément du numéro 32, Ecritures Mystiques
Page d'accueil


Tache d'encreMOSAÏQUES MYSTIQUES

Les écritures mystiques, très variées et singulières, sont à revisiter sous d'autres auspices que ceux des hérésies pathologiques, des délires divins, de l'austère théologie. L'écriture mystique est autre, plurielle. On y parle de chair, des sens, de l'esprit, de l'âme, du Verbe, d'extase, d'expérience, de pensée ... du tout et du rien !
Chaque mystique tente d'entrer en conversation avec Dieu, de s'en rapprocher afin que l'écart se réduise, jusqu'à disparaître parfois.
Ce glissement d'égal à égal s'opère dans l'érotisme et/ou la méditation.
Les mystiques peuvent-ils se contenter de cette conjonction suprême, de ce contact privilégié avec Dieu ? Non. Ils poussent leurs expériences jusqu'à l'écriture. Par leur jouissance du verbe, ils retranscrivent l'accueil du Verbe à travers les sensations de leur chair. Contagion du désir.
L'écriture mystique est une interrogation sensuelle du monde, un détachement, quelquefois ironique, de l'être Dieu.
Les mystiques se regardent l'âme dans le miroir Dieu. Ils n'y voient rien, ou tout, selon l'humeur de l'extase. Tout donner pour n'être rien. Mais souvent, Dieu le tout ne donne rien. Basculement. Celui qui donne est tout. Lorsque le mystique se sent tout, Dieu n'est rien ... rien que cette femme désirée qui ne répond pas. Les mystiques sont les troubadours de la belle Dieu qui joue avec son sexe béant, trou de l'ineffable, de l'inénarrable, du rien fait tout.

Lionel Dax
 

Tache d'encre

"Haut dans les langues de feu,
l'esprit créateur de la langue
est apparu aux croyants
et leur porta le don du Verbe."

Bède le Vénérable, Hymne de la Pentecôte, VIIIème
 

Tache d'encreLE DÉTACHEMENT IRONIQUE

"Le vrai détachement impassible signifie que l'esprit se tient impassible dans tout ce qui lui arrive, que ce soit agréable ou douloureux, un honneur ou une honte, comme une large montagne se tient impassible sous un vent léger. Rien ne rend l'homme plus semblable à Dieu que ce détachement impassible. Car que Dieu est Dieu, cela repose sur son détachement impassible : de là découle sa pureté, sa simplicité et son immutabilité. Si donc l'homme doit devenir semblable à Dieu (dans la mesure où l'égalité avec Dieu peut échoir à une créature) cela ne peut arriver que par le détachement"

Maître Eckhart, Sermons, XIVème
 

Tache d'encre

"Je suis comme Dieu et Dieu comme moi
Je suis grand comme Dieu, Lui petit comme moi;
Plus haut que moi Il ne peut être, ni moi plus bas que Lui."

Angelus Silesius, L'errant chérubinique, XVIIème
 

Tache d'encreLE CORPS MYSTIQUE

"Dans chacun des hommes il y a trois choses : la chair, l'esprit et la pensée. À la chair se rattache la délectation, à l'esprit l'exercice de la pensée, à la pensée le discernement. (...) Les articulations sont les pensées, les moelles les intentions. D'abord les œuvres sont à l'extérieur comme la peau, ensuite la délectation comme la chair, ensuite les pensées comme les os, ensuite l'intention comme la moelle.
De même que la peau couvre la chair, les œuvres couvrent la délectation; et de même que les os étayent la chair, les pensées nourrissent les désirs; et de même que les moelles sont intérieures aux os, de même les intentions se cachent dans les pensées. Les pensées sont aussi appelées articulations parce que d'une certaine manière elles accouplent les désirs les uns avec les autres, comme l'assemblage des membres est lié par les articulations. L'articulation est en effet un lien qui est placé au milieu et joint les extrêmes. Et de même les pensées, du fait qu'elles naissent des désirs et engendrent les désirs, d'une certaine façon, en nourrissant ceci et en engendrant cela, lient les deux choses ensemble. En effet, elles semblent établir une connexion parce qu'elles sont produites par les désirs et les désirs par elles."

Hugues de Saint-Victor, La Parole de Dieu
 

Tache d'encre

"Quelquefois on sort des sensations corporelles et même on s'en sépare, de telle sorte que l'âme qui perçoit le Verbe ne se perçoit pas elle-même. Cela se produit lorsque l'âme, charmée par l'ineffable douceur du Verbe, se dérobe en quelque façon, ou plutôt est ravie et s'échappe à elle-même pour jouir du Verbe. L'esprit est affecté de cette façon bien différente selon qu'il porte des fruits pour le Verbe ou qu'il jouit du Verbe. (...) il est bien plus agréable de sortir dans l'extase et d'être avec le Verbe. Mais quand cela et combien de temps ? C'est un doux commerce mais un bref moment, je me souviens d'en avoir parlé : il s'agit pour l'âme de chercher avant tout le Verbe, pour en jouir selon son agrément. Quelqu'un persistera peut-être à me demander aussi ce qu'est jouir du Verbe. Je réponds : qu'il cherche plutôt pour le lui demander celui qui en a fait l'expérience."

Saint Bernard de Clairvaux, Sur le Cantique des cantiques, XIIème
 

Tache d'encre

"Dieu joue avec le créé
Tout est un jeu que la Déité se donne;
La créature, elle l'a conçue pour son plaisir."

Angelus Silesius, L'errant chérubinique, XVIIème
 

Tache d'encre

"Voyez le démon de mon âme et la malice de mon cœur ! Ecoutez bien : je suis l'hypocrisie, fille du diable; je me nomme celle qui ment; je me nomme l'abomination de Dieu ! Je me disais fille d'oraison, j'étais fille de colère, et d'enfer, et d'orgueil. Je me présentais comme ayant Dieu dans mon âme, et sa joie dans ma cellule, j'avais le diable dans ma cellule, et le diable dans mon âme. Sachez que j'ai passé ma vie à chercher une réputation de sainteté : sachez , en vérité, qu'à force de mentir et de déguiser les infamies de mon cœur, j'ai trompé les nations.
Homicide, voilà mon nom ! Homicide des âmes, homicide de mon âme !"

Angèle de Foligno, Le Livre des visions et instructions, XIIIème
 

Tache d'encreSANS RÉPONSE

"Je T'ai écrit sans écrire
C'est plutôt à mon esprit que j'ai écrit sans écrire
Car rien ne sépare l'esprit de son Bien-Aimé
Fût-ce l'écart d'une lettre
Et toute lettre émanant de Toi, parvenant à Toi
Est une réponse sans renvoi de réponse"

Hussein Mansour Al-Hallaj, Poèmes mystiques, Xème
 

Tache d'encre

"Amour : Eh bien ! très chère âme, que voulez-vous qu'il vous donne ? (...) Voudriez-vous recevoir de votre bien-aimé quelque chose qu'il ne convient ni à lui de vous donner, ni à vous de recevoir ? Calmez-vous, chère âme, si vous m'en croyez, car il ne donne à une créature rien d'autre que ce que vous avez, et ce don, il le fait comme il vous convient.

L'âme : (...) En effet, vous me disiez que de bien-aimé à bien-aimée, il n'y avait pas de seigneurie : alors qu'il y en a, à ce qu'il me semble, puisque l'un a tout et que l'autre n'a rien à côté de ce tout ! Mais si je pouvais arranger cela, je l'arrangerais, car si je pouvais autant que vous pouvez, je vous aimerais autant que vous valez.

Amour : Regardez ! très chère âme, vous ne pouvez plus parler ! Calmez-vous ! Votre volonté suffit à votre bien-aimé. Il vous ordonne par moi d'avoir confiance en lui, et il m'ordonne de vous dire qu'il n'aimera rien sans vous, ni vous non plus vous n'aimerez rien sans lui. C'est un bien beau privilège, et que cela vous suffise, chère âme, si vous m'en croyez.

L'âme : Au nom de Dieu, sire Amour, taisez-vous ! Car là-dessus je ne pourrais certainement pas, moi, me taire (...)"

Marguerite Porete, Le miroir des âmes simples et anéanties, XIVème
 

Tache d'encre

"Amour, amour qui m'as ainsi frappée,
je ne puis rien crier d'autre qu'amour;
amour, amour, je suis unie à toi,
je ne peux rien que t'embrasser;
amour, amour, tu m'as ravie de force;
mon cœur toujours se dilate en aimant;
pour toi je veux me pâmer afin d'être unie à toi;
amour, par courtoisie, fais-moi mourir d'amour."

Jacopone da Todi, Laudi, XIIIème
 

Tache d'encre

"Dieu ne sait pas de commencement
Tu veux savoir depuis combien de temps Dieu est;
Tais-toi, c'est si lointain, Il ne le sait Lui-même."
"Dieu n'a pas de pensées
Homme, Dieu n'a pas de pensées. S'Il en avait,
Il pourrait hésiter, ce qui ne saurait être."

Angelus Silesius, L'errant chérubinique, XVIIème
 

Tache d'encre

"Si on aime Dieu en pensant qu'il n'existe pas, il manifestera son existence."

Simone Weil, La pesanteur et la grâce, XXème
 

Tache d'encre

"Au premier degré on perçoit l'odeur de cette douceur céleste; au second, on la goûte; et au troisième quelquefois on la recueille et on la boit jusqu'à l'ivresse."

Saint Bonaventure, Soliloque, XIIIème
 

Tache d'encre

"{L'âme} est si enivrée de la connaissance de l'amour et de la grâce de la divinité pure, qu'elle est toujours ivre de connaissance et remplie des louanges de l'amour divin; et non seulement ivre de ce qu'elle a bu, mais entièrement ivre et plus qu'ivre de ce que jamais elle n'a bu ni jamais ne boira."

Marguerite Porete, Le miroir des âmes simples et anéanties
 

Tache d'encre

"Dans mon esprit tu es devenu comme du vin dansant"

Rûmî, Rubâi'yât
 

Tache d'encre

"Il n'apparaît pas, il touche, et sa présence est d'autant plus délicieuse qu'elle ne se fait pas sentir à l'extérieur, mais au dedans. C'est le Verbe, qui ne s'entend pas, mais pénètre; il ne parle pas, il agit; il ne frappe pas les oreilles, mais enchante le cœur de sa caresse."

Saint Bernard de Clairvaux
 

Tache d'encre

"Il est très dur de résister
Au goût du fruit."

Hildegarde de Bingen, Louanges "Symphonie des vierges", XIIème
 

Tache d'encre

"Sans jouissance rien ne subsiste
Sans jouissance rien ne dure, Dieu doit jouir de soi;
Sinon son essence comme l'herbe sécherait."

Angelus Silesius, L'errant chérubinique, XVIIème
 

Tache d'encre

"Ma détresse est grande, inconnue des hommes
qui me sont cruels et voudraient m'interdire
ce but, où vont les forces de l'amour.
Ils l'ignorent et que puis-je leur dire ?
Je dois donc vivre (selon) ce que je suis :
ce qu'amour m'inspire,
c'est là qu'est mon être et j'y vouerai mon effort. (...)
Cet ordre que m'intime l'amour même,
jette mon esprit dans l'aventure :
c'est chose qui n'a ni forme, ni raison, ni figure,
mais que l'on peut éprouver clairement.
C'est la substance de ma joie,
ce vers quoi je ne cesse de tendre (...)
Il se manifeste en fuyant,
on le poursuit, on ne peut le voir :
ceci tient le cœur dolent et vigilant."

Hadewijch d'Anvers, Poèmes spirituels, XIIIème
 

Tache d'encreFINAL

"Ami, j'arrête là. Si tu veux lire encore,
Va, toi-même deviens l'écriture et l'essence."

Angelus Silesius, L'errant chérubinique, XVIIème
 
 
 

Citations réunies par Lionel Dax, Delphine Lesbros et Salvatore Spada


Retour en tete de page