IRONIE numéro 41 - Supplément Goethe inédit, premier volet.
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> Supplément du numéro 41,
Poésies de Goëthe, traductions inédites en France, érotiques et ludiques, présentées par V. Rechaliev.

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IRONIE numéro 41, Avril 1999


IRONIE : LEV(V)IT(Z)1 DE GOETHE

Les épigrammes vénitiennes2

La grande partie de ces épigrammes furent écrites lors du deuxième séjour de Goëthe à Venise en 1790 à l'âge de quarante ans.

Si le premier dans la fureur de la découverte l'avait comblé, il semble que le deuxième lui apporte beaucoup moins de satisfaction. Il devait y retrouver la mère du duc de Weimar, Anna Amalia, de retour de Rome, qui souhaitait qu'il fût son guide.

Goëthe apparemment démuni de suffisamment de livres et de documents de travail, s'ennuyait ferme en attendant la princesse. Mécontent, c'est dans un certain état de désœuvrement qu'il aurait écrit la plupart des Epigrammes Vénitiennes. Les plus présentables sont publiées dès 1795, les plus manifestement érotiques seront réservées pour une publication posthume par l'auteur lui-même.

Un siècle avant Mort à Venise et les visions dépourvues d'illusions sur la cité des Doges de D.H. Lawrence et de Henry James, les Venetianischen Epigramme amers, critiques, sont empreints d'une constante ironie.

L'épigramme, "petite pièce de vers du genre satirique se terminant par un trait piquant" est un genre très ancien qui a partie liée avec l'érotisme.

Dès le premier siècle3 de telles pièces, anonymes, figuraient sur les statues du dieu de Lampsaque ou sur les murs de ses chapelles. Légers, souvent licencieux, ces poèmes s'adressaient aux passants le long des jardins dont le dieu Priape était censé assurer la surveillance.

Imagine-t-on le grand Goëthe se livrer à son tour à ce genre d'exercice ?

Accompagnées de dessins sans équivoque qui semblent sortis du livre d'Eléphantis4, les épigrammes de Goëthe reprennent le rythme et la syntaxe des modèles anciens jusque dans le questionnement toujours présent comme une scansion priapique incessante. L'"Hymen t'a-t-il abandonné ?", le "ce qui m'inquiète le plus ?" ou "quel émoi m'habite ?" résonnent en écho à la question des textes du premier siècle où il est ici question de Mercure, le messager des dieux qui a de "jolies chevilles" :

Dans l'un de ces épigrammes antiques on trouve peut-être la clé de la combinaison étroite de ces textes et de ces dessins :

C'est ainsi que l'auteur anonyme lie de manière aussi ludique qu'émouvante le sort de ses propres épigrammes aux dessins lestes et licencieux qui désormais les accompagneront le plus souvent comme en témoignent les planches des Monuments du culte des dames romaines5 qui ont une évidente parenté avec les dessins bien sûr plus modernes des eaux fortes de Carl Heinz Roon réalisés d'après la collection de gemmes du poète qui accompagnent les Venetianischen epigramme.

Le poète de Weimar restera plus allusif que ses antiques modèles, répugnant peut-être à des calembours, certes graveleux mais tellement délicieux comme ce rébus mythologique :

Respectons cette distance d'avec son modèle qui était au moins autant gaulois que romain et rendons grâce à l'auteur des Elégies de Marienbad de nous avoir éclairés sur le mystère des Vénitiens qui ont toujours "l'air pâle et fatigué".

V. Rechaliev





  1. Le Witz, selon Schlegel, est "une explosion d'esprit comprimé", "la manifestation, l'éclair extérieur de l'imagination". Sa traduction n'est pas évidente. Le Witz s'apparente à une plaisanterie, un mot d'esprit, une touche d'humour. Il trouve dans le terme "saillie" un équivalent français teintant d'une pointe d'érotisme son rire. La saillie (Witz) a pour objet la liberté et donne de l'élasticité et de l'électricité au style.
  2. Ces épigrammes de Goëthe inédites en France sont traduites et présentées par V. Rechaliev
  3. Les jeux de Priape. Anthologie d'épigrammes érotiques choisies, traduites du latin et présentées par Florence Dupont et Thierry Eloi
  4. Sorte de Kama Sutra antique
  5. Paris 1787, Bibliothèque Nationale


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