IRONIE numéro 47 - Supplément "IRONIES : LA FEINTE TRINITÉ"
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> Supplément du numéro 47,
IRONIES : LA FEINTE TRINITÉ.


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IRONIE numéro 47, Novembre 1999


IRONIES : LA FEINTE TRINITÉ

 

BROUHAHA VOLATIL

Faux débat ou tragironie
Saynète médiologique en 1 acte
Sur le plateau d'une chaîne de télévision

avec Messieurs
Bourdieu
Debray
Sollers


Bourdieu à Sollers, sûr de lui : "Sollers tel quel, tel qu'en lui-même, enfin. Etrange plaisir spinoziste de la vérité qui se révèle, de la nécessité qui s'accomplit ..."
Sollers à Bourdieu, clin d'œil à Debray : "Bourdieu, en style stalinien typique : renégat, vipère lubrique, hyène dactylographe, prostitué notoire, etc ... On connaît la chanson."
Debray, pincé sans rire : "Le médiologue a du goût pour le Sollers. Son côté lapin agile, jubilatoire et bon enfant; la faconde du polisson à sarbacane, plus doué que la moyenne; sa vivacité chuchoteuse et fureteuse, apte à trancher de tout, au culot, généreusement. Il n'en a guère, en revanche, pour la querelle d'auteurs, brouhaha volatil et sans âge, bruit de fond corporatif ... Se voler dans les plumes fait partie des divertissements de la vie à la ferme, et nous sommes, vus de loin, la même volaille."
Bourdieu à Sollers, sur le ton de la confidence : "Ce sont des choses très compliquées où on ne peut faire avancer réellement la connaissance que par un travail empirique très important (ce qui n'empêche pas certains détenteurs auto-désignés d'une science qui n'existe pas, la "médiologie", de proposer, avant même toute enquête, leurs conclusions péremptoires sur l'état du monde médiatique)."
Sollers à Bourdieu, sur un ton plus condescendant : "Ce qui est touchant, chez Debray, c'est qu'il ne sait toujours pas où il est. Il en plaisante lui-même, avec une délectation morose. Ses professeurs ont-ils été les bons, ou bien figés (on peut le penser) dans le style Troisième République ? Ses livres ne sont-ils pas trop dispersés, existent-ils, à leur place, dans les bibliothèques ? La médiologie est-ce bien sérieux ? Les allergies de Debray : Lacan, Debord. Et moi, je suppose (pas un mot, lourd silence). Julien Gracq, pour finir, le reçoit gentiment, mais ne lui dit pas grand-chose. Ah, être un "grand écrivain" ! On peut rire, ce n'est quand même pas rien. Le livre qui fait la différence, où est-il ? Etre anti-vénitien ne porte pas chance."
Debray, rouge de colère, prenant à témoin la caméra : "Le Sollers, infatigable jouvenceau, continue de dégainer illico et repart, flamberge au vent, tête à queue, sans regarder une fois par-dessus son épaule. Certains font la pause entre deux coups de sifflet. Pas lui. (...) Mais, outre l'éternel échantillon aux effervescences attendues (le "gendelettre") que Pierre Bourdieu, non sans quelque abstraction - la généralité étant le péché mignon des sociologues - a rangé récemment dans la catégorie "simili et pseudo", cette figure récurrente du paysage parisien présente pour nous un intérêt plus singulier, qu'on dira barométrique. Derrière le microcosme "rive gauche" et la fausse désinvolture, immuable toile de fond, se tient le traceur de l'air du temps, le nôtre en général, qu'on soit provincial ou parigot, moisi ou frais."
Sollers, récitant un bel air du temps :

Voix off venant de la Régie :
"Il n'est pas impossible aujourd'hui de négliger le fait
que l'usage intensif du spectacle a, comme il fallait s'y attendre,
rendu idéologue la majorité des contemporains,
quoique seulement par saccades et par fragments.
Le manque de logique,
c'est-à-dire la perte de possibilité de reconnaître instantanément
ce qui est important et ce qui est mineur ou hors de la question;
ce qui est incompatible ou inversement pourrait bien être
complémentaire;
tout ce qu'implique telle conséquence et ce que, du même coup, elle interdit;
cette maladie a été volontairement
injectée à haute dose dans la population
par les anesthésistes-réanimateurs du spectacle.
"

Debray à Bourdieu, faisant le fanfaron : "Musique ! Musique ! Notre homme est le premier à ricaner de ses pitreries, à se parodier, à en rajouter, clin d'œil et sourire en coin. L'époque change de chemise, lui aussi, quelle importance ? Laissons l'écume aux cuistres et aux idéologues. Seul compte le rythme, l'Ecriture. Elle a bon dos. On l'y croit au comble de l'audace. Il y poursuit la sage aventure d'un bourgeois séculaire. Il s'imagine incarner La Littérature, convaincu d'en avoir le monopole, qui tient l'affiche, tient la corde."
Sollers à Bourdieu, débonnaire, petit sourire à la caméra : "Agacement ? Non. Commisération, plutôt. Le problème de Debray, c'est l'Ecole et encore l'Ecole, le vieux rêve des professeurs de régner sur les écrivains (même symptôme de ressentiment fondamental chez Bourdieu). Ils rêvent tous de Sartre. Alors qu'il s'agit précisément de fuir la Famille, l'Ecole, l'Armée, les Partis, la pesanteur, l'ennui. On a parfois l'impression qu'il n'est rien arrivé de personnel à Debray. Il est vrai qu'il n'est pas le seul (les "intellectuels" sont empêtrés dans cet embarras subjectif, il les résume)."
Bourdieu à Debray, l'air docte : "Faire semblant d'être écrivain, ou philosophe, ou linguiste, ou tout cela à la fois, quand on n'est rien et qu'on ne sait rien de tout cela; quand, comme dans l'histoire drôle, on connaît l'air de la culture, mais pas les paroles, quand on sait seulement mimer les gestes du grand écrivain, et même faire régner un moment la terreur dans les lettres. Ainsi, dans la mesure où il parvient à imposer son imposture, le Tartuffe sans scrupules de la religion de l'art bafoue, humilie, piétine, en le jetant aux pieds du pouvoir le plus bas, culturellement et politiquement - je pourrais dire policièrement - tout l'héritage de deux siècles de lutte pour l'autonomie du microcosme littéraire; et il prostitue avec lui tous les auteurs, souvent héroïques, dont il se réclame dans sa charge de recenseur littéraire pour journaux et revues semi-officiels, Voltaire, Proust ou Joyce."
Sollers à Debray, enjoué : "A une réunion du Monde, hier, j'ai jeté un froid en disant que je trouvais Bourdieu un écrivain médiocre. C'est pourtant évident. Aucune sensibilité à l'art ou à la littérature. Mais j'ai eu tort de le dire, j'avais oublié que je n'étais pas là comme écrivain (d'ailleurs, dans le Spectacle, et c'est logique, je ne suis jamais là comme écrivain, ce serait une faute de goût de ma part)."
Debray exténué, presque en pleurs : "Le Sollers refait le coup au Bourdieu, mot pour mot."
Sollers à l'attaque, hors-les-Lois : "Ça trotte, ça pond, c'est qu'ils en tripotent tous les profs nouveaux, l'enssaignant saigné sur ses grands chevaux, l'hystérosouzof du connu réglo ! (...) faut des trucs tout neufs, d'la philonalyse, d'la psychosaphie, de l'oraculisme et du laquoinisme. Donnez-leur du marx, du lénine en rond, abstrayez-moi ça, capital-patron ! Y a quand même moyen de se les avoir, les petits-bourgeois qui voudraient savoir ! Defreudez-moi ça en frimé miroir, ouvrez-leur l'accès à nos sublimoirs - je propose en vrac de classer les cracs qui se font entendre dans le champ socio :
le bourjus catho
le bourjus testant
le bourjuristo
le bourjus clopant
bourjus père en fils
bourjuse à matrice
le bourjus scrupule
le bourjus crapule
bourjusbertinage
bourjusvinsfromages"
Bourdieu : "Simulacre de la littérature"
Debray : " De plus en plus médiocre à l'écrit"
Sollers, continuant de plus belle :
"le faschifascho
le fascho fascho
le bourjus droitier
le bourjus centré
tartuffé curé
le petit-bourjus
toujours mal au cu
dans son être-pus
à sous-cu respect
l'arnacho fascho
le social fascho
chauviné franco"
Debray, hystérique : "Ludion du bocal (...) danseur du système"
Bourdieu, cynique : "Courtisan cynique (...) massacre de la littérature"

Voix off venant de la Régie :
"Les contestataires n'ont été d'aucune manière
plus irrationnels que les gens soumis.
C'est seulement que, chez eux,
cette irrationalité générale se voit plus intensément,
parce qu'en affichant leur projet,
ils ont essayé de mener une opération pratique;
ne serait-ce que lire certains textes
en montrant qu'ils en comprennent le sens.
Ils se sont donné diverses obligations de dominer la logique,
et jusqu'à la stratégie, qui est exactement le champ complet
du déploiement de la logique dialectique des conflits;
alors que, tout comme les autres, ils sont même fort dépourvus
de la simple capacité de se guider sur les vieux instruments imparfaits
de la logique formelle.
"

Sollers, peiné : "Il ne sert plus à rien de produire une démonstration puisque la police cléricale la reverse illico dans le pur symptôme subjectif, qu'il soit psychologique, sexuel, sociologique, ou politique. Cela est quasiment quotidien (voir Debray (...) le médiologue scout ressentimental)."
Bourdieu à Debray, évitant l'œil de la caméra : "Il est l'incarnation idéaltypique de l'histoire individuelle et collective de toute une génération d'écrivains d'ambition, de tous ceux qui, pour être passés, en moins de trente ans, des terrorismes maoïstes ou trotskistes aux positions de pouvoir dans la banque, les assurances, la politique ou le journalisme, lui accorderont volontiers leur indulgence. Son originalité, - parce qu'il en a une : il s'est fait le théoricien des vertus du reniement et de la trahison, renvoyant ainsi au dogmatisme, à l'archaïsme, voire au terrorisme, par un prodigieux renversement auto-justificateur, tous ceux qui refusent de se reconnaître dans le nouveau style libéré et revenu de tout."
Sollers à Bourdieu : "Bouffée délirante, accompagnée de l'accusation de "prostitution". Discours stalinien typique (et comique).
Debray à Bourdieu, conciliant : "Ce n'est pas un méchant bougre mais enfin, le problème n'est pas, n'a jamais été type bien ou pas bien, ce catéchisme-ci ou celui-là. (...) Dommage. Le Sollers avait tout pour devenir un vrai bon, et non le faux grand qu'il a mis en circulation sous le masque. Style, antennes sensibles, faim de travail, que lui a-t-il manqué ?"
Sollers à Debray : "Dans le même registre, à peine plus stalinoïde, ou serbe (...) Bref, on n'a pas à se plaindre : ça chauffe à la caserne"

Voix off venant de la Régie :
"Dans le monde {faussement} renversé, le {faux} est un moment du {vrai}"


Rideau

 

 


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