IRONIE numéro 54 - Supplément "Ironie : l'Art du maujoin"
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> Supplément du numéro 54,
IRONIE : L'ART DU MAUJOIN.


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IRONIE numéro 54, Juin 2000


IRONIE : L'ART DU MAUJOIN

Extraits du recueil poétique de Françoise Dax-Boyer
L'art du maujoin - Traité de langue
publié aux 2ditions de l'Amandier en juin 2000
56, Boulevard Davout - 75020 Paris

 

Mot joint pour le lecteur en guise d'avertissement

Maujoin, maujoint, maujoinct ... que d'orthographes, lecteur, pour un nom si singulier ! Mal joint, tel est le sexe de la femme, devenu maujoint par la magie de la langue française éprise, comme toujours, d'un sentiment de jouissance, souligné par Michel Leiris cinq siècles plus tard :
   "Jusqu'où (en jouant) se hissent mes sens".
Volonté de renouer avec ce fil de télépathie sensuelle qu'a d'abord dévidé Marot avec sa Ronde des Barbiers auxquels il disait :
   "Vous en irez besongner chauldement
   En quelque estuve, et là gaillardement
   Tondre maujoinct ou raser Priapus, Povres Barbiers.
"

 

Semaine érotique

Lundi
Jour de pleine lune
 
  Devant le feu de bois
des braises
un fauteuil de cuir
la pivoine épanouie
la levrette réussie.
Eh oui ! C'est déjà fini !
Vendredi
Jour de Vénus
 
  Le canapé de la salle d'eau
manucure pédicure
lait sur le corps sans remords
bracelet autour de la branche fleurie
tige gonflée de lait
dans l'anis étoilé
il pleut sur les nuages
bain de volupté après l'extase
l'eau sale jusqu'à la blancheur !

Marée haute

Dune blanche
cabane de pêcheur
vent d'est

Noces, ivresse
la grande nudité
le ciel lavé

Bruissement d'ailes
sous les tamaris

pluie d'avril

Un goût d'embrun
dans la gorge de braise
gai rire

Sous-bois

Un ours blanc
dans un ciel lilas
tout vacille

Contre la cognée
poussée de fièvre
pin brûlé

Le Bout du Pont

Le poisson frétille
à l'ombre des libellules
chute d'eau

Le feuillage ocre
odeur de latrines
sur le nuage

Matin

La montée vers la cime
sous l'édredon
souffle de vit

La main sur la bouche
crisse l'épée
coulée de maujoin

La recette de Rauschenberg I

Pressez doucement
sous vos mains
deux tendres melons

Au cœur de la fleur
vole un papillongoûtez les fruits
beau fixe

Humez
l'odeur marine
de la fraise des bois

Restez dans l'antre
goûtez les fruits
au goût de pluie

La recette de Rauschenberg II

Caressez doucement
la nymphe fine de nacre
jusqu'à l'infini

Si étroite qu'elle soit
plongez votre dard
dans l'anémone

Maquereau barbu
nagez entre ses cuisses
vers son bigorneau charnu

Léchez le bout saumon
de ses coques
et frétillez !

 

Consonnes érotiques I

La bouche et le bouge
La chatte et la chair
Le dard et le destin
La fleur et le festin
Le gland et la gloire
La langue et le lit
La mort et la morsure
La peau et la pensée
Le rire et le rut
La vulve et la vie.

Consonnes érotiques II

La bataille et le baiser
Le cri et le corps
La danse et le désir
La folie et la fée
Le jet et le jeu
La main et la musique
Le nu et le nid
Le ru et la rive
Le sang et le suc
Le temps et la touffe.

 

Variations ... à demain

  à Giovanni

Sous les planches le clapotis de l'azur
plein vent plain lac plein sud.
Sur le ponton deux corps enlacés
fraîcheur de l'air et du secret,
douceur de la main qui sait
faire fleurir au bout du gué
le premier cri de l'homme
le premier
temps adamique
et le silence après.
Douceur de la bouche qui sait
faire fleurir le bouton de rose
le second cri de la femme
le second
temps adamique
et le silence après
plein vent plein lac plein sud.

 

 
C'était sur une autre planète
sous le soleil
exactement.
 
 

Sur les bords de ce fleuve, faussement séparés,
nous avons attendu.
Entre les rives sinueuses qui sont deux lèvres
entr'ouvertes, des pierres sont posées
pour franchir à gué le passage, pendant que
tendent vers la mer le nuage, le sang et le sable.

O gué ! O gai frisson des eaux !
Nous avançons à notre rencontre pour défier la
fuite du temps, et nous retrouver confondus en
un seul être à deux visages.

Traverser les vergers,
gagner la clairière par vent léger
et se glisser sur les bobines de foin.
Voir les feuilles de sureau à l'envers,
l'éclat pourpre du soleil et des drupes
écrasées sur ta peau,
le sang des ronces couler sous ma langue
la bouche gourmande chercher la source
où boire le suc de la vie
étouffer d'un baiser la montée des soupirs
avant de s'enfoncer dans les voiles de soie
pour capter la lumière bue.
Fermer les yeux, voir les lueurs de la nuit
annoncer notre chute.
Ecouter le cri du héron
le baiser de la carpe
le silence du jour.
 
  Ce n'était pas le fleuve mais la forêt
profonde, plus surprenante encore,
bien au-delà du temps.
Ils étaient côte à côte pour traverser la nuit,
et les yeux fermés sur leur double plaisir,
ils retenaient à peine leurs souffles.
"Viens, viens !" murmurait-elle
et moi : "Je te rejoins."
Soudain leurs deux regards s'ouvrirent sur
le jour, la clairière était là avec toute la vie
et toute la beauté.
Alors, de sa voix d'ange elle dit en riant :
"Ouf ! Nous sommes sauvés."
C'était sur une autre planète
sous le soleil
exactement.
 
  Françoise Dax-Boyer


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