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Supplément du numéro 59, Lettre Ouverte aux Ministres de la Culture et de l'Éducation, Projet de Loi pour une Société Artiste. |
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IRONIE numéro 59, Décembre 2000 |
Peinture AAA - 2000
Automatisme Auto-Analytique
L'art
n'est pas mort, il est partout
Adrien Pwatt
« Portez vos yeux attentivement non plus sur ce qui a l'air d'être de l'art mais sur ce qui n'en a pas l'air du tout et pourtant est prêt à le devenir si vous savez le faire fonctionner : devenez inventeurs des inventions ! Il en surgit de tous côtés, grosses de potentialités merveilleuses et dont personne ne fait usage : elles disparaissent sans laisser trace ni souvenir pendant que bat son plein la foire aux ouvres creuses. Il y en aurait du reste des inventions bien plus encore si cette foire aux ouvres creuses ne menait si grand tapage, qui décourage le novateur. Mais peut-être est-ce à quoi on vise ? Les novations sont toujours suspectes, procédant de l'indiscipline et de la turbulence, et ce n'est pas pour rien que le Prophète chassait de son royaume musiciens et poètes. On a trouvé mieux maintenant ; c'est de célébrer en pompe un faux semblant d'art pour étouffer le vrai. C'est de quoi sont chargés dans les nations bien gouvernées les corps constitués de la Culture. »
Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants (1963)
« Pas d'art sans ivresse. Mais alors : ivresse folle ! que la raison bascule ! délire ! le plus haut degré du délire ! plongée dans la brûlante démence ! Bien plus loin qu'aucun alcool ne va ! L'art est la plus passionnante orgie à portée de l'homme. »
Jean Dubuffet - Prospectus et tous écrits suivants (1946)
« La
production d'art ne peut se concevoir qu'individuelle,
personnelle et faite par tous, et non pas déléguée à
des mandataires. »
Jean Dubuffet - Désaimantation des cervelles (1968)
Au
vu et au su de notre époque, et grâce aux nombreuses enquêtes
sociologiques organisées par l'association « Arts pour tous,
tous pour Arts », nous considérons, qu'aujourd'hui, l'envie
de créer dépasse toutes les espérances de nos concitoyens.
Les êtres soumis à un travail répétitif et usant
se tournent volontiers vers l'art pour exprimer leurs angoisses ou leurs désirs.
Le sens des existences, avec la productivité croissante d'objets inutiles
au bien-être, s'est considérablement appauvri. Les possibilités
de liens entre les êtres, les aventures collectives, sont de plus en
plus compliquées tant la vanité des uns et des autres fomente
des conflits irréparables. L'amitié, superbe vertu, en pâtit,
et l'amour seul nous sauve d'une vie morne. Tout le monde rêve en secret
de laisser sa trace ICI, transmettre quelque chose pour que le Nom ne s'engloutisse
pas dans les sables mouvants du temps. Bien sûr, il existe la procréation,
de plus en plus aidée par la technique. Seulement, reproduire la vie
nous enchante de moins en moins. Avoir un enfant aujourd'hui est jugé
comme une perte de temps, un sacrifice à notre jeunesse de plus en
plus longue, à nos plaisirs de plus en plus sophistiqués, un
frein à notre indépendance, en fait, un investissement peu rentable.
Alors, tous les fantasmes de gloire et de postérité
se focalisent sur l'univers sacré de l'Art qui remplace toujours un
peu plus celui de Dieu. Pourquoi cette convoitise généralisée
sur les choses de l'Art ? Le travail nous prend beaucoup de temps et cela
pour gagner encore plus d'argent afin de satisfaire des loisirs " originaux
", des voyages extraordinaires, des plaisirs illicites... Nous courons
après un temps vierge pour l'offrir à notre imagination. Combien
de fois par semaine pestons-nous contre une société qui nous
empêche d'avoir du temps pour créer en toute liberté ?
Nous nous sentons prisonniers et pourtant nous jugeons le travail indispensable.
Trouver des miettes de temps reste notre unique problématique et lorsque,
par force ou hasard, nous obtenons un sursis, nous nous sentons désarmés
devant le silence d'une page blanche. Nous aimons d'autant plus l'Art que
nous détestons ceux qui prennent tout leur temps à cela. Igitur,
nous préférons nous remettre à travailler et ranger bien
au fond de nos cerveaux nos insignes frustrations. Néanmoins, l'Art
clignote dans nos têtes ; nous nous sentons du génie par moment
; et le néon charmeur de la destinée artistique nous chatouille
les neurones. Chacun se sent l'âme d'un artiste : un ingénieur
s'ingénie à peindre, un ouvrier sculpte, une avocate compose
des airs au piano, un adolescent écrit des vers... Chacun utilise son
entité artiste pour briller et exhiber sa sensibilité. Untel
s'auto-proclame écrivain en s'auto-publiant, untel s'auto-nomme peintre
en exposant ses toiles dans son salon. Il est grand temps d'officialiser ce
qui s'est généralisé parce que cette masse d'artistes
à mi-temps est fondamentalement déçue. Elle croit que
les circuits de diffusion ne fonctionnent plus au mérite, que tout
est vérolé par les pistons, l'argent et les stratégies
de pouvoir. Tous ces artistes en puissance vivent dans l'espoir d'être
un jour placés au Panthéon des artistes maudits, distingués
après leur mort. Ils parlent de l'incompréhension de leurs contemporains,
d'un monde étriqué qui ne reconnaît plus ses génies...
Voici pourquoi nous pensons qu'il est temps, à l'aube du troisième
millénaire de provoquer un changement radical de société
par une réforme simple, dynamisante : Instaurer une journée
par semaine consacrée aux Arts.
Le concept d'Art s'est indéniablement élargi depuis l'offensive salvatrice de Marcel Duchamp. Une cerise sur un gâteau, un cochon pendu au plafond et un tas d'autres ouvres continuent d'ouvrir l'Art à l'improbable... Depuis longtemps, l'Art ne s'apprend plus dans les Académies. Le succès de l'Art Brut a démontré que même des paysans se trouvaient l'âme d'un Picasso. L'Art n'est plus assujetti à une classe sociale déterminée. Il se développe aussi bien dans les demeures bourgeoises que dans les banlieues les plus défavorisées. Et il demeure qu'en chacun de nous, il existe une volonté de créer souvent niée par les impératifs de la vie. Le but de cette journée consacrée aux Arts sera de développer cette volonté intrinsèque à chacun afin que la création exulte.
Notre
proposition est courageuse et permet de susciter un nouvel élan, d'élaborer
ensemble une société plus apte à accepter l'expression
artistique de chacun comme valable et souhaitable.
Le mercredi, appelé communément le jour des
enfants, semble correspondre à l'esprit de cette journée consacrée
aux Arts. Il ne faut pas perdre l'esprit ludique d'une telle réforme.
L'objectif politique de ce projet est de ressouder la citoyenneté autour
de l'Art. Les religions (les lieux de culte se vident), les démocraties
(l'abstention règne) sont des communions désuètes qui
doivent être détrônées par la rencontre collective
autour du feu moderne de l'Art.
Durant l'année scolaire, à partir de septembre, tous les mercredi seront des journées consacrées aux Arts. Des cours de musique, de peinture, d'écriture, de danse, de théâtre, de chant se tiendront dans tous les lieux disponibles, publics ou privés. Les artistes professionnels au chômage pourront être rémunérés par l'Etat ou les entreprises qui voudront se joindre à l'événement. Le mécénat sera le bienvenu. Tout cela en vue de créer, à la fin de l'année, étalé sur le mois de juin et juillet un ensemble de manifestations où les ouvres des différents ateliers seront présentées. L'espace culturel sera ouvert à tous ceux qui auront produit de l'Art. Les lieux d'expositions seront variés et percevront un pourcentage équivalent à 30% sur les ouvres vendues. L'Art sera partout, dans les cafés, dans les rues, dans les musées, chez les particuliers, jusque dans des endroits insolites. Nous pourrons voir une exposition de peinture chez un coiffeur, entendre des poésies dans une laverie automatique, un concert rock dans une salle de musculation, inventer les nouveaux chemins de l'Art. Ce sera une grande foire où les spectateurs deviendront acteurs.
Les artistes qui voudront se joindre à cette entreprise d'intérêt public seront rémunérés au SMIC pour les cours qu'ils dispenseront tous les mercredi. Ce salaire fixe leur donnera plus d'indépendance pour s'impliquer dans leur production propre. Ils se chargeront aussi d'organiser les manifestations de fin d'année en coopération avec d'autres ateliers. Des rencontres auront lieu qui mêleront les Arts afin de construire un spectacle où, par exemple, peinture et musique, lecture et danse seront associées. Ces rencontres favoriseront les liens sociaux et resserreront les réseaux associatifs. Ce projet va plus loin encore que les fêtes de la musique, du cinéma, des livres etc..., qui ne sont que des événements ponctuels. Cette journée hebdomadaire en vue de la grande fête de l'Art implique l'ensemble de la population et la concerne tout au long de l'année. C'est un engagement politiquement fort. Le caractère obligatoire de cette journée ne doit pas effrayer. Il montre que l'Art est un devoir civique dans une société coincée dans des perspectives mesquines. Des conditions spéciales pourront être allouées à des particuliers allergiques aux Arts (un avis médical sera exigé) ou à des entreprises ne voulant pas perdre une journée de production. Des artistes pourront faire cours dans les bureaux ou les usines, en organisant des roulements pour que l'activité économique n'en souffre pas. N'oublions pas cependant que l'Art a comme principe fondamental la dépense inutile.
L'instauration de cette journée hebdomadaire coûtera moins chère à l'Etat que le programme des Emplois-Jeunes et des 35 heures. Génératrice d'emplois, cette loi réveillera une société endormie et relancera le commerce de l'Art. Ce coup de jeunesse va libérer les énergies positives des êtres via l'expérience intérieure. Les échanges artistiques apporteront de la richesse. La société se ressoudera d'elle-même dans la merveilleuse communication et communion de l'Art. C'est une opportunité pour les Ministères de la Culture et de l'Education qui prendront une part majeure dans l'organisation et le développement de cette journée. C'est un défi à relever rapidement pour créer une société plus vive où la cacophonie finira par être audible. C'est un grand projet pour la France, un magnifique changement de cap. Il n'y aura plus un seul homme dans les rues. Nous serons tous devenus des artistes...
Lionel Dax
« Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes et l'on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme. Ils sont partout : les cafés en sont pleins, de nouvelles académies de peinture ouvrent chaque jour. A ce propos je me suis toujours demandé comment un professeur de peinture, s'il n'enseigne pas la copie à un serrurier, ait pu, depuis que le monde existe, trouver un seul élève. On se moque des clients des chiromanciennes ou cartomanciennes et l'on n'a jamais d'ironie pour les naïfs qui fréquentent les académies de peinture. Peut-on apprendre à dessiner, peindre, avoir du talent ou du génie ? Et pourtant, on voit dans ces ateliers de grands dadais de trente et même quarante ans et, Dieu me pardonne ! des tutus de 50 ans, oui, doux Jésus ! de pauvres fofos de cinquante ans ! »
Arthur Cravan, Maintenant (1914)