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« L'Être est le destin de l'éclaircie »
D'abord le bleu. Jeu du ciel sur la surface des toiles. C'est décidé, l'image va répondre aux images.
Les images éparpillées apparaissent polies dans les magazines, retouchées sur les murs du métro, falsifiées dans les rues, toutes chargées d'une cohérence marchande que Jacoba détourne. Elle reconsidère les résidus de ces photographies, les remet en situation, afin de penser le ciel vitreux du matraquage publicitaire. Elle construit un puzzle avec les mythes de la consommation.
Jacoba réagit à l'hémorragie des images qui suintent de partout, immense nausée des affiches. Guerres, catastrophes, mise en scène de l'effort, effet sport de l'information : une pluie de sueurs médiatiques. Produits de beauté, cul lisse, nu étudié, sang assuré, rêve à gogo, appâter l'appétit, seriner, sermonner, faire gonfler l'envie à coup d'hormones imagées : voilà l'enflure !
Papiers peints industriels, radiographies, photographies des magazines photocopiées, colles, ciseaux, peintures rouges et bleues : voici la matière récupérée, le terreau, les armes. Tout est prêt pour recomposer un monde en explosion, avec le goût du bleu.
Maintenant, le discours se fragmente avec ordre : c'est un fait qu'il faut souffrir ! Le corps en question s'ausculte, résonance des organes, mémoire des corps, de l'habitat, mémoire des murs, du papier peint, des motifs. Les morceaux d'images dévoilent des bouts de corps photocopiés, coagulés, agencés sur l'espace du tableau : chirurgie esthétique du patchwork.
La sensation d'expérimenter le mouvement [un pied léger sur le sable], de redonner un corps aux images anonymes [l'il panique de la communication] se rapproche chez Jacoba du cinéma muet. Le noir et blanc, le gris bleuté conviennent à cet art du montage où le gros plan accentue le rythme d'un film... Mais ici, le zoom se montre plus flagrant, rivé à un détail comique, dramatique, anecdotique, incertain. À vous de voir...
« Je suis la joie devant la mort »
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Jacoba Ignacio |
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Jacoba
Ignacio / Atelier 25 rue Keller 75011 Paris - 06 11 15 49 14
Devant l'âge du numérique, Jacoba propose l'âge de la colle, de la copie non conforme, agrandie jusqu'au grain de l'abstrait. Est-ce trié ? Oui. Strié, vrillé, froissé ? Peut-être. Retourné, déchiré, délibéré ? Sûrement. Elle change le cap du papier glacé, en élimine la couleur ; elle malaxe les impacts lyriques de la pression marchande. Cette masse d'images ne l'inquiète pas. Elle s'en sert. Elle leur donne une nouvelle chance de briller dans la superficie esthétique du collage. Elle opère un tressage ludique et montre qu'une image morbide et une image futile peuvent s'insérer dans le même dispositif.
Jacoba pense aux vitraux des églises, morceaux de verre peint filtrant les lumières du jour. Imaginons un instant ces panneaux dans une église, tel un appel à la méditation, une interrogation sur le monde en tourbillon qui jette des milliards d'images dans les poubelles de l'histoire. Une chaussure, une main, une mort atroce, une séance de maquillage, un instrument de musique, une maison de campagne, un paquebot, un pied en extension, la trace d'un plaisir d'été, des visages, des genoux, des fesses, les palmas des Indiens... L'image est distendue, élastique : elle s'étire, se contracte, respire enfin...
Que
dire de ces radiographies, de cette transparence technique, bleutée
et sombre, accompagnée de quelques indices nuageux : cravates d'os,
smoking en sang, zones noires du corps, et les vaisseaux, racines d'arbre
de l'être, veines heureuses du flux... La vie figée remise en
branle par le truchement des jointures. Tisser. Réparer. Parer.
« Que la physiologie et la chimie physiologique puissent étudier
l'homme comme organisme, du point de vue des sciences naturelles, ne prouve
aucunement que dans ce « caractère organique »,
c'est-à-dire dans le corps expliqué scientifiquement, repose
l'essence de l'homme. »
Et dire que l'on se débarrasse de ces radios au bout d'un certain temps, lorsque le patient est mort. Dossier classé. Les radios ne disent rien d'autre que la fragilité de la vie comme ces crânes disposés de façon précise dans les « Still life » et dans les « Vanités ». La peinture dialogue avec le temps, et le mort qui mordille l'oreille d'une femme nue en tenant un sablier dans sa main nous rappelle à la jouissance. La mort nous réveille parfois de notre torpeur. Elle nous chuchote : vas-y, jouis !
Il y a ce grand tableau aussi, cette forme qui s'avance, indistincte, avec une armure de radios, avec des motifs de papier peint qui évoquent la chambre des enfants : un cour, une moto, un pot de confiture, un avion, des fraises, des olives, du thé... C'est le corps du père perdu, le cour du père parti en moto ou en avion, en route vers l'infini...
Lionel Dax - Juin 2001