IRONIE numéro 85 - Supplément "Volupté héroïque"
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières
> Supplément du numéro 85,
Volupté héroïque


Page d'accueil
IRONIE numéro 85, avril 2003

 Volupté héroïque


   L'envie, l'insulte, l'orgueil

Je me dresse sur mon pied agile, pour respirer avant de parler encore. Tant de choses déjà ont été dites, de tant de façon ! Trouver du nouveau, et le soumettre à l'épreuve du jugement, voilà le grand risque ! Nos paroles sont la pâture des envieux ; l'envie s'attache toujours au mérite  elle ne cherche pas querelle à la médiocrité.

Quoique plongé jusqu'à mi-corps dans les profondeurs de l'onde marine, sache résister au piège. On nous verra aborder rayonnants, vainqueurs incontestés de nos ennemis. D'autres, le regard plein d'envie, roulent dans les ténèbres leurs vains desseins, jusqu'à ce qu'ils choient par terre !

Tout homme de mérite se voit exposé à l'envie, tandis que le noir silence cache la tête de qui n'a rien qui lui soit propre.

Qui se laisse aller à des ambitions irréalisables s'expose à une démence éperdue.

L'espèce la plus vaine parmi les hommes, ce sont ceux qui méprisent ce qui les entoure et rêvent de ce qui est au loin, laissant leurs espérances irréalisables poursuivre des fantômes.

Ainsi, ces temps lointains, eux aussi, ont connu l'odieuse Flagornerie, compagne des discours insidieux, ouvrière de ruses, peste malfaisante ! Elle fait violence à l'éclat du mérite, et elle cherche à étendre la renommée pourrie d'hommes sans valeur. Puissé-je n'avoir jamais de tels sentiments, mais rester toujours fidèle aux voies de la franchise, afin qu'à ma mort je ne laisse pas à mes enfants une réputation fâcheuse !

Les semeurs de calomnies sont une peste irrémédiable pour celui qui les écoute comme pour celui qu'ils attaquent  leurs manières ressemblent absolument à celles des renards  mais en fait de bénéfice, qu'y trouvent-ils de profitable ? Comme quand le reste de l'appareil poursuit son œuvre au-dessus des flots, je surnage, pareil au liège, par dessus le filet, sans craindre l'onde amère. Le fourbe est impuissant à lancer une parole efficace, quand il s'adresse à des gens de bien, et cependant, flattant tout le monde, il ne cesse de tresser ses pièges funestes. Loin de moi son audace !

Je dois fuir la médisance à la dent insatiable. La richesse associée au bonheur d'être sage, voilà le meilleur lot pour l'homme !

Celui qui garde sa richesse enfouie dans sa maison et ne sait que rire des autres et les insulter, oublie qu'il rendra son âme à Hadès sans avoir connu la gloire.

Repousser l'Insolence, mère effrontée du Dédain.

Parmi mes concitoyens, je marche le regard clair, sans ostentation, écartant de ma voie toute violence. Puisse s'écouler aussi calme le temps qui me reste ! Qui m'aura connu saura dire si j'aime à détonner, en jetant des propos malveillants.

Il va droit sur sa route, ennemi de l'insolence... Le bonheur fait oublier Hadès.

Tu sais aussi, quand quelqu'un a planté dans son cœur l'amer ressentiment, être dur  tu fais face à la menace de l'ennemi et tu précipites l'insolence dans l'abîme.

Quand un homme que le bonheur a favorisé, soit par ses glorieuses victoires dans les Jeux, soit par la masse de ses richesses, sait contenir en son cœur le pernicieux enivrement de l'orgueil, il est digne de recevoir les éloges de ces concitoyens.

L'orgueilleux, un jour ou l'autre, est perdu par sa violence.

Insulter les Dieux, c'est un art que j'abhorre  l'insolence importune accompagne le chant de la folie. Silence à ces sottises ! Ne souffre pas que jamais guerre ou bataille approche des Immortels ! Ouvre la voie où cheminent les vers mélodieux ! Louons le vin vieux et la fleur des hymnes nouveaux !

   Silence

L'exacte vérité ne gagne pas toujours à montrer son visage, et souvent le silence est le meilleur parti que l'homme puisse imaginer.

Souvent ce que l'on tait est ce qui cause le plus de plaisir.

   Cœurs vaillants

En récompense de ses nobles exploits, il faut célébrer le vaillant  il faut, en le fêtant, l'exalter par des chants généreux.

Il convient aux vaillants qu'on les célèbre dans les beaux chants car cela seul parvient à une gloire immortelle, tandis que meurent les exploits que l'on tait.

C'est une maxime chez les hommes que, quand un exploit est accompli, il ne faut pas le laisser caché dans le silence. Ce qui lui convient, c'est la divine mélodie des vers louangeurs.

Ces héros aiment à favoriser un cœur qui s'adonne à l'amour des combats. Celui qui réussit en l'exploit qu'il tente, fait jaillir le chant des Muses en lui offrant une matière douce comme le miel. Car, privée de l'hymne qui la loue, la valeur reste couverte d'une obscurité profonde.

Ceux qui, entre les héros, furent de vaillants guerriers, ont obtenu pour récompense la louange, et, pour les célébrer, les phorminx résonnent, les flûtes font entendre leurs notes infinies, éternellement.

Je veux boire l'onde aimable, tandis que pour les vaillants guerriers je tresse l'hymne harmonieux.

Il est dangereux de provoquer chez ses auditeurs la satiété ! Mais pourtant, éveille les cordes mélodieuses de la lyre, et que ta pensée aille vers les vaillants lutteurs.

Un grand risque ne veut pas d'un homme sans cœur. Puisqu'il faut mourir, pourquoi s'asseoir dans l'ombre et consommer en vain une vieillesse ignorée, loin de tout ce qui fait la beauté de la vie ? Non, j'affronterai cette épreuve. À toi de m'accorder le succès désiré !

Sa langue ne contredit pas son cœur...

Ma parole ne risque point de porter la couleur du mensonge  car c'est à l'épreuve que les mortels se font connaître.

Une force magique entraîne mon cœur... Le temps qui me presse...

Si tu veux toujours entretenir ta faveur, ne renonce pas trop vite à la dépense. Livre ta voile au vent, comme un bon pilote. Ne te laisse pas duper, ami, par la séduction de l'intérêt. Le bruit de la renommée, qu'on laisse après soi révèle seul aux orateurs et aux poètes comment vécurent ceux qui ne sont plus.

Quand on s'adonne de toute son âme aux nobles ambitions, qu'on ne ménage ni ses dépenses ni sa peine, il faut qu'à ceux qui ont atteint le but, notre magnifique hommage soit apporté d'un cœur sans envie ! L'offrande est facile au poète, qui n'a qu'à dire un mot bienveillant, en échange de labeurs de toutes sortes, pour ériger à la gloire du vainqueur un monument qu'il partage avec lui !

   Combats

Celui qui ne comprendrait pas mon dire montrerait son ignorance en l'art des combats : qui frappe reçoit des coups, telle est la règle. Venez faire vos preuves aux combats...

À ceux qui ne veulent point tenter la chance, revient le silence et l'oubli. Mais ceux mêmes qui prennent part à la lutte, peuvent être condamnés par la Fortune à rester dans l'obscurité, avant d'atteindre le but suprême. Car c'est elle qui donne succès ou revers, et souvent la ruse d'un plus faible a surpris et fait échouer le plus fort.

Le succès, quand on tente l'épreuve, dissipe les soucis. L'opulence parée de mérites nous crée mainte et mainte chance  elle nous permet de mettre au guet notre esprit aux desseins profonds ; elle est l'astre étincelant, la splendeur authentique d'une vie humaine.

Les exploits, toujours, exigent labeur et dépenses  le succès est le prix de la lutte...

À la jeunesse convient l'audace des guerres terribles...

Rares sont ceux qui ont remporté sans peine la victoire, dont l'éclat illumine la vie.

J'ai sous le coude, dans mon carquois, des traits rapides en grand nombre  ils savent pénétrer les bons esprits  pour atteindre la foule, il est besoin d'interprètes. L'homme habile est celui qui tient de la nature son grand savoir  ceux qui ne savent que pour avoir appris, pareils à des corbeaux, dans leur bavardage intarissable, qu'ils croassent vainement, contre l'oiseau divin de Zeus ! Allons, mon cœur, que ton arc maintenant vise au but !

   Les Dieux et le temps

L'humanité n'est que néant, et le ciel d'airain, résidence des Dieux, demeure immuable. Cependant nous avons quelque rapport avec les Immortels par la sublimité de l'esprit et aussi par notre être physique, quoique nous ignorons quelle voie le destin a tracée pour notre course, jour et nuit.

Quand les Dieux ont un désir, l'accomplissement en est prompt, et les voies en sont courtes.

L'homme dont l'esprit connaît la voie de la vérité sait jouir du bonheur que les Dieux lui envoient. Les vents qui soufflent dans les hauteurs changent sans cesse. La prospérité ne dure pas longtemps pour les mortels, quand elle vient à eux en sa plénitude.

La gloire, éclair rapide.

La fortune des mortels grandit en un instant  un instant suffit pour qu'elle tombe à terre, renversée par le destin inflexible. Êtres éphémères ! Qu'est chacun de nous, que n'est-il pas ? L'homme est le rêve d'une ombre. Mais quand les Dieux dirigent sur lui un rayon, un éclat brillant l'environne et son existence est douce.

Des courants changeants nous entraînent...

Je ne suis pas capable de dénombrer exactement les cailloux de la mer.

Le sable échappe au calcul...

Mais tandis que les jours se déroulent, le temps amène bien des vicissitudes. Seuls, les enfants des Dieux sont invulnérables.

Oui, les Dieux sont des amis fidèles ! Mille voies s'ouvrent à moi, en tous sens, gr âce aux Dieux.

Les espérances humaines, qui tantôt s'élèvent, tantôt s'abaissent, s'en vont ballottées par les flots, s'ouvrant le chemin sur une mer d'illusions vaines  la divinité n'a permis à aucun mortel de découvrir un signe certain des événements futurs  nos pensées d'avenir sont aveugles. Souvent ce qui advient déconcerte nos prévisions.

   Gloire du génie

Ne porte pas tes regards plus loin. Puisse ton pied toujours fouler les cimes, tandis qu'aussi longtemps, associé aux triomphateurs, je ferai connaître mon génie en tous lieux.

En toutes choses, il faut l'à-propos avant tout.

La voix des beaux poèmes va toujours retentissant  elle est immortelle. Par toute l'étendue de la terre fertile, par les mers, rayonne toujours, inextinguible, la gloire des belles actions.

Maître de la mer, rends prompte la traversée, préserve-la de toute épreuve, et fais croître la fleur charmante de mes hymnes !

J'imagine que la renommée d'Ulysse a dépassé ses épreuves, grâce au charme d'Homère. Car les fictions et la poésie au vol sublime lui ont donné je ne sais quel prestige.

Il me semble qu'une lime sonore aiguise ma langue et que le souffle léger de l'inspiration vient accroître mon élan.

Le doux fruit du génie.

La matière de mes chants est belle, et une franche confiance incite ma langue à parler. Les penchants naturels ne se laissent pas dissimuler ; ils sont invincibles.

   L'arc de la vigne

La tranquillité et le festin se plaisent ensemble; la victoire est rajeunie par les doux chants ; et la voix s'enhardit auprès du cratère. Emplissez-le donc, ce doux prophète de l'hymne joyeux, et distribuez le fils violent de la vigne.

Je t'envoie ce char d'aimables chansons, pour ton dessert. Il pourra plaire à l'assemblée des convives ; il sera, pour le fruit de Dionysos et les coupes venues d'Athènes, un aiguillon ; à l'heure où les soucis qui fatiguent les hommes s'évadent de leurs poitrines, où, comme en un océan de richesse, parmi l'or en abondance, tous également nous voguons vers quelque rive imaginaire ; alors les cœurs grandissent, domptés par l'arc de la vigne.

   Joies, Beautés

Le talent, la beauté, la gloire ! Les Dieux eux-mêmes, en l'absence des Grâces, ne peuvent mener ni danses ni festins  ce sont elles qui président à tout dans le ciel... Ô toi, auguste Aglaé, et toi, Euphrosyne, que charme l'harmonie, filles du plus puissant des Dieux, exaucez-moi aujourd'hui, et toi aussi, Thalie, que l'harmonie enchante et qui vois ce cortège, dans la joie du triomphe, s'avancer d'un pas léger.

Le miel de mes chants, l'éclat de cette beauté... Il convient que mes pensées et mon langage se conforment au ton qui convient aux jeunes filles.

Partout tournent les chœurs de jeunes filles, qu'accompagnent les sons de la lyre et les notes bruyantes de la flûte. Les cheveux ceints du laurier d'or, ils se livrent à la joie des festins.

Ah ! le monde est plein de merveilles...

Il faut aimer, céder à l'amour au temps propice.

Le même amour n'aiguillonne pas tous les cœurs  mais que chacun, quoiqu'il ambitionne, sache, s'il peut l'atteindre, saisir sur l'heure l'objet de son désir ; ce qui se passera dans un an, nul indice ne peut le révéler.

Me sera-t-il permis de porter sur elle ma main illustre, et même de cueillir sur sa couche la fleur d'amour, douce comme le miel ? Elle a dans ses mains les clefs secrètes des saintes amours  les Dieux rougissent, comme les hommes, de ravir de prime abord, au grand jour, le plaisir charmant.

Il cueillit avec eux la sainte fleur du plaisir.

Dans les circonstances les plus diverses, nous avons besoin d'amis : leur aide nous est surtout précieuse dans l'épreuve, mais la joie aussi aime à poser son regard sur un ami sûr. Par le noble effet de la joie, la peine s'éteint ; sa malignité est domptée.

Ô mon âme, n'aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible ! « Les immortels distribuent aux hommes pour un bien deux maux ». Les insensés ne sont pas capables de les supporter comme il convient ; mais les gens de bien savent le faire  ils ne montrent des choses que le beau côté.

N'éteins pas les plaisirs de la vie  ce qui vaut le mieux pour l'homme, c'est une existence agréable.

D'un cœur joyeux reçois cet hymne... Ouvrons toutes grandes les portes de l'hymne...

Il ne faut pas étaler aux yeux des étrangers les peines qui nous arrivent... Je te le dis : la part qui nous échoit de biens et de joies, voilà ce qu'il faut montrer ouvertement à tous  quand les Dieux envoient aux hommes quelque infortune intolérable, il convient de la cacher dans l'ombre.

Évadons-nous d'un pied léger !

Extraits de l'œuvre complète de PINDARE :
Olympiques  ; Pythiques ; Néméennes ; Isthmiques ; Hymnes ; Péans ; Parthénées ; Éloges.


Retour en tete de page