![]() |
||||
![]() |
||||
![]() |
||||
![]() |
||||
|
![]() |
Ironie continue : envoyez-nous des timbres |
![]() |
|
![]() |
Carcans
À propos d'îles et d'ailes ; très loin du social, de cette bestialité assermentée, formatée, domestiquée par tous les clergés. Être en vie, tout le temps, ne jamais céder aux rébarbatifs, aux récalcitrants, aux désespérés... Les renvoyer aux Calendes Grecques, au temps qui ne cesse d'orner le monde, d'éclairer une parcelle de chance, un chemin joyeux. Le temps au début, en avant, penser le temps à partir de l'instant qui tient le temps. Ne plus considérer le temps comme une fuite, une chute, mais le saisir, en jouir, l'écouter comme une musique...
L'espace est à notre portée. J'ai pris les chemins du cercle. Je me suis perdu sous le ciel et j'ai touché le cœur de l'aimée. J'ai dit oui à la beauté ; je me suis étendu près de son oreille. Deux enfants nus dans le présent. Le lendemain, j'ai dit adieu aux regrets éternels, à l'hypocrisie surgelée. J'ai pris quelques livres...
Et voilà, je recommence, je réinvente, je réalise. Je retrouve l'aimée, je me fonds dans ce présent, son présent, ses présents... Non, rien de tortueux. Non, rien du néant habituel de ceux qui se figent.
J'ai baisé le royaume de sa bouche.
J'ai couché avec la nuit, à sourire seul avec mes rêves. J'ai vu les comètes d'argiles, l'appui des Dieux, les corps sûrs des montagnes et l'enfance du ciel. Alors, je me suis avancé comme un saint dans le monde, en danseur, avec mes trésors, mon butin pour longtemps, les pas éclairés, prêt à partir. J'ai effacé les grises visions du travail, les ombres subites aperçues au coin d'un café ne relevant plus les têtes, aspirées. J'avance pour d'autres, pour que le plus tard puise à l'antique sa force. J'ai emmené mes joyaux, mes mains pleines de leurs brillances.
Quelques hommes se risquent à la course du rire, émeraude du chant, aux embrassades, aux tresses de l'amour. Mais très vite, ils sont le jouet du dédain du clan.
Je me suis couché dans l'herbe près d'un lac. J'ai oublié les vitrines, l'espoir pourri des comptables. J'ai vu la morgue des sexes défiler, le calcul des frustrations. Je me suis battu et j'ai aimé les femmes au moment propice du cœur, en plein temps. La suite, qui se gâte souvent, n'était que compassion, retour à la déraison morale, aux inquisiteurs, aux mar âtres.
Seul celui qui traverse les mailles du vacarme peut se dire libre, hors de toute prise, fatal à tout filet. Je suis le soleil, diagonales du je. Je ne prédit rien. Je dorlote ma chance. La ville se vide au matin, elle s'étend, vulgaire propulsion de l'insipide agitation du jour. J'entends les voix sous les coques. Les ondes rejettent les maigres informations du monde. Certains employés du système attendent la faille, le hic de la technique, l'événement catastrophique comme une comète sur leurs têtes, prête à tout br ûler sur son passage, le piment noir du désir.
Le carcan, le cercle froid des familles, n'est qu'un leurre où certains corps se murent. Seul l'éclair, la foudre, les vents, l'océan gardent intacte la force du souffle. C'est alors une gageure guerrière de saisir le cœur de ces mouvements, leurs lignes secrètes, leurs tours changeants. L'histoire se perd au fond des glaciers.
J'ai vu quelques damnés se passer du rire pour vouer un culte aux tombeaux. J'ai ressenti l'épouvante devant la tension macabre qui immobilise les résignés – farceurs du néant, lépreux narcissiques, enfants de Satan – cortèges misérables des fatigués de tout. Ils n'ont pas vu le diamant, les guirlandes de lilas en saphir rose sur le poignet d'une femme assise à lire. Ont-ils trempé, un jour de soleil, une fraise dans la mousse d'un champagne ? Ont-ils vécu un temps qui bascule les normes, qui s'amuse du temps, qui recrée vraiment le temps ? Peut-on rire d'un tel désastre partout, d'un refus systématique d'écouter ? Dans leurs yeux, je ne vois que volets clos, dans leurs bouches que poussières, dans leurs oreilles que pus opaques.
Les journaux sont les porcheries du Verbe, gongs du néant lisible. La féerie est simple, musique du soleil. La montagne dissimule des lacs clairvoyants, blancs, noirs, bleus, boueux, verts, rouges, des lacs caméléons. Je reste des heures à écrire.
Le métal des avions trace des lignes de nuages. Et par delà, la course mal connue des astéroïdes, entités perdues en bloc dans l'univers, étoiles sans feu, rocs. Il n'y a pas que le dégoût pour régénérer la conscience de la vie.
La mort a fait de l'ennui son ancre sur terre : laves brodées des villes, corps lourds, genoux brisés, colères des mains, cris étouffés, tous fondus dans le magma. Contre le fronton doré, le velours de ta bouche, la musique des étoffes froissées, faune parfait. Ballade ensuite, nuit chaude, jusqu'à la jetée... Je te montre ces ombres plates remonter le courant des marées, ces drôles de poissons chargés de vinaigre. Ils passent sous le pont, entre les piquets noirs. Ma main sous ton sein face au phare. À tes pieds, le cercle blanc de ta robe. Douceur de l'eau, brasses satinées, gestes simples de la nage, clarté de ton corps sous la lune, nus dans l'encre.
Océan
C'est un lieu ailleurs, un miroitement d'or à même l'eau. Une barque, quelques aigrettes striées de gris, l'espace du rire flottant, un délire de soie rose, un joyau de jade au cou, un pré ouvert à la danse. Elle fait partie du cortège, reine acide des ébats. Il y a ce rocher au loin, cette île perdue dans le bleu cobalt du soir.
C'est le jeu de ce pays, amande grillée au soleil de l'ouest. Aucun ennui ici, rien que le vent qui trouble les genêts. L'amertume se disperse au large de la baie. Le couchant installe son lit sur l'eau mauve. Elle enjambe la barque, mollets nus. Elle y va, chante à plaisir avant les vols d'oiseaux.
Je marche souvent sur les quais ; j'observe les caprices du flux... Je suis un enfant face à l'océan ; je joue avec du sable ; j'en rempli de vieilles bouteilles de vin ; et je ne me lasse pas de cette giclée d'or. Devant moi, le fracas continu des vagues.
Une bague saphir or blanc, nuage d'or sur une mer bleue. Beauté d'un bain nu, le soir, près des mouettes, entre les navires.
Impression soleil
Splendeurs, fragments, parfums, je sens en moi l'ode du printemps, son œil, ses rayons.
Aujourd'hui soleil, souvenir d'une bacchante. L'éveil musclé de ses fesses.
Pour avoir les fruits du printemps en hiver, gloires éparses de l'esprit, opérations simples du cœur, l'or nouveau, vaisseaux fragiles...
C'est le cœur qui rythme, c'est le chant de l'été cette chevelure.
Ciel bleu clair, feuilles safrans. La confusion est grande de croire que tout est fini, qu'il ne reste plus qu'à attendre l'événement fracassant, la fièvre apocalyptique d'un monde déjà mou. Le pas du danseur, l'épée du penseur, l'arc du poète visent juste.
La ville pâle
Soleil de novembre, berges folles... Quelques faux Sphinx crachent une eau longue. Des femmes s'ennuient, parlent sans discontinuer, occupées à fuir l'éventuel d'un frisson. L'affairement est un choix, une prison, une mode.
Tous les corps se réveillent dans la sueur du rêve... Quelques-uns seulement poursuivent la trame loin des satisfactions osseuses du bruit. Matin calme, nuit heureuse. J'ai tété son sein comme un amant – l'enfant mis de côté – cœur et beauté sans tourment, le sourire à cueillir.
Je traverse la Seine, jour de brouillard brillant, et rejoins une amie au bout du pont. Leçon de musique sur les quais.
Matin de pluie fine, la ville pâle. Les ombres s'activent, enfer plat des artères. Elles rêvent d'un repos uniforme, d'un calcul cloné, d'une assurance létale, d'une épargne temps. Dans la bataille, il y a peu d'hommes qui s'accordent à l'éclair, qui tentent le temps.
Au compas d'or, jambes rieuses, musiques des feuilles, une grappe de raisin dans la main, offerte à ta bouche. Baiser du muscat, sourire violet de l'amour, mutinerie délicieuse de ta langue.
Qu'est-ce au fond que ce baiser ? Une parole de beauté sur la plaie du monde, un chant à ta peau mate.
Surprise de la danse
À mesure que je danse, je sens le sol futile, la terre ouverte comme un cerveau. Là où ça surgit, la nature distille ses étincelles, tout à la surprise. Je commence l'ascension de l'Index, la vallée en contrebas telle une chienne endormie près du torrent. Je suis les pas de mon guide, vers ce roc, ce doigt vers le ciel sans nuage. Sur la crête, entre deux vides, je poursuis le chemin en lames de granit. J'apprends à lire la montagne, l'étrangeté de sa vieille naissance. Au sommet, une corde rose, la bague du rappel. Instant du haut où nous manquent les ailes. Je diffère le saut, la descente dansée, le goût du détachement. La joie du ciel est si intense.
Les nuages sont des pensées. Heureux passages du temps. Je suis né dans la musique, bagatelle, au bord de l'eau, à la croisée douce et salée du mouvement. Le cœur a raison : illuminer les trajectoires, parfaire les sensations. J'ai chanté les couleurs, féeries des toiles, en ville, à la source amusée du fleuve. Lumière d'eau et les ailes pour bondir.
Elle danse dans son inconscient, voltiges, sauts périlleux sur la croupe du cheval au galop. Son corps ne bouge pas; et pourtant une valse de pirouettes envahit sa tête. Ses jambes sur le fil comme des ciseaux de soie avancent sur les pointes... Elle joue avec le danger de la chute. Elle attrape au vol le trapèze; tout, elle essaye tout, avide de tracer ses enchaînements, son pacte avec la souplesse...
Guerres
Les drapeaux s'activent en même temps que les canons. J'exploite le temps de cette clarté derrière les nuages. Le temps de cette phrase, le gris recouvre tout, les manteaux se ferment, les baïonnettes des parapluies pointent leurs nez argentés, petits soldats du quotidien... La guerre est ailleurs.
Les écarts, étoiles du je, parades...
Espace brillant de la conquête. Cliquetis des fous, clameurs, prières.
Les églises ont gagné la guerre : flèches, nefs, rosaces, dentelles. La clef du silence au cœur de l'histoire.
La raison de la saillie : la phrase au couteau.
Premières promenades dans la ville. J'ai donné mon cœur aux ciels de l'Italie, aux beautés suspendues, aux couleurs. Je me souviens de celle qui riait dans les ruines du château aux acrobates. J'ai perçu au loin les rumeurs d'une guerre qui n'était que du théâtre chanté.
La lumière joue du piano
Je vous revoie toutes les deux, au cœur du pré ce printemps, devant le jeu des barques sur le lac. L'une me décoche un baiser gourmand avec le rire léger de sa langue, l'autre nous observe, piquée par un grain de jalousie qui fait rosir. Les jupes sont courtes, les jambes se déplient, prennent la lumière de l'après-midi. Après le vin, dans la paix du vent, très proches.
Près du campanile, nous jouons au sommeil. Je pose ma tête sur tes cuisses dans l'herbe. Musique miraculeuse du temps : natations, barques au loin, danses soyeuses. La lumi ère joue du piano.
Là voilà devant moi. Le ventre ondule, la chair se dresse. Elle vibre la voix, le corps de la voix. Seine et fête, ce soleil sur l'eau. Il y a aussi sa bouche, la joie de chanter, la joie d'ouïr, la voir là dans sa robe bleue.
Quand elle attaque, les sourcils froncés, lèvres pincées, robe moirée rouge... Un sourire parfois, vers le piano... L'oreille collée aux ouïes, les yeux fermés, les graves à l'horizontal, les aigus à la verticale... Elle regarde le public, les grands yeux devant l'immense silence... Son rire dans l'envolée, ensuite en point net, l'archer en l'air...
Le temps est l'amour
Jamais de rupture, une ligne brisée et continue, un amour qui remonte à la surface du temps pour respirer à nouveau... Le temps plié dans la mémoire revient en accéléré : des moments, des lits, des caresses... Alors, quand est-ce qu'on recommence ?
Lionel Dax