"Ironie, vraie liberté ! c'est toi qui me délivres de l'ambition du pouvoir, de la servitude des partis, du respect de la routine, du pédantisme de la science, de l'admiration des grands personnages, des mystifications de la politique, du fanatisme des réformateurs, de la superstition de ce grand univers et de l'adoration de moi-même ..."

Proudhon, Les confessions d'un révolutionnaire

 

Tout se présente jetable, des premiers stylos/rasoirs Bic aux semences masculines étouffées dans des préservatifs. Penser à la durée et à la distance sont des actes de résistance face aux flux qui écrasent le temps. Les objets industriels s'annihilent les uns les autres aux rythmes effrénés des inventions. L'histoire tombe dans l'obscène et le délire passionnel des commémorations messes institutionnalisées. L'historien contemporain travaille comme un expert. Il raconte l'histoire qu'on lui commande : l'histoire jetable vite recyclée. Aussi, le géographe, comme le sociologue, est devenu un employé des municipalités afin d'accréditer les choix mégalomanes des politiciens. On quitte l'esthétique pour l'horreur qui s'autodétruit dans le cercle vicieux de la médiocrité : l'opéra Bastille déjà friable, jetable, Jeux Olympiques d'Atlanta en carton pâte, construire/détruire en toute hâte ! Immeubles mort-nés, voyez l'Americain Center en jachère, laissés à la pourriture. Nulle part nous trouvons la trace du temps, le désir de la durée dans la création. "Le capitalisme à son stade spectaculaire rebâtit tout en toc".

 

L'art de pasquiner apparaît au XIVème siècle. Les épigrammes satiriques étaient affichées sur le socle d'une statue baptisée Pasquin à Rome. L'une d'entre elles se rapporte au pape Urbain VIII Barberini (1568-1644), qui avait fondu des bronzes antiques pour faire des canons : "Quod non fecerunt Barbari, fecit Barberini"/"Ce que les barbares n'avaient point fait, Barberini l'a fait". Jouons de la pasquinade, libre raillerie bouffonne et triviale. Désormais Ironie sera affichée sur le socle du Balzac de Rodin, bd Raspail ...

 

"Le moindre petit obstrué trou du cul se prend pour Jupiter devant un miroir"

 

L'information, qui englobe la pratique journalistique, est un condensé de publicité politique (propagande) et de publicité marchande (capitalisme).

Li D.

 

"Mais quant à moi, qui plus terrestre suis,
Et n'aime rien, que ce qu'aimer je puis,
Le plus subtil, qu'en amour je poursuis,
S'appelle jouissance"

Du Bellay, Divers Jeux rustiques

 

La critique littéraire n'existe pas - tout est une affaire de publicité, non de lecture. Le marché de l'art contemporain mise sur la cécité des acheteurs, la complaisance, les bisous dans le cou, les journalistes littéraires attitrés à des auteurs qu'ils encensent à chaque livrée. Il faut faire marcher la machine du livre, faire suer les rotatives pourvu qu'on lise, même de la merde, afin de dégoûter les derniers lecteurs qui résistent. D'un journal l'autre : "Je te fais une éloge de ton livre dans mon canard, mais tu me feras un bon papier du mien dans le tien". Nous voilà dans l'engrenage de la laideur ... La pensée s'englue dans les sourires qui puent le fric. La prostitution est à son comble. Plus d'éthique. Ne pas critiquer son employeur est devenu une lâcheté courante pour ne pas perdre son boulot ou ne pas remettre en question sa propre ambition. Tous des esclaves du salaire ! Chaque auteur doit faire la publicité de sa maison d'édition, c'est préférable ... c'est le contrat ... Du coup, les éditeurs publient de plus en plus les romans frustrés des journalistes de tout bord qui deviennent ainsi des agents publicitaires, contents de leur création minable ! On publie des premiers romans à gogo, belles frimousses, styles délavés... Que des romans marketing, emballés, jetés sur le marché de la connerie consommatrice. Des commandes, des mandats de communication - Foire ! Tout ceci est une manœuvre pour polluer la lecture, le complot de la bêtise. Comment résister ? Faut-il relire les classiques ? Oui, c'est vital, reprendre la saveur des mets mots. Leurs phrases sont des couteaux affûtés. Armons-nous de leurs pensées pour combattre tous ces livres récents qui ne sont que des plats fades à côté de l'énergie folle de Rabelais et de Montaigne, l'ironie de Pascal, l'ingéniosité de Montesquieu et la ruse de Voltaire.

Alexander Znovu

 

Bruno Masure, France 2

Daniel Schneiderman, La Cinq

 

L'obésité de l'esprit et le cholestérol de la pensée s'accroissent. La laideur prend sa source dans la frustration. Nous ne jouissons plus de l'écoulement des instants. Nous perdons la mesure du rire qui regarde le temps couler doucement en amont et en aval de notre être-là. Le rire brise la ribambelle des manichéismes présents chez tous les falsificateurs d'idées. Fi des contraires arrosés par un système de mots ayant pour but d'écraser l'originalité des silhouettes humoristiques en plein vol. Tout rire aéronautique se trouve par delà le oui et le non, le bien et le mal ... La voie de l'ivresse est celle de l'éclatement jovial de la bouche. Le plaisir se situe au milieu, entre l'excès et l'abstinence, avec lesquels on joue inévitablement pour jouir toujours plus de la surprise.

Yvain Logres

 

 

A l'occasion de la commémoration discrète des 50 ans de la revue Critiques qui persiste encore, Philippe Adam, avec une verve remontée et bien mâchée, nous livre non sans ironie ses critiques :

Il n'y a vraiment plus de critique.
N'est-on pas allé jusqu'à dire que Philippe Sollers porte une perruque ?!
C'est faux : il perd juste ses cheveux.

La médiologie, une science au service des hommes !

Insécurité de l'emploi, peines de cœur, examens à réussir, quelques difficultés avec votre entourage et voici que l'avenir vous tourmente. Plus d'inquiétude. Envoyez une photographie à Régis (moins connu sous le nom de Debray) qui, grâce à sa nouvelle méthode, saura résoudre tous vos problèmes.

Plus forte que les Tarots, plus scientifique que l'Horoscope, la Médiologie vous ouvre ses portes au Théâtre de l'Odéon. Conférence gratuite en la présence de Régis qui animera le débat et se livrera à quelques exercices subtilement Médiologiques (on pressent notamment la venue de l'esprit du sous-commandant Marcos, ce dernier devant prendre possession du corps de Régis en cours de soirée et parler par sa bouche). Spectaculaire !

Depuis la parution de son premier numéro la revue Ironie s'affirme toujours davantage sur la scène internationale et nombreux sont les lecteurs à qui ce détail n'aura pas échappé : Ironie est une revue Merdique. En effet, loin de toute médiocritique, médiologie, médiophagie, Ironie cultive avec délectation sa différence en prenant soin de ne faire aucun adepte ainsi qu'en veillant à ce que chaque numéro soit scrupuleusement raté. Le moins que l'on puisse dire est que cette attitude doit être encouragée tant sa franchise la distingue du tout-venant des publications contemporaines. En effet, si la grande majorité des revues (et nous laissons pour le moment de côté la question des romans, essais et autres articles) est elle aussi tout à fait merdique, c'est cependant à son insu. A l'inverse, on trouve chez les rédacteurs d'Ironie une fierté dans le parti-pris, une grâce du désastre, qui font d'eux les authentiques acteurs du fiasco auquel leur inanité les livre. Puisqu'une telle probité est rare qu'ils en soient ici remerciés et même consolés par ces quelques mots du poète :

Philippe Adam

 

"Comment "profiter" de la morosité pour développer ses parts de marché ? C'est dans une période comme celle que nous vivons que les facteurs de compétitivité comme la pub sont les plus performants."

"Ne pas utiliser la publicité ou mal l'utiliser, c'est une erreur... il faut aussi se méfier parce que les gens sont habitués à décoder les signaux de la publicité."

Eric Tong Cuong, pdt d'EuroRSCG Babinet, groupe publicitaire

 

NOTE INTERNE : N°70
OBJET : grève du 17-10-96
DATE : 10-10-96

Le 17-10-96 sera une journée de grève nationale.
Je ne souhaite aucune absence ni aucun retard ce jour.

Le Président Directeur Général

 

Claude-Gérard Tacite, lecteur d'Ironie

 

"Sans publicité, les journaux seraient plus simples à lire puisqu'il n'y en aurait pas"

BL/LB, agence de publicité.

Politique de la confusion : Concomitance de la Fête de la publicité, du Temps de lire, et de la Semaine du goût !

 

Franz Kafka

 

"Je méprise et j'exècre l'orgueil, et les voluptés infâmes d'une ironie, faite éteignoir, qui déplace la justesse de la pensée"

Lautréamont, Poésies I

 

Oscar Wilde