IRONIE numéro 100 - ...IR ON ...IE

...IR ON ...IE

le chèque la machine va le remplir on trie les déchets

ça peut servir on conserve l'idéologie

on prend tout dans sa tête c'est pas ordinaire de mettre de l'ordre on a une tapette à mouche(s) ça sort un excrément blanc au bout de l'écrasure de mouche ça fait le contraste avec le corset noir de la mouche même quand elle est bleue ou verte on se révolte on croit qu'il y a du nouveau sous le soleil on attend qu'il s'éteigne on se lève la nuit pour pisser on marche dans le noir on a froid aux pieds être con n'est pas une vocation on ne change pas de file on respire le gasoil extrême on fait attention que le ticket de l'autoroute ne s'envole pas on fait semblant d'écrire on se fait mal en donnant un coup de pied au chien on mange de tout on n'est pas difficile c'est compliqué d'être simple on ne mange pas son vomi on l'essuie avec du papier toilette on se lave les mains on a de l'eau au robinet tous les jours on tourne la tête on essaie de prendre tout dans sa tête on se repère mal on achète des livres on les trouve à Emmaüs on fait glisser des litres et des litres de bière entre ses dents on se lève encore une fois pour aller pisser on regarde l'eau couler sur les tôles inoxydables on respire l'air de tout le monde et des chiens on est un pronom malhonnête mis pour un imbécile on inhale des psychovitamines on a mal dans la tête on avale des fibres contre le cancer on visite les salons funéraires on regarde furtivement les masques cireux on lit des poèmes qui nous fortifient on demande poliment son chemin à la vieille dame les mouches bourdonnent entre les lamelles du store on pense que tous les gens sont différents on pense que tous les gens sont pareils

être con on ne peut pas le choisir on n'oublie pas les poulets fermiers du Gers

on n'aura pas le temps de tout lire avant de mourir on connaît un professeur de poésie

on rend les bouteilles consignées on dit ses prières en se tournant vers l'est ou vers La Mecque on reste dans la file d'attente on entend l'estomac on tourne son poignet pour le faire tamponner par le service d'ordre on se salit les mains de la graisse en changeant une roue crevée on sait que les poissons respirent de l'oxygène dissous on compte ses battements de coeur on pense à des gens qui ont une tumeur dans la tête comme une araignée on n'a pas peur de monter dans les automobiles les horloges sont devenues silencieuses on sait envoyer et recevoir des fax et des emails on ramasse des bricoles sur le chemin des bouts de ficelle des trombones et des cds on collectionne les œuvres d'art on garde les emballages des bouteilles de whisky single malt on sait nager on apprend que quelqu'un a été lapidé on a placé de l'argent on milite pour un monde plus chose on n'a pas peur du grand fantôme de la révolution on essuie ses semelles sur le paillasson on imite Arthur Rimbaud et Johnny Halliday les pigeons traversent le ciel le vent fait couler les yeux et le nez on change de calendrier tous les ans on conduit les enfants à l'école on a oublié de faire le plein on croit qu'on peut vivre avec une tête bien faite on prend des anti-inflammatoires on mange des cacahuètes pendant les vernissages on aligne des phrases et des petits soldats on croit que ça va durer on croit que ça va s'arrêter on croit rêver on fait griller des saucisses spécial barbecue les pompiers sont les soldats du feu le tango est une question de posture comme le yoga on hésite à s'abonner on mélange de la farine de l'eau et un oeuf pour fabriquer des pâtes le soleil continue à se lever tous les jours

les poubelles on n'oublie pas de les sortir on a une vie compliquée

on gaspille avec plaisir on recopie des bouts de lettres des tickets de train

on va à la piscine le dimanche matin le liquide est bleuté et pue un peu heureusement qu'il y a des rétroviseurs dans les voitures on n'est pas obligé de se retourner on va droit devant on va dans le progrès on marche dans le développement durable les phoques n'ont pas de boussole ni de système GPS à force de faire le tour de la terre on marque son chemin on creuse l'ornière les jours de semaine on visite des cloîtres des cathédrales des églises des chapelles et des restaurants on mastique on grave des dvds et des cds on lit dans le monde ce qui va bien dans le monde on apprend la vérité on nettoie la grille du barbecue avec le journal chiffonné on croit qu'on va faire 300 000 km avec la voiture à essence on croit que l'avers et le revers sont des choses différentes mais c'est la même pièce de monnaie on rend à Microsoft ce qui appartient à Microsoft les vers de terre ne sont pas des poètes on se fait scanner de temps en temps on se tond le crâne pour que l'absence de cheveux ne se remarque pas on dénonce la bêtise de la télévision entre deux émissions on dépose des fleurs au pied des pylônes électriques et des platanes solitaires les hérissons contiennent de la viande rouge les mouches contiennent de la viande blanche on ne les mange pas on préfère des frites avec un steak et un grand verre de Duvel on connaît la manière de se torcher dans le désert on se roule dans la terre sèche comme un bousier désarticulé on sue dans la terre les papillons blancs sont couverts de poussière radioactive on se demande pourquoi la langue est étrangère on est démocrate par défaut et buveur par excès on range la boîte à boutons dans le congélateur on est distrait on répond avec empressement aux questions des journalistes on se fait prendre en photo on sourit on a l'air intelligent on n'aime pas les fautes d'orthographe on hésite à s'asseoir par terre au milieu de la route le temps se couvre de nuages on n'a pas peur de se moquer on a deux jambes et deux bras on n'a pas gardé toutes ses dents les ossements s'émiettent dans les champs de betteraves on pense que l'ADN est comme une peau de saucisson une spirale de boyau séché on tape du poing sur la table on écrase on considère le flot d'événements comme une tapisserie déroulée on adopte un point de vue extraordinaire

entre un contrat d'auteur et une fiche de paie on peut choisir on ne s'ennuie pas

on est un peu anarchiste et très inquiet pour l'avenir on fait une copie de sauvegarde

on rencontre dans le jardin une limace à tête de chat et dans la cuisine une frite à moustache la vie est mystérieuse on appartient au modèle dominant avec une brioche on a des vrais papiers que l'état nous protège on dénonce l'emprise de la technologie dans un microphone cardioïde on paie chacun sa tournée on fait circuler l'argent les fraisiers remontants sont plus avantageux on n'a pas le temps on se retire du monde des images quelques heures par jour on regarde le nombril des jeunes filles dans les allées du supermarché on choisit des rêves en promotion on feuillette des catalogues glacés pour toujours on est encore jeune la tomate appartient à la famille des solanées au delà de la cinquantaine on procède à un TR de contrôle on vérifie les plis de la nappe on présente son billet face imprimée sur le dessus on écoute les poètes bruyants on entend gronder le lyrisme on ne vit pas seulement de pain et d'eau fraîche on hume les ferments le pollen de maïs ne contient pas d'acariens on hésite à piétiner une peinture de sable on traverse le pays en chemin de fer le petit train roule dans la campagne les lapins gambadent dans le thym et le serpolet le chien de prairie n'est pas un chien de berger le berger allemand n'est pas un valet de ferme on descend acheter une baguette on en profite pour faire pisser le chien entre deux voitures en stationnement on préfère l'argent liquide le confluent est l'endroit où deux rivières se rencontrent on aime bien parler de nourriture en mangeant on mélange de l'eau du ciment du sable de rivière et du gravier (mignonnette) pour faire du béton on connaît le numéro de compte dans son coeur on a oublié les Héliognostiques mais on se souvient des Maoïstes on a besoin de la culture physique la fléole le pâturin le ray-grass sont bons pour les vaches on déteste les capitalistes on préfère les profiteroles on jeûne parfois pendant le Carême, le Ramadan et les Soldes on essaie de respecter les limitations de vitesse on n'arrive pas à faire sauter les contraventions les biches broutent le soir au bord des chemins

Lucien Suel – Juillet 2004

Jour après jour

9 juillet. Pollet ressemble de plus en plus à une baleine échouée. Je l'ai trouvé dans son lit médicalisé, maintenant sa tête difficilement grâce à une pile d'oreillers, reniflant tout l'oxygène qu'il peut par des tuyaux de réanimation. On a parlé une petite heure - il avait fait noter par Belinda la liste des sujets qu'il voulait aborder avec moi. Puis son infirmière lui a mis son masque à oxygène lié à la bouteille. Dans la cuisine, une autre bonbonne en attente. Il peine à parler mais il fait de gros efforts pour articuler, sachant qu'on arrive difficilement à le comprendre. Malgré cela je lui demande de répéter souvent ce qu'il dit, je répète moi-même ses mots pour vérifier que je les ai bien entendu. Alors voilà, il a téléphoné à Sylvie Pras, la fille de Beaubourg qui a organisé sa rétrospective il y a deux ans (interrompu par des grèves du personnel du Centre). Elle est d'accord de la reprendre quand Jour après jour sera terminé : ce film fera l'ouverture, en première mondiale. Quand ? Je suggère septembre 2005. Bien avant, se récrie Jean-Daniel. Parfait, mais il faut quand même le temps de faire le film. Et si on demande l'avance, ça va prendre des mois. Je sens que Jean-Daniel se raccroche à ce film comme à une bouée. Je lui promets de m'y mettre dès qu'il le désire. Il reparle du 35 mm. En numérique ce serait plus rapide, Sandra pourrait monter les séquences avec le texte dit par moi (comme voix de travail). Que pense-t-il du texte ? Il a beaucoup de qualités mais il ne l'a pas encore bien lu. « Il va trop vite par rapport au film. » J'essaie de comprendre ce qu'il entend par cette différence de vitesse. « Le film va à 40 à l'heure, le texte à 80. » Bon. Mais ça veut dire quoi ? Qu'il est trop dense, que ses phrases sont trop directes ou trop allusives, trop courtes, que sais-je ? Poulos est incapable d'aller au-delà de son trop vite, de son 40 et 80... Débrouille-toi Jean-Paul pour piger le fond de sa pensée. Il voudrait plus de textes (peut-être pour avoir le sentiment qu'il pourra trier, couper, alors que là si c'est juste juste il se sent coincé). Je lui dit que je peux lui en faire encore, mais peut-être pas maintenant, je voudrais voir avec lui comment les phrases déjà trouvées fonctionnent déjà, à partir de là on corrigera, renouvellera le roulement des mots... Je lui propose cependant de remporter le paquet de photos scénario et de faire quelques ajouts que je lui livrerai avant de remonter à Paris le 16. Il est ravi. Je vais commencer par rectifier le positionnement des mots sur les pages blanches : horizontalement plutôt que verticalement puisque les photos se déchiffrent ainsi. Autre chose ? Oui, j'ai eu quatre comas dans ma vie, je voudrais te parler de mon premier coma. Je crois qu'il va me raconter une syncope récente. Pas du tout, c'était quand il avait vingt ans, qu'il vivait encore chez ses parents près du Bois de Boulogne avec vue sur le lac. Un jour qu'il regardait les rameurs évoluer sur ce lac, il a été pris d'un malaise, s'est évanoui et s'est réveillé en ayant oublié beaucoup de choses, ayant de la difficulté à lire... c'est pour cela qu'il ne lit plus que des livres nécessaires à un film... C'est après ce coma que j'ai décidé de tout faire pour entrer au service cinématographique des armées, là où j'ai réalisé Pourvu qu'on ait l'ivresse. OK ? J'enregistre cette confidence qui a l'air capitale pour lui et qui devrait l'être pour moi comme auteur du texte de son film. C'est un signal pour orienter mon écriture. Mais dans quelle direction ? Je n'ai pas le temps de creuser une hypothèse. Il veut maintenant, épluchant la liste qu'il tient dans sa main droite, me parler de la paralysie de sa main droite. Depuis son accident (de train), il a une tige de métal dans le bras droit et cela entraîne une difficulté pour écrire. C'est pour cela qu'il n'écrit pas, qu'il dicte aux autres ce qu'il a envie de mettre noir sur blanc. Autre message à mon adresse. Enfin, troisième chose qu'il tient à me signifier : il a subi plusieurs désintoxications pour son alcoolisme, mais c'est fini, il ne boit plus. La dose d'alcoolémie supportable dans le sang va de 1 à 5... Il est monté jusqu'à 4, 5... Maintenant, il est clair, il ne boit plus, c'est pour cela qu'il arrive à parler aussi bien... J'interprète : l'alcool rend muet, il a retrouvé la parole, il n'a pas l'intention de la reperdre... Et je me lance dans une interprétation des trois confidences convergentes qu'il vient de me livrer à mots précis, économisés, concentrés, sans doute ressassés depuis des jours. Donc, si je rapporte ce que tu viens de me dire au film que je t'aide à écrire, tu veux me signifier que l'opération photos Jour après jour te projette dans ton passé, dans le passé de ton corps : la photo est une anamnèse. Jour après jour tu descends en toi plus profondément. C'est ça ? Il acquiesce. Donc l'acte photo ce n'est pas qu'une contemplation du monde, c'est un retour vers soi. Je crois que je le dis un peu déjà dans mon texte. Oui. Tu voudrais que j'accentue ce thème ? Oui. D'accord. Je n'avais alors aucune idée de la façon dont cela pouvait s'accentuer. En rapportant cet échange, j'entrevois une piste : la photo rapport au monde, le film rapport à soi... Et puis ces trois handicaps : lire, écrire, parler... éprouvés au fil de sa vie par Jean-Daniel... surmontés par l'action de faire un film, de bâtir une œuvre en images et mots liés par un réseau de chair et de sang en celluloïd. Voilà, c'est ce que je vais désigner davantage. Mais tout est là déjà, il me suffira de développer, reprendre, envelopper.

Jean-Paul Fargier – Septembre 2004

Le cœur du souffle

« L'un d'entre nous demande ce qu'est la littérature. Je lui réponds : « Allez le demander aux sources et aux fontaines. » Il repose sa question ; je réponds : « Allez le demander aux torrents. » Comme il croit que je plaisante, je m'explique : « La littérature s'élabore par la concentration et le souffle. » Rien n'est plus insaisissable, dans la vie, que le plaisir. Le plaisir est comme les couleurs d'une montagne, la saveur de l'eau, l'éclat des fleurs, la grâce d'une femme. L'habile parleur ne peut en dire rien qui vaille ; seul le cœur le saisit par intuition »

Yuan Hongdao – Nuages et pierres (XVIe siècle)
Retour en haut de la page