IRONIE numéro 103 - Janvier 2005

Orfeo

La Musica / La Musique

Dal moi Parnasso amato a voi ne vegno, / De mon Parnasse aimé je viens à vous,
Incliti eroi, sangue entil de regi, / Illustres héros, fameux descendants des rois,
Di cui narra la fama eccelsi pregi, / Dont la renommée ne relate qu'imparfaitement les mérites
Né giunge al ver, perch'è tropp'alto il segno. / Tellement ils sont sublimes.

Io la Musica son, ch'ai dolci accenti / Je suis la Musique, qui de ses doux accents
So far tranquillo ogni turbato core / Sait apaiser les cœurs troublés
Ed or di nobil ira ed or d'amore / Et qui peut enflammer d'une noble colère ou d'amour
Posso infiammar le più gelate menti. / Les esprits les plus froids.

Io, su cetera d'or, cantando soglio / Chantant aux sons de ma cithare d'or,
Mortal orecchio lusingar talora, / J'ai coutume de flatter l'oreille des mortels,
E in questa guisa a l'armonia sonora / Et j'incite ainsi l'âme à désirer plus ardemment
De la lira del ciel più l'alma invoglio. / Entendre les harmonies de la lyre céleste.

Quinci a dirvi d'Orfeo desio mi sprona, / Mon désir est de vous parler ici d'Orphée,
D'Orfeo che trasse al suo cantar le fere / D'Orphée qui attira par son chant les bêtes sauvages
E servo fe' l'inferno a sue preghiere, / Et qui vainquit l'enfer par ses prières,
Gloria immortal di Pindo e d'Elicona. / Gloire immortelle du Pinde et de l'Hélicon.

Or mentre i canti alterno, or lieti or mesti, / Quand je fais alterner les chants joyeux ou tristes,
Non si mova angellin fra queste piante, / Qu'aucun oiseau ne bouge dans ces frondaisons,
Né s'oda in queste rive onda sonante, / Que nulle onde ne murmure sur ces rivages,
Ed ogni auretta in suo cammin s'arresti. / Et que toute brise suspende son cours !

Musique : Monteverdi & Livret : Striggio (1607)

Car Esse

Si « l'art est caresse », alors l'art de la caresse serait l'art de l'art, comme son miroir, comme son cœur battant mais secret.

Car Esse, car être, qu'est-ce qu'un être de caresse ? La caresse, c'est être – méditation excitation du corps. Elle peut se faire seul, à deux ou à plusieurs. Elle se situe dans l'allusion, dans l'ellipse, n'est jamais frontale ; plutôt décalée, un détail dans l'image, un jeu avec celui qui regarde. Elle est souple et pose la question de la représentation de la sensation. Car peut-on représenter une caresse ? Qu'est-ce qui nous permet de dire en peinture, en sculpture – là, ici, une caresse se joue devant nous, se montre... Quels indices visuels nous orientent vers ce plaisir, cet acte imperceptible d'effleurement ?

Vous a-t-on caressé ? Vous êtes-vous agréablement caressé ? Avez-vous caressé ? Ces trois questions sont vitales, essentielles – elles sont consécutives et constitutives de votre être aimant. Avez-vous des problèmes narcissiques d'image mal aimée ? Savez-vous vous laisser aller à un temps où la rêverie et le désir de l'autre s'accueille en beauté dans le silence de l'intime ? Les caresses vous semblent inutiles, fatiguantes, insignifiantes ? Vous n'êtes pas chatouilleux ? Vous avez oublié de jouer, de rire, de jouir ? La caresse est un secret d'être - cher être - je vous chéris chéri(e) d'être à même mes mains qui dessinent le contour de votre corps et par inclination d'amour l'intérieur en rêve qui enclenche le désir. Et ça poursuit les courbes, ça cherche des recoins sensibles, dérives psychogéographiques des mains, graphies des sensations qui s'écrivent selon les instants.

Emmanuel Lévinas dans Le Temps et l'Autre : « La caresse est un mode d'être du sujet, où le sujet dans le contact d'un autre va au-delà de ce contact. Ce n'est pas le velouté ou la tiédeur de cette main donnée dans le contact que cherche la caresse. Cette recherche de la caresse en constitue l'essence par le fait que la caresse ne sait pas ce qu'elle cherche. Elle est faite de cet accroissement de faim, de promesses toujours plus riches, ouvrant des perspectives nouvelles sur l'insaisissable. »

La caresse en philosophie, c'est l'anti-concept. Elle ne se systématise pas, ni se mathématise. Telle la pensée libre, elle échappe aux règles, se dispense en dépense, navigue par-ci, par-là, sans trop savoir où elle va, errante en joie dans son essence aristocratique.

Soyons sûrs, comme le pense Diderot, que c'est le plaisir qui nous tire hors du néant. Rien ne sert de souffrir, il faut jouir à point. La caresse corrobore l'adage : Hâte-toi lentement ; elle prend son temps, oisive à souhait.

Lionel Dax

Tenderly

The evening breeze caressed the trees tenderly ;
The trembling trees embraced the breeze tenderly.
Then you and I came wandering by
And lost in a sigh were we.

The shore was kissed by sea and mist tenderly.
I can't forget how too hearts met breathlessly.
Your arms open wide and close me inside ;
You took my lips, you took my love
So tenderly.

Musique : Jack Lawrence & Paroles : Walter Gross

Nouvelle révolution

« Ne perdons point le temps en regrets frivoles ; et tandis que la main du printemps nous caresse encore, ne songeons point qu'elle va se retirer ; jouissons du peu de moments qui nous restent ; buvons, chantons, aimons qui nous aime ; que les jeux et les ris suivent nos pas ; que toutes les voluptés viennent tour à tour, tantôt amuser, tantôt enchanter nos âmes ; et quelque courte que soit la vie, nous aurons vécu. Le voluptueux aime la vie, parce qu'il a le corps sain, l'esprit libre et sans préjugés. Amant de la Nature, il en adore les beautés, parce qu'il en connaît le prix ; inaccessible au dégoût, il ne comprend pas comment ce poison mortel vient infecter nos cœurs. » La Mettrie

Maintenant, ici, allons vers une éthique et une esthétique de la caresse... Sortir la caresse de son embrigadement pornographique sera une nouvelle révolution, faite encore une fois par des voluptueux...

Lionel Dax

Tancrède

La Paix

Plaisirs, Jeux innocens qui fuyez les alarmes, suivez mes pas, rassemblez-vous
Faites icy briller vos charmes,
Ce beau séjour est fait pour nous.
(Les suivans de l'Enchanteur et de la Paix s'unissent pour marquer leur réjouissance)

Le plaisir vous appelle,Il faut l'écouter ; La Raison rebelle, Veut y résister :
Mais cette cruelle, Que vous offre t'elle, Pour vous arrester ?
Gardez-vous bien d'entendre des discours fâcheux,
Qui veulent défendre les Ris et les Jeux ;
Vos beaux jours Sont si courts,
Le temps qui fuit sans cesse Vous redit toujours
Aimable jeunesse, Fuyez la tristesse,
Suivez les Amours. Aimable jeunesse,
Fuyez la tristesse, Suivez les Amours.

Une bergère :
L'amour dans la vie Peut seul nous charmer
C'est une folie De s'en alarmer.
La grandeur suprême N'est qu'un bien trompeur,
Aimer qui nous aime, Fait notre bonheur.
Passons la jeunesse Dans d'aimables Jeux,
Bornons la sagesse, À nous rendre heureux.

Une driade :
Nos plaisirs seront peu durables, Le Destin a compté nos jours !
Ne songeons qu'à les rendre aimables, Puisqu'il les a rendus si courts.
Soupirons, tout nous y convie, Livrons-nous à tous nos désirs  :
Sans compter les jours de la vie, Cherchons à goûter ses plaisirs.

Musique : Campra & Livret : Danchet (1702)

Anacréon

(Ballet)

Que le transport de ton ivresse à chaque instant renaisse avec la tendresse et les ris.
Le vol du temps qui nous presse, Nous fait mieux sentir le prix
De l'instant fortuné Que le Destin nous laisse.
Point de tristesse, Buvons sans cesse
Passons nos jours dans les amours et dans l'ivresse
Buvons sans cesse, aimons toujours le vin, la tendresse, convives et maîtresse
M'invite à jouir, m'invite à jouir
Tout plaisir m'enchante, je bois, je ris, je chante,
Toujours dans l'attente D'un nouveau plaisir.
Vois la tristesse, buvons sans cesse
Passons nos jours dans les amours et dans l'ivresse

Sans Vénus et sans ses flammes tous nos beaux jours sont perdus :
Les vrais plaisirs ne sont dus qu'à l'ivresse de nos âmes.
Si je partage mon choix, si je bois, Amour n'en prend point d'ombrage :
Ce breuvage donne plus de force à ma voix.
Sans Vénus et sans ses flammes tous nos beaux jours sont perdus :
Les vrais plaisirs ne sont dus qu'à l'ivresse de nos âmes.
Quel bonheur pour nous ! Quelle gloire ! Tout s'unit pour nous enflammer.
Bacchus ne défend pas d'aimer : Et l'Amour nous permet de boire.

Musique : Rameau & Livret : Bernard (1757)

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