IRONIE numéro 26 (Décembre 1997)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

>IRONIE numéro 26, Décembre 1997
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LE CIEL CRAQUELÉ DES PUZZLES
NE RESSUCITE POINT LA FÉERIE

"Précisions, statistiques : autant d'inutiles obscénités.
Les souvenirs me condamnent aux remords. Et tout de même la parade continue. C'est que l'odeur mauvaise des réminiscences attire les mouches. Je vous jure que ça ne sent pourtant pas la chair fraîche.
Et voilà qu'il ne s'agit plus seulement d'apporter une livre bien saignante, mais les curieux insistent. A qui l'a-t-on prise cette chair humaine ? Il va falloir répondre.
Alors intervient une volonté de mensonge. Ceux qui aiment les mots distingués l'appellent pudeur. D'autres - les plus habiles - disent qu'il est temps de passer aux choses de l'art, et pour se donner du cœur, sur l'air des lampions, ils se chantent à eux-mêmes : transpositions, transpositions, transpositions.
- Et hardi petits ! Nous aussi nous savons fabriquer de la fausse monnaie, des faux visages, des faux noms. Nous aussi nous allons écrire des romans, des confessions et servir une belle tranche de vie. Au travail.
Demi-aveux, les pires mensonges. Doit-on accuser le défaut d'invention ou la joie de se brûloter au feu qui fut celui de la plus belle jeunesse ?
Après avoir erré par les rues, si je n'ai pu y découvrir quelque raison de m'attarder ou de prolonger ma promenade, rentré chez moi, lorsque j'ouvre un livre au hasard, plus encore que de la pluie, des badauds ou des importuns croisés tout à l'heure chemin faisant, je m'irrite de cette imprimerie. Les hommes n'ont de souvenirs ou d'aveux qu'afin de cacher ce qu'ils craignent de découvrir de leur vrai visage, de leur présent.
Etranges perruquières que vos mémoires, vous tous qui avez écrit, peint, ou sculpté. Vous vous êtes maquillés et, avec des grimaces sous du fard, avez tenté de donner les minutes touchantes des visages humains. Souvenirs et intimes désirs jamais assouvis et même non avoués, vous avez voulu tout concilier par le jeu de quelque logique.
L'art ?
Laissez-moi rire. (...)
C'est toujours la même histoire : sous prétexte de civilisation il faut vivre au milieu des ersatz. Et déjà s'édifie un système qui explique notre perpétuelle solitude : si nous demeurons sans compagnons parmi ceux qu'on nous a dits nos semblables, c'est que nous ne trouvons aucune créature spontanée."

René Crevel, Mon corps et moi (1925)

 

SAUVE QUI PEUT LA VIE !

L'époque est misérable c'est certain, j'en ai les preuves ... Ecoutons, tendons l'oreille au bavardage incessant de l'im(age)monde, la rue, les bars, les lieux de travail, la radio, la télé poubelle ... l'ennui, l'accablement de la nuit partout. Enorme décalage entre la conscience que j'ai d'être dans le cours de ma propre histoire particulière sans confusion possible avec une autre et la non-conscience générale que je perçois distinctement dans l'écoulement somnambulique des discours entendus et ressentis, vidés de tout sens, de toute substance. Pauvreté et vulgarité des mots, des imaginaires, uniformisation et aliénation générale à la marchandise, devenue reine. Etrange impression que celle de voir alentour si peu d'hommes, si peu intéressés à eux-mêmes. Etrange impression de ressentir chaque jour davantage un monde qui se lève, un nouveau monde épris de néant, un désert toujours plus ouvert, toujours plus couvrant ...
Arthur Cravan écrit au début du siècle : "Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes et l'on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme." Nous y sommes, les manifestations et publications dites culturelles n'ont jamais été aussi florissantes. Aujourd'hui n'importe quel crétin médiatisé peut étaler sa bêtise à grand renfort de publicité, tout simplement parce que la bêtise appelant la bêtise le tirage peut être considérable et le coffre bien rempli.
Et l'homme ? De plus en plus rare, bulle de néant; agitation, bruit et fureur se déposant sur tout. Y a plus d'hommes ... L'homo-sairien est fatigué de lui-même, les histoires ne l'intéressent plus, il n'y croît plus, ne cherche plus une quelconque voie de salut. C'est un fantôme déjà passé, en attente du passage à la trappe. En ce point de constat amer, il y a urgence camarade résistant; l'humble mortel que je suis lance un appel au cœur charitable pour sauver l'espèce "homme" en voie rapide d'extinction.
Que tout homme encore vivant lorsqu'il le peut et le veut se fasse médecin. Qu'il apporte à son prochain quelques solutions thérapeutiques en vue d'arrêter l'hémorragie du sens et du plaisir.
Dix conseils pour un jeu sérieux :

  1. Faire sentir à l'interlocuteur perdu qu'il s'oublie à toute heure, qu'il est donc déjà mort.
  2. L'inciter pour son bien à supprimer cette machine à blabla qu'est la télé qui le dépossède de lui-même et de son rapport au réel.
  3. Lui conseiller de remplacer les trois heures qu'il dédie quotidiennement à l'image, par la lecture.
  4. Le mettre en garde contre la mauvaise littérature qui représente, tout de même, 99% des publications.
  5. Le diriger avec patience sur la voie des classiques, en commençant par "Les Pensées" de Pascal, "La société du spectacle et les commentaires" de Debord, "Les liaisons dangereuses" de Laclos et "Femmes" de Sollers.
  6. Bien lui expliquer que sa totale guérison, en vue d'un salut, sera longue et incertaine. Mais qu'en même temps, s'il remplace son nihilisme par son courage, des effets immédiats se feront sentir.
  7. S'il éprouve de réelles difficultés d'identification, des découragements innommables de lecture, lui conseiller de faire "comme si"; qu'il lise et relise jusqu'à ce que des étincelles de sens et d'émotions apparaissent. Bien lui réexpliquer, que c'est une question de vie ou de mort.
  8. Lui préciser l'importance d'une mise en pratique des textes dans sa vie de tous les jours.
  9. S'il se sort de cette mort programmée par l'économie marchande, lui faire entendre qu'il ne doit pas négliger sa conscience politique en faisant passer le message.
  10. Lui souhaiter bonne chance et bon plaisir.

Voilà, il me semble une action possible, pour rendre ce monde plus vivable. A l'intention des apprentis médecins : l'éloquence est bien sûr de rigueur, ainsi que le zèle déployé auprès du sexe féminin. Les cours particuliers pour les jeunes femmes sont fortement encouragés.
Sauve qui veut la vie ...

Daniel Figini

 

THÉORIE DES FLUX

La politique couleuvre des couloirs est en œuvre. La stratégie architecturale du "Château" s'amplifie. L'homme se fluidifie dans les artères construites pour sa mobilité calculée et névrotique. L'esthétique carrée et propre du couloir saccage la curiosité, les anfractuosités d'un lieu, d'une ville, et fait de l'homme une matière première ou fécale circulant dans les rouages de la société marchande. Nous plongeons idiots dans la théorie des flux, inventée pour nous, pour nous perdre. Tout est une affaire de flux. L'arrêt subversif, plus ou moins long, lié au hasard de l'expérience, vous met d'ores et déjà hors-la-loi de la logique, de la mécanique des fluides. Votre arrêt ironique, ruse de l'intrépidité de la pensée, n'en finit pas de provoquer des soupçons. Vous jouissez de situations inédites.
On parle de flux monétaires, de gestion des flux, des flux artistiques, de circulation, du flux des marchandises, des flux migratoires, le tout générant une société enflée de flux permanents. Ainsi, l'Organisation économique et politique, afin de les contrôler, de les faciliter, planifie les infrastructures. A Paris, le stationnement est limité (disparition des bancs), voire interdit (axe rouge, vigipirate). La ville est censurée, sa beauté présumée et préservée canalisée ! Une esthétique des couloirs bétonnés inspirée par le métro et les parkings nous circonstancie dans une esthétique de la misère souterraine ! En plus des musées, bibliothèques, hôpitaux, casernes, lycées ..., les rues deviennent les couloirs de notre impuissance à jouir. Quoi de plus facile à surveiller qu'un couloir ! Le "Château" était en place, ils l'ont fortifié !
De même, ceux qui manifestent dans les rues contre certaines lois et faits, pour certaines causes ou logiques, jouent à la théorie des flux. Le préfet les assigne à un trajet précis - souvent variable pour ne pas paralyser les commerçants d'un même quartier - en vue de régler le service policier et celui du nettoyage de la voirie, ballet vert efficace lavant l'asphalte pour que les nouveaux éléments du flux ne s'aperçoivent de rien.
Ainsi l'aveuglement continue ...

Lionel Dax

 

Man Ray

Man Ray - Eté 1929

 


Bénis ô rouge pine
ce jeu de tes deux couilles

Benjamin Péret, 1929

 


La belle et la bite
Habile habile habile
La bête, la grosse bête
La bite et la belle
Dit Bite ah bite habite
Moi vite

L'a montrée au bouton/La bite
L'a frottée au bouton/ La belle
Elle entre dans le con/La bite
La belle la belle la belle /Bite

IL ENTRE ELLE JOUIT
ELLE JOUIT C'EST UN PLAISIR
IL ENTRE ELLE JOUIT
ELLE JOUIT TANT QU'IL J
OUIT

Aragon, 1929


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