IRONIE numéro 29 (Mars 1998)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

>IRONIE numéro 29, Mars 1998
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Taches d'encreCRITIQUE DE LA SÉPARATION

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"Il ne faut jamais oublier que la communication à travers les médias n'est pas un simple exercice utilitaire visant uniquement à motiver, persuader ou vendre, ni encore moins un véhicule d'idéologie. Les médias peuvent parfois réduire les êtres humains à des éléments de consommation ou à des groupes d'intérêts concurrentiels, ou encore manipuler les spectateurs, les lecteurs ou les auditeurs comme de simples chiffres dont on cherche à tirer quelque avantage, qu'il s'agisse de vente de produits ou de soutien politique; et cela détruit la communauté. La communication a pour tâche de rassembler les personnes et d'enrichir leur vie, et non de les isoler et de les exploiter."

Jean-Paul II, Message du Saint Père pour la 32ème journée mondiale
des communications sociales à Cuba en février 1998

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"Le système économique fondé sur l'isolement est une production circulaire de l'isolement. L'isolement fonde la technique, et le processus technique isole en retour. De l'automobile à la télévision, tous les biens sélectionnés par le système spectaculaire sont aussi ses armes pour le renforcement constant des conditions d'isolement des "foules solitaires".
(...) L'aliénation du spectateur au profit de l'objet contemplé (qui est le résultat de sa propre activité inconsciente) s'exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit; plus il accepte de se reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et son propre désir. L'extériorité du spectacle par rapport à l'homme agissant apparaît en ce que ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C'est pourquoi le spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout."

Guy Debord, La Société du Spectacle (1967)
 

Taches d'encreLIBER

Liber- ateur, atrice, ation, alité, té, taire, tin, tine, al, alisme, able.
Les rajouts ne me plaisent guère. Ils embrigadent la racine de l'être, son impulsion première. Les suffixes, ça suffixe ! Dans les discours de ce temps, chacun y va de son râle libéral, de son cri liber-taire : Silence.
Tous alités, les liber-acteurs et actrices, dans leur liber-arbitre lorsqu'ils scandent leur liber-ration à tous.
Je ne rentre pas dans ces combines, les comptines capitalistes et anarchistes. Je suis liber, 4 fois liber, seul ...
1­lire le livre écrire,
2­libre pensée mobile,
3­la sève vie le sperme,
4­un des noms de Dionysos, le masque de l'inconstance qui navigue d'un liber l'autre !
Je suis épris de jouissance, esprit de jouissance. Mon matérialisme est charnel. Je suis liber

Léo Cordax
 

Taches d'encreVRAI-SEMBLANT

"Comme le faisait la plus ancienne et la plus pure philosophie, nous nous fondons aujourd'hui sur deux grands principes.
Les anciens disaient : contiens-toi et abstiens-toi. Nous disons : simule et dissimule; ou encore : connais-toi toi-même et connais les autres - ce qui, sauf erreur de ma part, revient strictement au même.
Nous commencerons par examiner le second de ces principes, après quoi, au sujet des différentes actions humaines, nous reviendrons au premier volet de cet exposé - dont je précise qu'il ne suivra aucun plan préétabli, tant il est vrai que c'est le hasard seul qui détermine les actions des hommes."

Mazarin, Bréviaire des politiciens (1684)
 

Taches d'encreCHANT D'AMOUR

"Je fis crouler la couchette, / La branly sous la couverte
Tant qu'elle en perdit l'alain (...)
Je me mys à labourer / Plusieurs foys heure et demye.
Quant elle l'eut savoré / Elle m'a dit : Ne dormez mie,
Je vous en prie, continuez."

Chansons du XVIème
 

Taches d'encreFORME DE L'IRONIE

"Les idées accessoires sont d'un grand usage dans l'ironie : le ton de la voix, et plus encore la connaissance du mérite ou du démérite personnel de quelqu'un, et de la façon de penser de celui qui parle, servent plus à faire connaître l'ironie, que les paroles dont on se sert. Un homme s'écrie, ô le bel esprit ! Parle-t-il de Cicéron, d'Horace; il n'y a point là d'ironie; les mots sont pris dans le sens propre. Parle-t-il de Zoïle; c'est une ironie : ainsi l'ironie fait une satyre, avec les mêmes paroles dont le discours ordinaire fait un éloge".

M. du Marsais dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert
 

Taches d'encreFURTIVITÉ

"Nous sommes trop inattentifs, ou trop occupés de nous-mêmes, pour nous approfondir les uns les autres : quiconque a vu des masques, dans un bal, danser amicalement ensemble, et se tenir par la main sans se connaître, pour se quitter le moment d'après, et ne plus se voir ni se regretter, peut se faire une idée du monde."

Vauvenargues, Réflexions et Maximes
cité par Guy Debord dans Panégyrique tome second
 

Taches d'encreLIBER

"Nous ne pouvons pas plus affranchir nos écrits de toute contrainte que nous ne pouvons être nous-mêmes affranchis de tout. Mais nous pouvons les faire aussi libres que nous sommes."

Max Stirner, L'Unique et sa propriété
cité par Guy Debord dans Panégyrique tome second
 

Taches d'encreLES PRÉDICATEURS DE L'INFORMATION
(suite, cf IRONIE n°28)

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Combien de temps faut-il pour comprendre une situation, une ère, un siècle??
Depuis le XV-XVIème, donner un nom générique à une époque est devenu une norme historique. Catalogue.
Ainsi, la Renaissance, l'Or, les Lumières, l'Industriel, le Technique, le Numérique, le Chaotique, les Ombres, le Lunatique ...
Il est nécessaire de lire les siècles à travers les études des siècles successifs. Prenez les textes du XIXème sur le XVIIIème; il est étonnant de constater qu'ils véhiculent avant tout l'idéal de révolte; tandis qu'au XXème, l'accent est mis sur le libertinage. D'ailleurs au XXIIème, le XXème, par les écrits et les comportements, est jugé comme un siècle libertin sous l'écorce de la technique, du nucléaire.
Les scandales de la santé de la fin du XXème ne sont que des voiles infimes derrière lesquels se jouent les appétits de jouissance, les nuées ludiques de l'écriture. Au cours du XXIème, l'histoire est mise en jachère, juste là pour rythmer quelques commémorations. Calendrier de l'oubli.
Le XXIIème, par contre, redynamise le principe encyclopédique du XVIIIème, et marque un vif retour de l'esprit critique. Le XXIXème, celui d'où je lègue ces lignes, situe le XXème comme le début de la modernité?: Automatisme-Vitesse-Image-Démocratie-Abstraction-DOLLAR !
Chaque siècle jauge les autres avec une nouvelle vision. L'histoire est mouvante. Les sources restent, les interprétations diffèrent.

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Le XXème, celui qui nous intéresse, pose le problème de la pléthore. Trop d'écrits, trop de bruits : siècle de papier. Lors de mon investigation, j'ai été frappé par la masse des publications qui tournaient le plus souvent autour d'une petite dépêche de quelques lignes sortie d'une des trois agences de presse mondiales. Les écrivains en perte d'imagination utilisaient alors les faits divers et les événements médiatiques. A la suite, les journalistes les imitaient pensant gagner la postérité par les livres plus que par les mots ! Seulement, il y en avait trop ! Chacun jouissait de son "style" qui avait perdu le dessin et les couleurs, la portée. En conséquence, les réseaux informatiques sont survenus pour étayer et diffuser ces concerts d'applaudissements onanistes ! Le pont vers le XXIème ouvrait ses voies de garage ...

 

Taches d'encreCHANT D'IVRESSE

"Cherchez la bouteille des vins amoureux,
Le jus de la treille rallume vos feux.

Brillante jeunesse, puisez la tendresse
Au fond du tonneau (...)
On peut faire gloire, d'aimer et de boire
Sans être inconstant."

Monteclair, Cantate : "Le Triomphe de l'Amour"
 

Taches d'encrePOTLACH : L'EXUBÉRANCE DE LA VIE

"Aujourd'hui, les formes sociales, grandes et libres, de la dépense improductive ont disparu. Toutefois, il ne faut pas en conclure que le principe même de dépense a cessé d'être situé au terme de l'activité économique.
Une certaine évolution de la richesse, dont les symptômes ont le sens de la maladie et de l'épuisement, aboutit à une honte de soi-même et en même temps à une hypocrisie mesquine. Tout ce qui était généreux, orgiaque, démesuré a disparu : les thèmes de rivalité qui continuent à conditionner l'activité individuelle se développent dans l'obscurité et ressemblent à des éructations honteuses. Les représentants de la bourgeoisie ont adopté une allure effacée : l'étalage de richesses se fait maintenant derrière les murs, conformément à des conventions chargées d'ennui et déprimantes. De plus, les bourgeois de la classe moyenne, les employés et les petits commerçants, en accédant à une fortune médiocre ou infime, ont achevé d'avilir la dépense ostentatoire, qui a subi une sorte de lotissement et dont il ne reste plus qu'une multitude d'efforts vaniteux liés à des rancœurs fastidieuses.
A peu d'exceptions près cependant, de telles simagrées sont devenues la principale raison de vivre, de travailler et de souffrir de quiconque manque du courage de vouer sa société moisie à une destruction révolutionnaire."

Georges Bataille, La notion de dépense (1933)

"Le véritable luxe et le profond potlach de notre temps revient au misérable, s'entend à celui qui s'étend sur la terre et méprise. Un luxe authentique exige le mépris achevé des richesses, la sombre indifférence de qui refuse le travail et fait de sa vie, d'une part une splendeur infiniment ruinée, d'autre part une insulte silencieuse au mensonge laborieux des riches. Au-delà d'une exploitation militaire, d'une mystification religieuse et d'un détournement capitaliste, nul ne saurait retrouver désormais le sens de la richesse, ce qu'elle annonce d'explosif, de prodigue et de débordant, s'il n'était la splendeur des haillons et le sombre défi de l'indifférence. Si l'on veut, finalement, le mensonge voue l'exubérance de la vie à la révolte."

Georges Bataille, La part maudite (1949)
 

Taches d'encreRIRE DU SÉRIEUX

"(...) il y a des écrivains pour prédire l'avenir, d'autres pour imaginer des questions sur le poil des chèvres. Rien n'est plus sot que de traiter avec sérieux de choses frivoles; mais rien n'est plus spirituel que de faire servir les frivolités à des choses sérieuses.
(...) A qui me reprocherait de mordre, je répondrais que l'écrivain eut toujours la liberté de railler impunément les communes conditions de la vie, pourvu qu'il n'y fît pas l'enragé. J'admire la délicatesse des oreilles de ce temps, qui n'admettent plus qu'un langage surchargé de solennelles flatteries."

Erasme, Eloge de la Folie (1508)
 

Taches d'encre

"Le vin, c'est comme l'amour, il vaut mieux le boire qu'en faire un thème d'exaltation continuelle."

Petites Feuilles n°4, 27 avril 1942
 

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