IRONIE numéro 36 (Novembre 1998)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> IRONIE numéro 36, Novembre 1998
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A PROPOS DES MASSACRES

Algérie, Afrique des grands lacs, Kosovo, etc ...
"Ils sont si fréquents que nous y sommes devenus presque indifférents. Les comptes-rendus qui nous parviennent nous affectent à peine plus que ceux de spéculations boursières sur des valeurs dans lesquelles nous n'avons pas investi. A force de les lire, nous nous sommes tellement habitués aux descriptions d'horreurs qu'elles nous font maintenant à peine frémir."

Mark Twain, De la religion : Dieu est-il immoral ? (1906)

 

GREFFES

Le vocabulaire et les techniques médicales, économiques, louchent de plus en plus vers nos espaces quadrillés. Cobayes et prothèses en expansion, voici venu l'être aux implants ! L'homme nouveau sera un puzzle, dissocié, résultat d'étranges greffes technologiques et organiques sur son corps socialisé jusqu'à l'esclavage.

Deux faits divers récents mettent en perspective les mutations futuristes de l'homme. Un chercheur anglais s'est greffé une puce domo(es)tique de son cru pour que ses machines "intelligentes" lui disent "bonjour" le matin et que les portes s'ouvrent à l'écoute de signaux inhumains émis du sein de son avant-bras : une dose d'électronique nichée dans des veines afin de parfaire l'ultime illusion d'être maître des microprocesseurs quand on est le pur produit de leur domination. L'autre expérience est une greffe de main. Demain nous promet des corps inédits, surprenants, patchwork de tissus, d'organes d'animaux et d'humains !

Cette évolution du corps va de pair avec son habillage technique, son environnement modèle. Nous portons, escargots modernes ayant oublié la lenteur, notre maison, notre vie privée sur la voie publique. Les portables (téléviseurs, ordinateurs, téléphones) sont les antennes d'une fausse mobilité, d'un nomadisme sécuritaire pour pallier les incidents du réel.

La télévision, reine de la stupidité, le cinéma qui a désormais renoncé à penser, les variétés dans ce qu'elles ont de plus uniforme, Internet avec son Fonds Multiple d'Informations comme le miroir ludique du vide communicationnel ne sont que des greffes de divertissement...

Si l'opération est réussie, alors amusez-vous bien, et riez de votre propre médiocrité à travers celles des autres. Nous sommes plutôt sensibles à la singularité, aux surprises, aux greffes amicales et amoureuses qui souffrent aujourd'hui d'un lourd rejet épidermique et d'un discrédit que nous espérons épisodique.

La Rédaction

 

Pour décompresser, se trouver des cons pressés

Adrien Pwatt

 

CRÉDITS À MORT

Embêté par des dettes, emmerdé par des traites, endetté avec des prêts, enquiquiné par des emprunts, empêtré dans des échéances ? Aucune inquiétude, on va quand même vous prêter de l'argent ! Vous rembourserez plus tard... On trouvera une solution... Ce serait bête de pas l'acheter, si c'est un coup de cœur ! On n'est pas des chiens, on va s'arranger. Tenez ! je vais vous chercher un formulaire... Médiatis, Cofinoga, Sofinco, Cetelem, Crazy George... Voilà les noms des nouveaux affameurs... "Facilité de paiement", "règlement étalé sur dix mois", "carte de crédit"... Que de vocabulaire alléchant, pour entuber l'ami de passage !
Un ouvrier qui gagne le SMIC, et qui aurait 50 000 francs de crédit à 18%, perdrait 15% de son salaire à payer les intérêts de sa dette, sans la rembourser. Un bourgeois, qui aurait un million de franc placé à 6%, toucherait mensuellement 5 000 francs en intérêts, l'équivalent d'un SMIC, sans entamer son capital. Et il est à peu près aussi facile pour un bourgeois de réunir la somme d'un million de francs que, pour un ouvrier, de contracter 50 000 francs de dettes.
Il y a des sociétés, cotées au premier compartiment, dont le métier consiste à exploiter la crédulité d'hommes et de femmes dont la seule faute est de rêver tout éveillé. Les rabatteurs, à coup de slogans publicitaires exhortant à consommer toujours davantage, entraînent le gibier vers un filet duquel il ne s'échappera pas de sitôt.
Dans cette sombre chasse à courre, les plus chanceux bénéficieront peut-être, après bien des années, de cette grâce que l'on accorde avec parcimonie : "la faillite personnelle"... Quelle expression terrifiante ! L'être humain n'est-il donc qu'une entreprise comme les autres ? Devra-t-on bientôt parler de fusion-absorption pour dire "mariage", d'entrée en bourse pour "baptême" ? Malheur à ceux dont le passif dépassera l'actif ! Esclavage insolite et sinistre que celui qui unit la mort à crédit et la rente à vie : les négriers d'aujourd'hui ne distribuent plus de coups de fouets, mais de l'argent !

Hervé Rouxel

 

PROFITONS-EN

"Je n'aime pas profuse en un château richesse tenir enfouie, mais des choses bien jouir et avoir le renom de combler mes amis. Car communes s'en vont les attentes des hommes recrus de peines."

Pindare, Première Néméenne


"Si je lis avec plaisir cette phrase, cette histoire ou ce mot, c'est qu'ils ont été écrits dans le plaisir (ce plaisir n'est pas en contradiction avec les plaintes de l'écrivain). Mais le contraire ? Ecrire dans le plaisir m'assure-t-il - moi écrivain - du plaisir de mon lecteur ? Nullement. Ce lecteur, il faut que je le cherche, (que je le "drague"), sans savoir où il est. Un espace de la jouissance est alors créé. Ce n'est pas la "personne" de l'autre qui m'est nécessaire, c'est l'espace : la possibilité d'une dialectique du désir, d'une imprévision de la jouissance : que les jeux ne soient pas faits, qu'il y ait un jeu."

Roland Barthes, Le plaisir du texte

 

LES NÉO-SITUATIONNISTES

Les sergents recruteurs d'aujourd'hui ont des méthodes qui ressemblent à de la pure torture. Outre l'exemple outrancier des agents de Berlusconi qui plaquent une lampe forte sur le visage apeuré des candidats afin de tester leur résistance à la sueur (un cadre stressé qui sue, c'est sale, une mauvaise vitrine de l'entreprise), une nouvelle forme de recrutement pousse plus loin l'expérience : l'assessment, la mise en situation.
Les grandes entreprises ne veulent plus d'"erreur économique" dans leurs staffs voués depuis longtemps à une productivité aveugle. Les tests se durcissent, varient, durent, véritable théâtre de la cruauté mentale.
Pas d'alcool, d'aléatoire, de dérive riche en rencontre au gré des pensées, de rire libre, les néo-situationnistes sont au service des multinationales pour éradiquer les mauvaises surprises de la graphologie, de l'horoscope et des tests psychologiques. Place au sitcom afin de décrocher un job :

Libération, 19/10/1998


Ces néo-situationnistes pervertissent le jeu en le menant vers les alcôves du travail par des scènes extrêmes visant le réflexe conditionné des acteurs. Tout ceci va à l'encontre des plaisirs gratuits où la pensée vagabonde de corps à corps dans une improvisation qui n'a d'autre but que la recherche de sensations, entre autres celle de l'écoulement du temps. Proxénètes des grands groupes comme Accor, Banques populaires, Danone, Marks et Spencer, Rank Xerox, Carrefour, La Redoute, Bouygues Télécom etc ..., ces situationnistes marchands font se courber plus profondément, jusqu'à l'humiliation, jusqu'au stress, les demandeurs d'emploi au nom de la Sacro-Sainte performance économique. On imagine assez aisément le ricanement et le mépris des décideurs derrière les glaces sans tain ou les moniteurs vidéo filmant la situation en direct. Contre la mécanique des réflexes usons de la dynamique de la réflexion.

Benjamin Lérinan

 

"L'histoire enseigne que les dictateurs ne finissent jamais bien"

Général Augusto Pinochet

 

QU'EST-CE QUE C'EST ?

"Qu'est-ce que l'humorisme ? Si nous voulions tenir compte de toutes les réponses que cette question a suscitées, de toutes les définitions qu'auteurs et critiques ont essayé de formuler, ce sont des pages et des pages qu'il nous faudrait remplir pour probablement, à la fin, perdus que nous serions parmi tant d'avis contraires, n'en arriver qu'à répéter :

­ Mais, somme toute, cet humorisme, qu'est-ce que c'est ?

Nous avons déjà dit que tous ceux qui, incidemment ou de la manière la plus sérieuse, en ont parlé, s'accordent sur le seul point qu'il est on ne peut plus difficile d'énoncer de quoi il s'agit, car l'humorisme présente des variétés si infinies et un si grand nombre de caractéristiques qu'à vouloir le décrire sous son aspect général on risque toujours d'oublier quelque chose.
Cela est vrai. Mais il est non moins exact qu'on aurait dû depuis longtemps avoir compris que partir de ces caractéristiques n'était pas la voie la meilleure pour arriver à bien saisir l'essence réelle de l'humorisme, puisqu'on aboutit toujours à tenir pour fondamentale celle entre elles qu'on a reconnue être commune aux œuvres et aux écrivains qu'on aura étudiés avec le plus de prédilection; d'où il s'ensuit qu'on se trouve avoir en conclusion autant de définitions de l'humorisme qu'on aura découvert de caractéristiques, lesquelles, naturellement, possèdent toutes une part de vérité en même temps qu'aucune n'est la vraie.
Certes, la somme de toutes ces caractéristiques variées et des définitions qui en découlent nous rend capables de comprendre, sur un plan très général, ce qu'est l'humorisme. Mais on n'en aura jamais qu'une connaissance sommaire et extérieure, pour la raison précisément que sont sommaires et extérieures les déterminations sur lesquelles elle repose."

Luigi Pirandello, L'Humorisme

 

TRIQUE OU TRAC

La danseuse orientale qui ondule en postures
perverses, depuis ses premiers ongles tendres,
je l'admire, non de mettre en tout la passion, ni d'étendre
mignonnement des bras mignons, comme-ci et comme-ça,
mais parce que, danser autour d'un clou mangé d'usure,
elle sait ... et qu'elle ne fuit pas devant les rides antiques.
Bisous, chatouilles, enlacements ... et si elle lance - hop-là ! -
la jambe, de l'Hadès elle fait revenir la trique !
Automédon de Cyzique, La couronne de Philippe (Ier s. ap. J-C)

 

LES DENTS DE L'IRONIE

"L'ironie du poète est comme une très fine scie armée de tellement de dents - parmi lesquelles la satire - qu'elle mord un peu tout le monde, tout doucement, subrepticement"

Luigi Pirandello, L'Humorisme


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