IRONIE numéro 42 (Mai 1999)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières

> IRONIE numéro 42, Mai 1999

 

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Supplément du numéro 42,
Poésies de Goëthe, traductions inédites en France, érotiques et ludiques, présentées par V. Rechaliev (deuxième volet).


LE GOÛT D'EN RIRE

"Un prodige m'est advenu. J'ai été ravi au septième ciel. Là, tous les dieux assemblés m'accordèrent par grâce spéciale la faveur d'exprimer un désir. "Veux-tu, dit Mercure, la jeunesse, la beauté ou la puissance, une longue vie, la plus belle des jeunes filles ou quelqu'une des nombreuses merveilles que nous possédons dans notre vieux bric-à-brac, - choisis, mais une seule chose." Un instant je restai déconcerté, puis m'adressant aux dieux, je leur dis : "Très honorés contemporains, je choisis cette seule chose : avoir toujours les rieurs de mon côté." Pas un seul dieu ne répondit, par contre tous éclataient de rire. J'en conclus que ma prière était exaucée, et il me parut que les dieux s'exprimaient avec goût, - n'aurait-il pas été déplacé, en effet, de me répondre gravement : "Nous te l'accordons.""

Sören Kierkegaard, Ou bien ... ou bien "Diapsalmata"

 

CORPS À CORPS

"O Amor é finalmente "Finalement c'est ça l'Amour :
um embaraço de pernas, c'est de jambes un emmêlement,
uma união de barrigas, une agglutination de ventres,
um breve tremor de artérias. un bref tremblement des artères.
Uma confusão de bocas, C'est un accouplement de bouches,
uma batalha de veias, un combat sans merci de veines,
um rebuliço de ancas, un enchevêtrement de hanches,
quem diz outra coisa, é besta." qui dit le contraire, est un niais."

Gregorio de Matos, Poèmes, XVIIème siècle.

 

CHAMPAGNE

"Certains esprits, pour faire éclater leur feu, ont besoin d'être contenus et comme captivés par un sujet fixe et un temps court. Ils éclatent alors et s'élancent par jets, semblables à ces vins qui ne pétillent et ne montrent leur feu que lorsque, renfermée en un petit espace et contenue entre les parois d'une bouteille, leur fermentation se concentre et prend une vivacité que plus de liberté anéantirait."

Joubert, Maximes et pensées

 


"Sans érotisme, pas de pensée"

Rémy de Gourmont

 

L'ORDRE DU JOUR

Rien n'est plus personnel que le temps. Inégal pour tous, il est pourtant démocratique en un sens. Chacun en possède sans pouvoir connaître ses ressources, l'utilise à son gré. Libre à soi d'en gagner, de le perdre ou en avoir devant soi, vivre dans le présent, le passé ou l'avenir. Parallèlement à ce temps personnel existe un temps imposé, une ponctuation officielle. Son unité de mesure en diffère. Le calendrier ne scande pas au jour le jour, mais rythme en termes de journées, fêtes, semaines, événements... derrière lesquels se cachent diverses institutions et associations. Cet autre temps est celui de la célébration. Sur l'autel de la culture humanitaire, on sacrifie une semaine pour la défunte poésie, une journée à la musique, l'Internet, une année à un grand homme... On consacre aussi des journées, des fêtes condescendantes de lutte contre des maux que l'on ne veut soulager qu'un jour par an (la faim dans le monde, le sida, etc...) ou pour des minorités ou pseudo telles à réhabiliter. On célèbre alors pèle-mêle la femme, le cheval, les handicapés, cyclistes, piétons, mères, pères, grands-mères, grands-pères... L'absurdité du mélange semble ignorée. Le calendrier politically correct se bat pour de fausses causes. Par la vanité de ses cultes, il détourne l'attention des vrais problèmes. Il joue le rôle de bonne conscience pétainiste, de mémoire postiche pour société qui perd la tête. Les médias lui assimilent des "événements", grandes messes qu'on ne saurait manquer (salons, festivals, etc...) si bien que le temps imposé n'est jamais libre. Il ne respire pas. On le gave. C'est pour cela que la société, lorsqu'elle sort sa culture humanitaire affirme qu'il faut savoir le gérer, comme l'argent !

Delphine Lesbros

 

LA PESTE VERTE !

Je suis l’homme à la tête de flouze ! Si j’en ai ? affirmatif ! Si j’en file ? No comment… Pièces, fafiots, lingots ? Peu importe… affirmatif ! Et quoi d’autres ? No comment ! Compte en suisse ? Déconne pas ! Planqué ? A l’ombre, net d’impôts ? Affirmatif ! Des combines ? Toujours, tout le temps, sans arrêt ! Actions ? Ah ouais, ça ouais, beaucoup, moult, quantité ! Dividendes ? Arrête ! Tu te fais du mal ! Plus-values ? Touche pas à ça petit, tu vas y prendre goût ! Défiscalisé, paradis fiscal ? Arrête bon Dieu, ah putain ça y est, t’es foutu ! Tu m’as vendu ton âme ! Ah ah ! Business is business…Je fais tourner les têtes, j’enfante la prostitution, je fais commettre des crimes, et quelquefois des abominations… La religion, c’est moi ; je suis paroisse, je suscite des vocations ! Je baptise à tour de bras, j’enrôle, je convertis, je prêche dans toutes les langues : dollar, yen, euro ! je donne la foi à des milliards de miséreux dont quelques poignées seulement décrocheront la timbale, l’hostie, la galette, le pactole, le Paradis… Au nom du Pèze, du Fric et du Saint-Artiche, tuez-vous les uns les autres !

Ah ! hi, hi… Y’a longtemps que j’ai gagné, la partie ! J’ai plus rien à prouver, mais je continue ! Je suis vicieux, je m’amuse… Je fais la sortie des Ecoles ! Je les attends, je les cueille… « Amour » qu’ils disent ! Egalité ! Liberté ! Ah, ah, ah… Sont-ils jeunes, les nouveaux diplômés ! Alors, moi je m’approche, et je leur chuchote dans le creux de l’oreille : «pognon», mon petit ! Ils font comme s’ils n’avaient pas entendu, les fourbes ! Mais moi je sais qu’ils ont très bien compris… Je vois leurs pupilles se dilater, la fièvre monte, la drogue s’insinue, se distille, fait son petit effet : l’ambition, la jalousie, tout est en place ! Le film peut commencer ! Moteur ! Money…

J’ai commencé doucement, certes, mais maintenant j’ai fondé un véritable empire, ou plutôt une sorte d’Enfer ! Y’a plus rien sur cette planète que je n’ai vérolé, contaminé, corrompu… Les files de smicards qui vont claquer leur paie au P.M.U. le dimanche, c’est moi ! Les grouillots qui épluchent La Tribune dans le métro le matin ? That’s me ! Les magnats du pétrole, les barons de la finance, les raids, les O.P.A. et les fusion-absorptions ? Je ! Les plans de licenciements de quinze mille personnes dans les multinationales super bénéficiaires ? Mon œuvre ! Détournements de fonds publics, malversations, pots-de-vin, faux et usage de faux, corruptions diverses ? Ich ! Publicité à gogo et à outrance partout et everywhere ? My personal touch… Oh, j’oubliais : l’autre soir, au journal de vingt heures, il y avait l’hôtelier d’une station de ski qui parlait de «Capital neige» ! Il m’a ému, le petit ! C’est tellement moi, de causer comme ça…

Ah oui, oui c'est ça : je les ai dressés, éduqués, initiés au culte du billet vert ! Et j’avoue que maintenant, les élèves ont presque dépassé le maître ! Tenez, les Berlinois sont en train de mettre au point un système pour diffuser des films publicitaires par les fenêtres du métro pendant qu’il roule ! Ça, j’y avais pas pensé ! Mais l’idée me plaît bien, ah ah oui, l’idée m’a séduit… Les vaches, ils ont un wagon d’oseille d’avance ! Peut-être qu’un jour, on dormira avec un canon à pub dans le cul ! Oui, oui… Ce serait merveilleux, celui qui inventera ça, je lui cède mon royaume !

Oh seigneur… j’ai tout bouffé, tout ! Le cinéma ? Commercial ! Télévision ? Mon fief ! Littérature ? Ah bah ça c’est pas compliqué, y’a plus ! Pas le temps… and don’t forget : time is money ! Les loisirs ? Parcs d’attractions, tours operators, locations de vacances, marchands de souvenirs, sur-exploitation de sites touristiques… Oh oh ! Ah là pardon, j’ai fait le ménage ! Ah ben qu’est-ce qui reste ? Le web ? The last, but not the least… Plus possible de diffuser une page H.T.M.L. sans que deux ou trois annonceurs y mettent leur grain de sel ! Et puis Internet, ça commence déjà à rapporter des pèpètes, hein ! Ah, ah, dès qu'y’a une naissance, je suis le parrain !

Eh oui, il n’y a plus que moi ! Je règne sans partage ! Je suis le patron, le boss, le caïd, le roi tout puissant ! Tout le monde m’honore, tous me respectent ! On me fait des courbettes, on me déroule le tapis rouge, on me chouchoutte, on m’idolâtre ! Quelquefois, j’en croise qui vendraient père et mère pour quelques picaillons… Ils sont à moi, comme une pièce de monnaie est à celui qui la tient dans sa main ! L’argent n’a pas d’odeur : la puanteur est alentour… Bah, au fond, je me sens un peu seul, car c’est vrai, je suis tout seul, mais… je suis partout ! Je suis partout, je suis partout …

Hervé Rouxel

 

LETTRE À JOUIR

"Pourquoi donc te rendre malade en te branlant constamment la pine lorsque tu pourrais employer beaucoup mieux cette douce liqueur qu'il est à mon avis complètement inutile de perdre. Que mes lettres te rendent heureux, j'en ai l'âme entièrement ravie et le cœur des plus joyeux puisque mon seul but est de te plaire. Mais je voudrais aussi te rendre heureux par ma personne, t'amuser, te distraire, te montrer que je t'aime et te donner enfin en réalité ce que tu ne possèdes qu'en imagination.
Ce que tu me fais de plaisir en me disant que je te procure d'énormes jouissances, m'enchante; aussi mon gros bouton du bas est-il d'une polissonnerie insupportable, ce Monsieur ne fait que m'énerver. Je ne puis pourtant le faire jouir du matin au soir car j'en deviendrais imbécile. (...)
Je veux jouir par toutes les portes, en faire où il n'y en aura pas. Prends un scalpel, découpe, charcute, et fais de moi une femme tout à fait prodige pour que je puisse conquérir ton amour absolu. L'idée de la saucisse est vraiment ingénieuse. Elle l'a donc fait cuire à la chaleur de son con ? Combien de temps l'a-t-elle gardée entre ses jambes ? C'était vraiment une grande cochonne. La graisse de la saucisse, si elle l'avait fait cuire, devait couler dans son con, et tu étais bien cochon, bien saligaud de bander ainsi en voyant une pine factice dans le con de ta bien-aimée. Il est bien assuré que si je t'avais vu jouir ainsi j'aurais voulu me joindre à vous autres. Crois-tu que j'aurais assisté à cette exhibition de pines, de couilles, de culs, de cons et de branlage ? Je me serais immédiatement mise de la partie, et cela vaut bien toutes les pines de la terre dont je n'ai nulle envie, hormis la tienne. Mais, mon pauvre amant, tu n'aurais plus de pine que je t'aimerais tout de même."

Lettre de Mathilde de Swazzema à Gustave Courbet, 1873

 

COMME À LA GUERRE

"Le con1 est la forteresse,
le pénis
2 est le capitaine,
les couilles
3 sont les bombardiers,
la motte
4 est la mèche."

Gregorio de Matos, Poèmes

 

ETERNEL COMBAT

Cherchons à railler en tous lieux,
Soumettons à nos ris et le ciel et la terre :
Livrons au ridicule une éternelle guerre,
N'épargnons ni mortels, ni dieux !"

J. Autreau & J. Le Vallois d'Orville,
Livret de Platée de J.-P. Rameau

1 Milosevic
2 Clinton
3 Les médias
4 La haine


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