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IRONIE numéro 45, Septembre 1999 |
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Supplément
peinture du numéro 45, la peinture selon Guido Biasi. |
"Voluntas
non potest non frui,
ostenso obiecto fruibili"
"En présence d'un objet de jouissance,
il est impossible à la volonté de ne pas jouir."
"Je veux quitter ce monde
des fous pour de bon
Vivre dans la nature loin de la pollution."
Voilà, on nous pompe l'air
depuis une décennie sur les méfaits de la pollution ... la couche
d'ozone, le méthane, le mercure, l'uranium, le tabac, le dioxyde de carbone,
l'amiante, le bruit et d'autres à venir. Ainsi, les pays atteints de
certains de ces maux modernes, sur les décombres des idéologies
et du collectif, sont partis en croisade contre le souffle putride de l'atmosphère
provoquée par l'industrialisation insatiable des hommes. C'est la nature
de ces derniers qui est en jeu dans ces invectives contre le gaspillage, le
pillage du temple forestier, les combustions excessives d'énergie en
voie de disparition, les trouées souterraines, le saccage du sol. L'homme
crie désespérément : "Après moi le déluge".
Et il a raison ... Pourquoi se priver, se retenir de dépenser, de
polluer avec extase tant que le plaisir rit en nous ?
Notre respiration, la combustion de nos corps, sont déjà des pollutions.
Est-ce à dire que le contrôle des naissances dans les pays du tiers-monde
est une mesure écologique ? La merde des animaux d'élevage (lisiers,
fumiers, fientes, composts) dégage du méthane en grande quantité
... Respirer déjà, se nourrir, déféquer, se chauffer,
se déplacer : Où allons-nous trouver toutes ces énergies
pour vivre sans écorcher la nature ? Quelle étrange hypocrisie
transpire dans les programmes écologistes au vu et au su de l'évolution
technique de l'homme ? L'homme aime la nature tant qu'il la pollue. Il éjacule
son plaisir en son sein, magnifique enfanteur de déchets qui sont les
traces de ses délectations.
Au début du siècle, alors que les usines crachaient depuis longtemps
des fumées noires, la pollution était morale ("Action de
polluer, profanation, la pollution d'une église ..."), voire physiologique
("Emission involontaire de sperme"). Certains mêmes allaient
jusqu'à se polluer au sens réfléchi, c'est-à-dire
à se souiller eux-mêmes par certaines pratiques honteuses. Le dictionnaire
en reste là pour les confidences. En fait, polluer au sens premier, c'est
mouiller ... C'est l'essence même du plaisir, la jouissance seul ou à
plusieurs, une profanation de la culpabilité ...
Qui n'a pas pollué me jette le premier détritus ... Réclamons
le droit de jeter une bouteille de champagne à la mer après avoir
baisé ses bulles fines, un mégot par terre sans réfléchir
à son degré de décomposition ... Revendiquons un art
de la pollution, dans l'instant du plaisir. Après avoir consommé
le contenu avec bonheur, le contenant doit être abandonné, parasite
superflu. Il faut savoir jeter comme on doit oublier pour ne pas s'encombrer
de scories inutiles, salir partout, semer les reliques de nos jouissances incomprises
aux yeux des autres ... On n'attend pas une poubelle pour jouir. Et quand on
s'épanche, on insulte le respect de la nature, la prosternation devant
la terre, à genoux, la prière au sol des pitres du propre. Aussi
est-il nécessaire de rire des causes internationales, d'un humanisme
qui devient le nouveau catéchisme des masses : le respect des peuples,
le respect civique ... Tout ça pour freiner les pulsions de dépense,
de vitesse, les combustions de l'amour. Les jours où l'air pue dans les
villes de plus en plus gonflées de solitude, les voitures ne doivent
pas circuler ou au pas. On limite. Dans le même élan débile,
les experts accusent le soleil d'être complice des gaz nocifs qui concourent
au réchauffement de la planète. La pollution est notre fait, notre
identité ... elle est naturelle ! Ah bon, on vit, ah bon, on pollue,
ah bon, on va mourir ? ... Peut-être que l'homme périra à
cause d'une pollution devenue incommensurable. On s'interroge encore sur la
fin des dinosaures, on s'interrogera de même sur la fin de l'homme ...
Notre présence est un passage où il faut savoir viser la volupté.
"Après nous le déluge", oui, c'est une bonne éthique
qui n'a rien de fataliste et qui s'évertue à ne pas dénigrer
le temps de jouir qui nous est imparti.
Alors, quand une entreprise automobile comme Peugeot, qui n'arrête pas
de faire des bénéfices sur l'émission du dioxyde de carbone
(premier diéséliste du monde), décide de planter 10 millions
d'arbres afin de reboiser la forêt brésilienne et de lutter contre
l'effet de serre, on est en droit d'ironiser sur cette bonne conscience marchande
qui pollue d'un côté pour respirer dans l'autre. "Les forêts
du futur pourraient constituer des monnaies d'échange dans la foire internationale
des droits à polluer." (Le Monde - 13/08/1999).
Il est idiot de se leurrer sur notre temps. Il est industriel et il pollue vite ...
C'est sa beauté ... Seule la pollution de la jouissance est respirable,
vitale même pour qui n'a pas peur de l'avenir. Ce qui finit par être
risible, ce sont toutes les leçons de morale des petits Rousseau qui
proposent de nouveaux contrats de mariage avec la nature ... On les entend un
peu trop ces chanteurs à la croix de bois de l'écologie avec leurs
slogans contre nature :
"Soyez propre, sauvez la couche" !
Plus nous inspirons, plus la terre expire ... C'est le jeu de la vie. Continuons pour le plaisir notre droit à la pollution ...
"Trompez toujours le plaisir,
et lorsque vous voyez qu'une chose se laisse entrevoir,
frappez au plus loin de ce qu'on attendait."
"Il était au-dessus d'elle, tout droit, très haut, son sexe brillait dans un rai de lumière; alors elle le désira, elle le voulut et lui, d'une voix basse et frénétique, lui dit : "Chienne, trois fois chienne, tu oses vouloir"; il l'enjamba et lui ordonna de se rouler encore entre ses jambes écartées qui conduisaient prudemment cette roulure vers une bouche d'égoût tout encombrée d'ordures. Elle, les bras le long du corps, roulait sur elle-même : ventre, côté et dos et puis dans l'autre sens en proie au délire et à la vision de ce sexe agité et triomphant qui commandait le rythme. Enfin, elle vint buter contre le trottoir dans un glouglou d'eau de ruisseau. Les cheveux pleins de déjections, les yeux fous, la bouche salie, toute jaune aux commissures des lèvres mais avide encore et deux mains qui s'élevaient, se tendaient, blanches, diaphanes, vers le sexe. Elle était toute prière, toute offrande. Il cracha dans cette bouche entr'ouverte et mordit les doigts si fins qu'il n'en fit qu'une bouchée de tendres cartilages. Et comme il s'éloignait à reculons, afin qu'elle ne perdît pas de vue le sexe monstrueux, elle se traîna devant lui sur ses moignons et sur ses genoux. Il monta quelques marches et franchit, toujours à reculons, une immense porte romane où elle s'engagea à son tour comme une chienne boiteuse. Il s'enfonça dans un sombre bâtiment en forme de couloir, elle traînait sur un tapis pourpre son corps béant de plaies sanglantes et d'ordures. Montant quelques degrés encore, au plus profond de l'obscurité, il lui commanda de s'agenouiller devant une grille basse qui les séparait. Disposant sur les poignets un linge blanc, il y plaça sa queue.
Quand elle eut communié et une fois le foutre avalé, les doigts repoussèrent (avec des ongles vernis "angélus") et le corps blessé revint à la pleine santé.
Le grand orgue, de son propre mouvement, célébra ce miracle, et l'homme et la femme, et Verax et Laure s'en allèrent très tranquillement chier dans les bénitiers et pisser dans le ciboire, puis ils se lavèrent le derrière avec la nappe de communion trempée d'eau bénite avant de retourner à leurs affaires, à leur vie dont chaque heure était une joie et une haine.
Elle monta le lendemain sur l'autel pour montrer son cul à tous les fidèles et le prêtre, à l'élévation, écarta les cuisses entre lesquelles pénétra l'hostie, puis il lécha ce cul divin jusqu'à ce que l'enfant de chur, s'agenouillant devant lui, vînt à grands coups d'encensoir libérer la queue d'entre les dentelles et les dorures et avaler le Saint-Foutre qui lui jaillit à la figure. Cependant Laure, le cul nanti d'un sacré suppositoire, libéra son ventre et sa vie avec des cris sauvages et des convulsions ébranlant jusque dans ses fondements le maître-autel qui s'effondra sous elle.
Et l'on vit enfin le Christ d'argent vaciller dans la merde."
"Nous savons que le "Grand
Art" est grand parce que les hommes, des "spécialistes",
nous l'on dit, et nous ne pouvons pas dire le contraire vu que seules des sensibilités
exquises bien supérieures à la notre sont à même
de percevoir et d'apprécier ce qui est grand, la preuve de leur sensibilité
supérieure étant qu'ils apprécient les saloperies.
"Apprécier", c'est tout ce que sait faire l'homme "cultivé".
passif, nul, dépourvu d'imagination et d'humour, il faut bien qu'il se
débrouille avec ça. Incapable de se créer ses propres distractions,
de se créer un monde à lui, d'agir d'une façon ou d'une
autre sur son environnement, il doit se contenter de ce qu'on lui offre. Il
ne sait pas créer, il ne sait pas communiquer : il est spectateur. En
se gobergeant de culture, il cherche désespérément à
prendre son pied dans un monde qui n'a rien de jouissif; il cherche à
fuir l'horreur d'une existence stérile d'où l'esprit est absent.
La "culture" c'est le baba du pauvre, le croûton spirituel des
tarés, une façon de justifier le spectateur dans son rôle
passif. Elle permet aux hommes de se glorifier de leur faculté d'apprécier
"les belles choses", de voir un bijou à la place d'une chiure.
Ce qu'ils veulent, c'est qu'on admire leur admiration. Ne se croyant pas capables
de changer quoi que se soit, résignés qu'ils sont au statu quo,
ils sont obligés de s'extasier sur des chiures vu qu'il n'y a que des
chiures à l'horizon de leur courte vue."
"La recette d'une uvre d'art, ses ingrédients, la marche à suivre, la formule.
Je dose soigneusement ces ingrédients quand je peins. C'est toujours la forme qui découle de ces éléments, et le tableau résulte de la proportion des éléments."
"On critique avant de lire; on examine en lisant, de peur d'avoir trop de plaisir. On décompose, on s'arrête, on dédaigne, on dénigre, on croit avoir bien de l'esprit en se rendant bien difficile, surtout au spectacle; au bonnet près, au parterre, en docteur on s'assied. On juge au lieu de rire, on se retient au lieu de pleurer, on compare au lieu d'applaudir; on dit du bien des morts pour dire du mal des vivants; on discute, on dispute, on raisonne toujours, et l'on ne cause jamais. Oh ! c'est à ces gens-là que je veux en dire deux mots; je ne sais pas pourquoi j'aime plus leurs plaisirs qu'eux-mêmes."