IRONIE numéro 90 (octobre 2003)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières
> IRONIE numéro 90, octobre 2003,
Lectures

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Supplément du numéro 90,
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« Le scénario de la vie réelle est une grande composition ironique »
Théodore de BanvilleContes pour les femmes (1881)

 LECTURES

« Les partis : ce qui est, ce qui n'est pas dans la ligne. Mais si ma propre ligne, fort sinueuse, j'en conviens, du moins la mienne, passe par Héraclite, Abélard, Eckhardt, Retz, Rousseau, Swift, Sade, Lewis, Arnim, Lautréamont, Engels, Jarry et quelques autres ? Je m'en suis fait un système de coordonnées à mon usage, système qui résiste à mon expérience personnelle et, donc, me paraît inclure quelques-unes des chances de demain. »
Breton – Prolégomène à un troisième manifeste du surréalisme ou non (1942)

J'écrirai ces pensées avec ordre par un dessein sans confusion.
Si elles sont justes, la première venue sera la conséquence des autres.
C'est le véritable ordre.

 Epicure

« Chassons complètement les mauvaises habitudes, comme les hommes méchants qui nous ont fait beaucoup de mal pendant longtemps. »

« Il ne faut envier personne : les bons ne sont pas digne d'envie, et les méchants, plus ils réussissent, plus ils se font du mal à eux-mêmes. »

« Il ne faut pas faire semblant de philosopher, mais philosopher pour de bon ; car nous n'avons pas besoin de paraître en bonne santé, mais de l'être vraiment. »

« Il faut rire et ensemble philosopher et gouverner sa maison et user de toutes les autres choses qui nous sont propres, et ne jamais cesser de proclamer les maximes de la droite philosophie. »

« Soyons en sympathie avec nos amis non en gémissant, mais en méditant. »

« Dans la recherche en commun par la discussion, celui qui est vaincu gagne plus, dans la mesure où il a accru son savoir. »

« Apprendre et jouir vont ensemble. »

« Il faut voir nettement que le discours abondant et le discours bref tendent vers le même but. »

« Arrivés au terme, que la joie reste unie. »

« Si l'on supprime la vue, et les rencontres, et la vie ensemble, la passion amoureuse disparaît. »

« Il est sot de demander aux dieux ce que l'on peut se procurer soi-même. »

« Le fruit le plus grand de la suffisance à soi-même : la liberté. »

 Ponge

« Oui, le point est là. C'est précisément parce que nous avons été jetés dans un scepticisme, un nihilisme total concernant la Littérature, sa valeur morale, sa compatibilité avec la dignité individuelle, sa possibilité, que nous prenons acte (avec quelle joie) de certaines œuvres du passé, ou plutôt de certaines attitudes d'esprit, de certaines positions logiques et morales qu'elles révèlent (ou projets existentiels), comme antécédents que nous pouvons invoquer, ou plutôt que nous nous en réjouissons fraternellement, qu'elles nous réjouissent quasi comme autant de triomphes personnels. »

« Nous pratiquons la langue française. Celle-ci n'est pas seulement pour nous notre instrument naturel de communication ; c'est aussi notre moyen de vivre. »

« Il s'agit de fonder en raisons (résons), quasi scientifiquement, quoi ? L'audace de nos intuitions les plus arbitraires. »

« Peut-être est-il naturel que ceux qui pratiquent le langage ne laissent pas les maîtres qu'ils aiment et admirent – ces pères, ces frères : leurs prédécesseurs en cette pratique – à la merci des professeurs et des annalistes ; qu'ils donnent, eux aussi, leur sentiment.  »

« Il est remarquable qu'à un certain niveau de perfection, il ne s'agisse plus en aucun ouvrage que de cette perfection même, qu'elle devienne le sujet même, et unique, de l'ouvrage, – et d'autre part) qu'il n'y ait plus d'autre question pour les critiques que de l'affirmer ou de la nier. »

« La Vérité jouit, plus qu'elle ne se proclame.
Vit éternellement au trône de notre paresse.
Tel est le Paradis, le Jardin des Raisons Adverses.
L'articulation du OUI. Les vibrations (le tremblement) de la certitude.
De la vibration des certitudes. »

« Dans DAPHNE de La Fontaine, (ce qu'il appelle) Les Archives du Destin comportent neuf conquérants et neuf poètes. Quels sont ces poètes ? – Trois Grecs : Homère, Anacréon, Pindare ; Trois Latins : Virgile, Horace, Ovide ; deux Italiens : Arioste, le Tasse ; et un Français : Malherbe.
(...)
En ce sens, on pourrait faire se suivre : MALHERBE, VOLTAIRE, RIMBAUD. »

« Oui, nous travaillons à une nouvelle raison, mais non, ce n'est pas celle qui nous est ordonnée par Marx, ni Hegel. Oui, nous marchons contre (et avec) Baudelaire, Nietzsche et Rimbaud, mais non en faveur du retour aux anciens genres (sonnets, odes, etc.) ; contre Aragon et la poésie tsariste. Oui, nous travaillons à un renouvellement des esprits, mais non en ce qui concerne leurs rapports sociaux (si, quand même) : plutôt, en ce qui concerne leur rapport avec le monde muet. Oui, nous travaillons à une nouvelle conception de l'homme par l'homme, mais non selon la vieille idée d'une suprématie ou précellence quelconque de l'homme sur les autres espèces. Oui, c'est l'homme de l'objeu que nous préparons, et non l'homme d'un nouveau dogme. Oui, nous entrerons dans un nouveau Paradis, mais non un Paradis de l'Homme, plutôt au Paradis (ou aux Jardins) des Raisons adverses, au Paradis de la Variété, du Fonctionnement, du Libre et Virtuose jeu, de la Jubilation (Etrusque), de la Gambade, de la Danse, de la Saltation Universelle (de la Bouffonnerie – au sens shakespearien, celui de la Tempête, du Songe, de la Nuit des Rois – universelle). Oui, la Raison à plus Haut Prix (oui Malherbe, Horace, La Fontaine, Rameau, oui Cézanne, Mallarmé, Seurat, Satie, Lautréamont, R. Roussel, Marcel Duchamp, Ravel, Stravinsky, Picasso) oui Parade, oui l'ironisation du Mus ée de l'Homme (par Picasso). Oui, les Bons Maîtres (ceux-là), non les Mauvais (de Ronsard à Michaux). »

Petit intermède : Querelle Potlach-Ponge
23 octobre 1954 – Potlach n°13
« Petite annonce : Breton, jeunes compagnons de Breton, faites un bon mouvement – un beau geste : envoyez-nous un exemplaire du tract où vous nous insultez. N'ayez pas peur. On ne vous battra pas. C'est seulement pour rire. Nous aimons bien votre style. »
22 décembre 1954 – Potlach n°15
« Heureusement la poésie, si l'on excepte son dépassement dans les sonnets des Lettres Françaises, s'est tue après les provocations de la poésie onomatopéique. »
31 décembre 1954 – Ponge, Pour un Malherbe
« Une petite phrase d'un tract de l'Internationale Lettriste m'a définitivement alerté voici quelques jours. Il semble que, pour ces jeunes gens, la Nouvelle Poésie (sic), prônée par Aragon et pratiquée depuis quelques temps dans les Lettres Françaises (ils prétendent, d'ailleurs, la combattre), constitue un événement important. Qu'est-ce que cette « nouvelle poésie » ? N'y devrais-je porter plus d'attention ? Je vois bien que l'Internationale Lettriste est l'organe de ce qu'on appelle un groupe crypto, en tout cas très infiltré par les communistes orthodoxes et probablement plus que noyauté, vraiment manœuvré par eux. Mais pourtant...
C'est Paul Nougé, lors de son récent séjour à Paris, qui a donné mon adresse à ces gens, lesquels m'ont aussitôt mis dans leurs registres et me font parvenir, depuis lors, leurs manifestes. Et d'ailleurs Paul Nougé (me parlant de ce que je vais dire avec ironie et dégoût) avait attiré mon attention sur l'affaire du Sonnet. (...)
Et je vois bien ce que j'ai de commun avec eux, car si peu que j'ai lu encore de ce qu'ils font et de ce qu'ils prônent, la préface d'Aragon aux Poèmes Politiques de Paul Eluard, par exemple, ne m'a pas échappé – et comment il attaque franchement Rimbaud. Il semble qu'eux aussi se rendent compte que la révolution spirituelle doit se faire actuellement, dans une certaine mesure, contre Rimbaud, Baudelaire et le Surréalisme. »
23 mars 1955 – Potlach n°18
« Un chien écrasé. Le décès tardif de Claudel a provoqué certains éloges littéraires qui eussent gagné à s'exprimer en privé. Aux côtés des Figaro-Match – ce dernier illustré a l'avantage de révéler visuellement, pour ceux qui ne l'auraient pas lu, quel répugnant vieillard était Claudel – On peut voir Aragon – Lettres-Françaisesou l'hebdomadaire France-Observateur louer les mérites du disparu, en dépit de ce que l'on appelle, de ce que l'on ose appeler, dans France-Observateurdu 3 mars, « la gaucherie de la démarche temporelle du poète ». (Villon, Baudelaire et Rimbaud y sont cités parallèlement comme autres exemples de ce fait que « les poètes ont quelque mal à s'adapter au monde et à ses vicissitudes ».)
13 octobre 1955 – Potlach n°23
« Et il est toujours fâcheux d'être obligé d'en venir aux injures, qui se ressemblent toutes, comme ces gens se ressemblent tous... » Debord
« Télégramme envoyé à M. Francis Ponge le 27 septembre 1955
AH PONGE TU ECRIS DANS PREUVES CANAILLE NOUS TE MEPRISONS
Signé Internationale lettriste. »
Et Vous ? Où en êtes vous avec Rimbaud ?

« Pindare. Orphée : le monde en mouvement. »

« Tendre au maximum sa vie et sa lyre. Son désir et son expression. Somme toute, il faut désirer, aimer, bander et jouir (tout cela aussi ardemment et rigoureusement que possible). »

« Malherbe, dès sa jeunesse (très cultivée) 1° s'adonnait à la littérature et 2° aimait la vie combative. « Il tenait des discours l'espée au côté. » »

« Mais nous roulons déjà sans doute sur les prodromes d'une future civilisation dont les germes sont apparus vers 1870 : Stirner, Lautréamont, Rimbaud, Cézanne, Nietzsche, Mallarmé, Husserl. (...) Et de nous dépend peut-être en quelque mesure la conformation de celle-ci. Les grands esprits, les artistes, travaillant dans la solitude, sont les conformateurs des civilisations futures. »

« Pourquoi achète t-on un livre ? Sinon pour se procurer, procurer à son âme, un moyen de transport ; pourquoi l'ouvre-t-on ? Pourquoi commence-t-on à écouter ou à lire ? Sinon pour se procurer une sorte d'enlèvement de l'âme hors du monde familier, usuel, automatique, changer de vitesse, vivre selon une autre cadence, et rejoindre un autre temps, un autre environnement, entourage, une autre société, un autre niveau, une autre lumière. Le plus tôt est le mieux,
– et nous aimons les ascenseurs très rapides. »

 Nietzsche

« Pour une morale du « je » »

« Ce qui est le plus intelligible dans le langage n'est pas le mot lui-même, mais le ton, la puissance, la modulation, le tempo avec lesquels une série de mots est prononcée – bref, la musique derrière les mots, la passion derrière cette musique, la personne derrière cette passion : tout ce qui ne peut être écrit. Voilà pourquoi toute l'écrivaillerie ne sert à rien. »

« Ma virtuosité : supporter ce qui m'est désagréable, lui faire droit et même être courtois à son égard – l'homme et la connaissance. C'est à cela que je suis le mieux exercé. »

« Style. La première chose qui soit nécessaire, c'est la vie : le style doit vivre. »
« Mon style a une certaine concision voluptueuse. »

« Le tact du bon prosateur dans le choix de ses moyens consiste à confiner à la poésie sans jamais franchir cette limite. Si l'on n'est pas doté du plus fin sentiment ni de l'aptitude la plus raffinée en matière poétique, on ne pourra posséder un tel tact. »

« Qui écrit des maximes ne veut pas être lu, mais entend être appris par cœur. »

« Le libre penseur est maintenant l'homme le plus religieux qui soit. »

« Ce qui va arriver. La véritable aspiration au néant. Des guerres à propos du principe qu'il vaut mieux ne pas être qu'exister. »

« Première conséquence de la morale : il faut nier la vie.
Ultime conséquence de la morale = il faut nier la morale elle-même. »

« Etre joyeux au cœur de la tristesse générale, c'est l'affaire du héros. »

« Où se dresse l'arbre de la connaissance, c'est toujours le paradis. »

« Ton pas révèle que tu ne marches pas encore sur ta voie ; il faudrait qu'on reconnaisse à ton allure que tu as envie de danser. La danse est la preuve de la vérité. »

« En montagne, la voie la plus courte va de sommet en sommet : mais il te faut alors de très longues jambes ! – Les maximes sont des sommets. »

« Quoi ? Tu veux te connaître toi-même ? Apprends au contraire à connaître ta chance ! »

« Aimer une seule personne est une barbarie, perpétrée aux dépens de toutes les autres, et un tort fait au savoir. Tu dois, au contraire, aimer plusieurs personnes : – t'y contraint l'amour de l'équité à l'égard de tout un chacun : et, par suite, l'amour de la connaissance de tout un chacun. L'amour de plusieurs personnes est la voie de la connaissance. »

« Notre époque est une période excitée, et c'est précisément pourquoi ce n'est pas une époque de passion ; elle s'échauffe constamment parce qu'elle sent qu'elle est froide – au fond, elle gèle. Je ne crois pas à la grandeur de ces « grands événements » dont vous parlez. »

« La révolte est l'attitude la plus distinguée pour un esclave. »

« La musique est, chez les femmes, une forme de sensualité. »

« Grâce à la musique, les passions jouissent d'elles-mêmes. »

Extraits d'Epicure (Œuvres complètes), de Nietzsche (Fragments posthumes 1882) et de Ponge (Pour un Malherbe 1951-1957).


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