IRONIE numéro 71 (Janvier 2002)
IRONIE
Interrogation Critique et Ludique
Parution et mise à jour irrégulières
> IRONIE numéro 71, Janvier 2002

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Supplément du numéro 71,
La Follia (4e épisode et fin)


 Bosch is Back

   Après une entrée en matière dans le numéro 68 qui n'avait d'autre but que de donner le la de l'être-le-là, passons aux présentations, et tout d'abord, merci encore à Ironie d'accueillir en son sein la parole d'Anonymus Bosch. Anonymus Bosch, sinistre bouffon des temps modernes, chu d'un désastre obscur. Fou du roi ou amant de la reine, pas moins que bacille de votre courrier désormais. Ironie contagieuse du jeu et du je, souhaitons-le, à Dieu ne plaise. Je donc suis, du moins le pensé-je, avant de ne pas être. Pensée ne relevant d'une autre dialectique que celle du coup de dés mallarméen, au point de trouver mon point fixe ou comme on dit vulgairement « prendre son pied » dans le jeu lui-même. Ainsi, grande audace sans doute que d'affirmer : « jouissance de lancer les dés », geste fou du joueur. Jouissance non pas biologique, celle du fric-frac des petits bijoux, quoique non négligeable, mais plus essentiellement celle du Geist ou du Witz, de l'esprit ou du vit. Sex is Geist. Anonymus Bosch, son vit, son œuvre. Jouissance du langage qui ne naît que de la faille lacanienne, du sujet barré. Exercices à la barre, donc.

   Mais que puis-je être supposé savoir que le sujet de mon discours dis-court l'écrin du joyau de sa langue, à savoir le corps, et en l'occurrence, le mien ? Que nul n'annule l'unicité réelle du corps et de la langue, faisant pourtant la plurivocité modale de l'être. Car si celle-ci se donne dans le coup de dés, nul ne peut prétendre à la soustraction de la langue hors-champ du savoir et de l'érudition, hormis la parole bien amenée du poil à gratter faisant trou dans le fromage moisi académique. Et ce n'est pas mon ami Exo Ragit, doctrinaire et idéologue du mouvement anarcho-dadaïste, nouvel Isou de la pâte à mâcher borborygmique, qui me démentira. Fin du langage comme véhicule de l'imaginaire ou comme entité métaphysique autonome. Les spectres, du balai ! Baba Yaga avec moi !

   Il s'agit bien ici de prolégomènes à toute langue classique future. Car la langue a encore à devenir plus classique qu'elle ne l'a jamais été, sous peine de sombrer dans l'obscurantisme du pseudo-récit insipide. Genre : « Je me lève. Je bois un verre d'eau. Je me gratte les couilles. Je prends un acide. Je capte. Je me couche ». Cette pseudo-clarté n'éclaire rien, elle obscurcit, de plus en plus, et Boileau a pris l'eau depuis longtemps.

   Fi de toute avant-garde didactico-romantique, pour parler à la manière inesthétique badienne. Une langue classique ne croit pas à la révolution. Elle ne cherche pas non plus à abolir l'art dans la vie, pas plus que le sujet dans la chose en soi. Elle a à s'écrire. Et elle s'écrit. Avec un corps. Et ce corps-là, à sa manière, est révolutionnaire. Que ceux qui peuvent entendre entendent.

   A la guise de ceste parole s'inscrit ce que l'on a pu caractériser comme « travail sur la langue », mais celle-ci étant l'opérateur même de la pensée, nous ne pouvons que nous exhorter à travailler ce qui nous travaille, mise en abîme d'un négatif hegelien qui doit nous ramener au jeu de la langue. Double négation ne relevant pas non plus d'autre chose que du combat de soi à soi. Combattre la langue. Voilà ma tâche, pour avoir pris au sérieux un propos de Roland Barthes. Combat au corps-à-corps. Du mot, du léxème, du morphème et du sémantème, jusqu'à la saint-Dax, plutôt qu'aux calendes grecques. Plût au ciel que le lecteur élu d'Ironie n'y perde pas son latin. A peu que le cuer ne me fent, une langue classique peut émerger. Elle a déjà émergé. Le français, langue vivante.

Anonymus Bosch

 Un lot de joyeuses affiches

Affiches réalisées par Jean Tardieu

 Ouvrir

" Que celui qui parlera davantage sans conclure soit davantage honoré et estimé. "

Machiavel - Statut d'une société de plaisir - 1504

 Sur la pointe des pieds

" Pour un esprit délié dont la danse est le mouvement le plus naturel et qui aime ne toucher
la moindre réalité que de la pointe des pieds, il est détestable de s'attacher aux choses attristantes. "

Nietzsche - Fragments - 1888

 Ironiquement vôtre

« Cher Henri,
(...) certains vous accablent, d'autres vous défendent, mais une chose est sûre : tout le monde rit. Vous êtes un assassin à la mode. La presse a révélé l'étendue de vos conquêtes : 283 femmes en cinq ans ! Mieux que Casanova et pire que Don Juan. C'est un vrai mystère : le séducteur inégalé que vous êtes n'est ni un riche jeune homme, ni un aristocrate fringant, pas même un Apollon des faubourgs ou un prince monténégrin de Ménilmontant. Le public ne vous connaît qu'à travers les illustrations qui ont été publiées dans la presse : le nouveau Casanova est un quinquagénaire chauve, un barbu dans un pardessus mastic. Ce mystère, il ne faut surtout pas l'expliquer : à l'évocation de votre nom, les hommes rêvent et les femmes gloussent ; seuls les bigots veulent vous raccourcir d'une tête, à défaut de pouvoir vous amputer d'autre chose. Le libertinage à portée de tous, c'est ce que vous incarnez - après les privations de la guerre, vous annoncez un nouvel âge d'or. Ce rêve, les Français ne veulent pas le tuer. Le Français aime la bagatelle et le panache ; dans votre affaire, il a trouvé la sensualité et l'humour, le corps et l'esprit : il faut maintenant lui donner du cour ! Je vous propose de devenir un héros, un libérateur, un soldat au service du sexe faible – l'Homme qui a voulu libérer la Femme ! »

Lettre de Jean-Baptiste Botul à Henri-Désiré Landru - 5 mai 1919

« Monsieur,
La vie en prison est tellement monotone que je ne vais pas me fâcher avec mon seul correspondant. Je suis flatté d'être à la mode, mais je ne suis pas un assassin. (10 mai 1919)
Sachez que sur un point vous avez raison : les Françaises m'aiment. (...) Le courrier de soutien est volumineux. Vous serez très surpris de savoir que je reçois même des demandes en mariage. Je suis profondément touché par ces attentions. (...) Je reçois aussi beaucoup de lettres portées sur la bagatelle. Les femmes me prêtent une grande vigueur. (14 mai 1919)
Comme vous devez vous en douter, je n'ai pas l'habitude d'écrire, j'ai toujours préféré les rencontres à la correspondance. La vie d'un prisonnier est très monotone. Les interrogatoires ne suffisent pas à me distraire, je m'ennuie, heureusement j'ai vos lettres. La séduction est une alchimie compliquée. Vous comme moi, nous ne devons pas l'intérêt que les femmes nous portent à des attributs esthétiques. Nous ne sommes pas des gigolos, mais des hommes du monde. Vous séduisez par votre érudition, j'ai des qualités intimes auxquelles certaines ont du mal à résister.
Un détail, je ne leur promettais pas le mariage, c'est toujours elles qui ont fait le premier pas. Vous ne pouvez pas l'ignorer, je suis marié, et j'essaie d'être fidèle à mon épouse. De plus, la législation française est assez mal faite, on ne peut pas convoler avec plusieurs femmes. Une question se pose alors. Seraient-elles restées avec moi si j'avais pu les épouser ? Je n'ai pas de réponse. Comme je ne pouvais pas leur proposer le mariage, je leur faisais découvrir des sensations plus profondes, grâce à moi elles savent tout de l'amour et de la liberté. Si j'ai beaucoup de mal à me reconnaître dans Casanova, ce séducteur inconséquent, je me sens plus proche de Sade : j'entraîne les femmes au-delà de la jouissance. (14 juin 1919) »

Lettres d'Henri-Désiré Landru détenu à la Santé à Jean-Baptiste Botul


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