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Sacré Master ! Putain de Barnum ! |
Ne
dites plus crénom ! dites crémaster ! Ou plutôt : ne
répétez ni l'un ni l'autre. Si vous tenez à jurer contre
l'art divinisé par le marché, crachez : putain de Barnum !
Pétard de Barney !
Pétard mouillé, étouffé dans
la vaseline de la plus grande arnaque anale contemporaine organisée
à l'échelle mondiale par la Mafiart.
S'attaquer à Matthew Barney, et à son Cremaster
Cycle présenté actuellement au Musée d'art moderne
de la Ville de Paris par Suzanne Pagé, reçu par la presse spécialisée
avec tous les honneurs, c'est faire front contre toutes les institutions
qui exhibent depuis sept ans les étapes de ce grand uvre : la
Fondation Cartier, de Paris, la Tate Gallery, de Londres, le Musée
Boijmans Van Beuningen, de Rotterdam, le Capc, de Bordeaux, le San Francisco
Museum of Modern Art, de San Francisco, le Portikus, de Francfort, la Barbara
Gladstone Gallery, de New York, le Museum für Gegenwartskunst, de Bâle,
le Regen Projects, de Los Angeles, la Fundacio La Caixa, de Barcelone, le
Walker Art Center, de Minneapolis, le Wiener Staatsoper, de Vienne, le Musée
Ludwig, de Cologne, le Solomon R. Guggenheim Museum, de New York. Il faut
être fou pour se dresser contre un tel gang. Je ne devrais pas signer
mon missile. Si je prétend écrire sur ce "travail"
mondialement reconnu comme génial, je devrais me contenter de m'incliner
bien bas, en paraphrasant le dossier de presse remis à tous les critiques
pour leur faciliter la copie. Mais soyons fou. Fou du Roi, fou de l'Art Roi,
compissons la couronne. Et s'il m'arrive quelque chose... je préviens
d'avance les porte-flingues, je ne suis pas seul, je crie : à moi,
les acharnistes ! et vous verrez qu'il existe encore des athées.
Entrons dans le Crematorium capitonné de l'Arc parisien.
Passé une première accumulation de jambes en plexi, qui signifie
comment Barney va nous faire marcher, nous sommes accueillis en haut de l'escalier
par une série de portraits sertis de cadres en... vaseline solidifiée.
Vous avez déjà vu de la vaseline solidifiée ? Non. C'est
bien pourquoi le cartel informe le visiteur sur cet aspect de la chose accrochée
au mur (matière qui va déferler, solide ou liquide, dans les
salles suivantes).
Ouvrons la Bible (le hors-série de Beaux Arts)
: l'artiste explique qu'il a " commencé à utiliser
la vaseline afin de lubrifier les surfaces ou, métaphoriquement, les
relations entre les objets et les idées. " Ah ah... Mais
c'est que ce Barney est un drôle de farceur, un plaisantin de première !
Et personne ne rit. Les visiteurs ingurgitent les explications " hénaurmes "
sans le moindre hoquet. Au secours, Rabelais. Hélas, Barney est un
comique qui s'ignore. Quelle tristesse. On ne peut rire que contre lui. Pas
avec lui (comme un Bill Wegman ou un Nanni Moretti, entr'autres, excellents
à nous y amener).
D'emblée vous êtes assommés par un
blabla scientifique sur le titre de l'uvre. Le muscle de Cremaster
(on aimerait en savoir plus sur cet explorateur scientifique qui a donné
son nom à sa découverte) est le muscle qui actionne le mouvement
(ascendant, descendant) des couilles à l'intérieur de la bourse.
Chapeau ! Il fallait y penser. L'uvre se compose de cinq parties numérotées
: Cremaster 1, Cremaster 2, etc... Nancy Spector (exégète officielle
du maître), explique, sans rire : " Cremaster 1 réfère
à l'ascension des testicules, Cremaster 5 renvoie à leur descente,
et Cremaster 3, chapitre central et récapitulation de ces deux moments,
en serait l'état d'équilibre. "
Dans les salles encombrées d'objets sculpturaux,
que personne ne regarde tellement ils sont moches et compliqués, des
écrans, placés très haut, captent l'attention des visiteurs,
qui se repaissent du spectacle des cinq films, dans un silence empesé.
Ambiance de crématorium. Silence funèbre d'amis, de compagnons
du défunt qui flambe sous vos yeux endeuillés. Certains, appuyés
contre les murs, serrent les poings en souvenir de la beauté perdue
de l'art, et s'apprêtent à aller quêter leur bonheur plus
loin ; d'autres, affalés sur le sol, les cervicales tordues vers
le plafond, ne s'aperçoivent pas que le mort c'est eux, qu'ils sont
le cadavre en train de se consumer dans ce four.
Si vous avez le malheur de parler (par hasard, je rencontrai
dans la salle des ruches, mon ami Gabriel Soucheyre et nous déambulâmes
en échangeant force nouvelles), les morts-vivants transits vous prient
de ne pas troubler le silence religieux dans lequel ils consomment cette
messe noire. Quel contre-sens ! Au contraire, il faut parler, manger même,
boire si possible, et surtout zapper, ne pas s'installer, s'avachir, se recueillir,
se prosterner. On est a la télé, diantre, dans un énorme
cirque d'art post-télévisuel. Et quand on regarde la télé,
à la maison, qu'est-ce qu'on fait ? On parle, on commente, on éructe,
on ne cesse d'exprimer ses pensées en direct. Même quand c'est
un film ? Même. D'ailleurs dans les salles de cinéma, les gens
maintenant parlent sans se gêner. Comme à la maison. Alors pourquoi
pas au Musée ? Surtout si, comme ici, tout est fait pour simuler un
gigantesque tube branché sur une multitude de chaînes (avec
parodie de Pay-TV dans la salle réservée pour dix spectateurs
seulement). L'erreur grave, mais on vous y pousse aussi, est de rester baba
devant un seul programme, de chercher à tout voir, au lieu de circuler,
de happer des bribes, de partir en riant.
La
télé est la clé de l'uvre de Barney (comme de
90% de ce qui se fait aujourd'hui, sublime ou exécrable). Personne
ne le dit. Je vous l'apprends. Cela devrait me plaire (et cela me fascine
certes un instant). Sauf qu'il s'est trompé de serrure, cet âne.
La télévision c'est l'anarchie du sens, un labyrinthe sans
limite. Cremaster pose une hiérarchie, une tour vertigineuse, un labyrinthe
assassiné, de sens à découvrir (ici tout a un sens mais
vous ne le trouverez pas, même en lisant ma Bible). Il nous exclut
en nous défiant de comprendre quoi que ce soit à son entassement
de spectacles concurrents, régi par la figure appauvrie du montage
alterné. Il pulvérise la zappette en fléchant le parcours.
J'enrage de voir gâché par le maniérisme, le pompiérisme,
le citationnisme, la bien pensance psychanalytique l'a-sexualité systématique
et une absence totale d'humour, un dispositif post-cathodique aussi monumental,
aussi bien financé et pour tout dire ficelé. Manque d'humour,
oui, lourdeur pharaonique (si modernement américaine), réseau
signifiant pesant (américain encore). Au lieu de se contenter d'un
clin d'il (qui est l'arme de la légèreté créatrice,
comme Richard Skryzak ingénieusement le pointe dans le premier numéro
des Acharnistes), il en produit à la chaîne : il tétanise
le regard. Le tic règne, adieu l'éthique. En cumulant à
la fois les références à Joyce (l'irlandais), à
Cocteau (le poète des enfers), à Wostell (le bétonneur),
à César (l'emboutisseur de voitures), à Mozart (le franc-maçon),
à Busby Berbeley, à Jean-Paul Goude, à Lenni Riefensthal,
j'en passe et des meilleurs, il s'instaure en banquier mondial du syncrétisme
actuel.
La bulle spéculative explosera un jour, en attendant,
elle continue de gonfler. Même Jean-Michel Frodon, le critique de cinéma
du Monde, à qui ce fatras ne peut que déplaire foncièrement,
se sent obligé d'écrire, porté par la vague déferlante
des rumeurs de génialité à ne pas manquer, que les cinq
films de Barney sont des grandes uvres même si elles ne relèvent
pas de l'art cinématographique. Mais duquel alors ? De l'art de l'esbrouffe
? Le coup de génie est d'exposer ensemble des sculptures que personne
ne regarderaient si elles n'étaient pas accompagnées de films
et des films que personne ne supporteraient s'ils n'étaient pas signés
par un sculpteur et un
athlète. C'est curieux comme tous les articles mentionnent deux choses
: les couilles du titre et les titres olympiques de l'artiste. C'est comme
quand on parle du facteur Cheval, du douanier Rousseau ou du
cordonnier Chaissac. Façon de dire qu'il y a de l'art naïf
dans une telle démarche ? Ce serait trop beau et pourtant démontrable,
et faussement valorisateur. Façon plutôt de dégager sa
responsabilité de critique en signalant que l'artiste émarge
à la célébrité par des exploits d'un autre ordre,
a réussi à faire quelque chose qui le dépasse (et vous
dépasse). Je ne dégagerai pas la mienne. Je proclame Barney
champion du monde de l'art côté en bourse. Vous préférez
les pas de côté ? Moi aussi. Formons vite une coterie.
Jean-Paul Fargier – 2002
Picabia |
Picabia (1919) : « J'ai horreur de la peinture de Cézanne, elle m'embête. »
Dans un texte intitulé « Francis Picabia » (Les pas perdus), Breton écrit que Cézanne « a un cerveau de fruitier ».
Cézanne : « La couleur est le lieu où notre cerveau et l'univers se rencontrent, c'est pourquoi elle apparaît toute dramatique au vrai peintre. »
Toujours
dans Les pas perdus, on trouve cette autre réflexion sur
Cézanne : « Cet homme, de qui le monde entier s'occupe,
s'est peut-être complètement
trompé. » Et ailleurs, Breton note qu'il a toujours
jugé « l'attitude humaine et l'ambition artistique »
de ce peintre « imbéciles ».
Picabia (1920) : « Tous les gens qui ont du goût sont pourris. »
Cézanne : « Le goût est le meilleur juge. Il est rare. »
Lautréamont : « Le goût est la qualité fondamentale qui résume toutes les autres qualités. C'est le nec plus ultra de l'intelligence. Ce n'est que par lui seul que le génie est la santé suprême et l'équilibre de toutes les facultés » (Poésies I).
On
a tendance à oublier à la suite de quoi intervient cette
« fusée » d'Isidore Ducasse. Rappel, donc :
« Les perturbations, les anxiétés, les dépravations,
la mort (...) ce qui est somnambule, louche, nocturne, somnifère,
noctambule, visqueux (...) les impuissances, les blasphèmes, les asphyxies,
les étouffements, les rages, devant ces charniers immondes,
que je rougis de nommer, il est temps de réagir enfin contre ce qui
nous choque et nous courbe si souverainement. » Paragraphe suivant
: « Votre esprit est entraîné perpétuellement
hors de ses gonds, et surpris dans le piège de ténèbres
construit avec un art grossier par l'égoïsme et l'amour-propre. »
Puis (à la ligne) : « Le goût est la qualité
fondamentale... »
Picabia
voulait être, paraît-il, « un artiste en tous genres ».
Seulement voilà, comme l'a un jour rappelé quelqu'un, en art,
les intentions ne suffisent pas.
Picasso disait d'ailleurs de Picabia qu'il était « de ceux qui en font toujours trop faute de savoir en faire assez ».
Le « singulier idéal » Picabia pouvait écrire à un moment : « Picasso est le seul peintre que j'aime ». Le singulier pluriel Picasso n'a jamais pu dire : « Picabia est le seul peintre que j'aime ».
Quand l'un affirme à la fin de sa vie de peintre : « Ma vie est passée, je cherche et n'ai pas trouvé » (Picabia, 1951), on se souvient de cette phrase : « Je ne cherche pas, je trouve ».
Néo-dadaïsme
« Le néo-dadaïsme est le dadaïsme d'Etat qui
ne tire un petit effet de choc qu'en se produisant dans les palais nationaux »
(Guy Debord, Son art et son temps, 1994).
« Picabia se retrouve aujourd'hui le super-héros/anti-héros d'une avant-garde artistique fascinée. Les Monstres et les Nus ont été revus à la faveur d'une actualité artistique allant du pop et néo-dadaïsme à l'art le plus contemporain » (Suzanne Pagé, 2002). Dans cette optique, Daniel Birnbaum, dans l'un des articles du catalogue, évoque Matthew Barney !
Francis Picabia - Le portrait de Gertrude Stein - 1933 |
Délibérément
maladroites
Suzanne Pagé voit beaucoup d'ironie dans l'uvre de Picabia :
« l'ironie comme parade », « distance encore
et ironie déjà », « symbolisme sexuel
clairement ironique », « une auto-ironie très
présente », « cruellement ironique »,
« pieds de nez délicieusement ironiques ». Que
disent les autres commissaires de cette exposition, Peter Fischli et David
Weiss ? » Picabia nous a ouvert les portes de l'ironie »,
« on réalise combien, malgré cette ironie, il était
sincère ». Laissons le mot de la fin à Mike Kelley
: « Nombre de ces uvres sont visiblement ironiques ou délibérément
maladroites ».
Véritablement
ironiques
John Armleder : « Une des choses que j'adore chez Picabia, c'est
sa capacité à faire tout et son contraire ».
Herbert Brandl : « Devant ces peintures, nous sommes tentés
de dire que c'est kitsch, qu'on ne peut pas faire cela... Mais Picabia, lui,
se promène là-dedans, sans états d'âme ».
Erik Dietman : « Je trouve que Picabia n'a jamais changé
de style, jamais, et c'est ça qui est formidable. C'est toujours du
Picabia. C'est un artiste tellement homogène, tellement logique ».
Dans Le Monde daté du 17-18 novembre 2002, Philippe Dagen écrit : « Picabia est une figure majeure de l'art actuel. ». Le journaliste en donne la preuve à travers de nombreux exemples. « L'exposition « Cher peintre », qui s'est tenue au Centre Pompidou l'été dernier, en témoignait : pas de peinture aujourd'hui sans une pensée pour le cher Francis. » Soit. Mais la question ne serait-elle pas plutôt de se demander s'il faut s'en féliciter ou pas ?