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> Supplément du numéro 43, Poésies de Premier volet dans le supplément 41 d'Ironie. |
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IRONIE numéro 43, Juin 1999 |
En 1790 "Un poète à Venise songeait. (Car, que faire à Venise à moins que l'on ne songe ?) Dans un profond ennui, ce poète se plongeait" Tel était l'état d'esprit de Johan Wolfgang von Goëthe pendant son second séjour vénitien.
Pourtant, il s'avère, qu'il n'a gaspillé ni son temps ni son argent; il a tout simplement cédé à une "dépense" saine et ludique dès qu'il s'est aventuré masqué dans les plis et replis de sensualité et de gaîté de la ville.
Au hasard de ses promenades il a répondu aux sollicitations de deux délurées qui l'ont entraîné dans une chambre, à l'écart, pour s'adonner à certains jeux dont il nous livre, par l'écriture, le secret. Il a bien compris le message : "la pudeur est une robe mais entre amoureux elle doit disparaître". On croirait entendre Casanova qu'il a peut-être croisé au détour d'une ruelle ou d'un pont, dans un éclat de rire, avant de le retrouver, cinq ans plus tard, fort morose à Weimar.
Ces rencontres sont autant de canaux qui s'ouvrent à l'explorateur/écrivain et il n'est pas surprenant de l'entendre dire à une jeune fille, dans cette traduction hardie, juste et moderne de V. Rechaliev :
"Serais-tu à la fois Venise et l'origine du monde ?
Avec ces voies intimes en toi tu es la ville/fille
la plus merveilleuse qui soit"
Comme le dit Sollers, à Venise c'est toujours Venise qui écrit. Goëthe, l'espace d'un instant, pourrait dire à son tour : "l'instantané féminin me tire vers le haut"
Tous les chapitres de ce livre insolite sont contenus dans la surprise de l'amour et se réfléchissent au fronton des palais "où se presse une foule de virtuoses, chanteuses et danseuses, spirituelles montures sur lesquelles il est agréable de chevaucher"
Dans Venise la rouge, beaucoup de corps bougent.
Tout est suspens, brume, vol de mouettes, évaporation du temps, musique verbale des langues qui se nouent, corps physique du poème s'incarnant dans l'amour.
"Libre, l'amour nous laisse la langue libre, et le courage"
En respectant la musique des vers, le traducteur nous entraîne dans le rythme souvent effréné d'un pas de deux où légèreté et grâce créent un univers adamique.
"Oui vaste et beau le monde" à Venise quand, sous les tonnelles des cafés, pétillent le "prosecco", l'esprit et la chair qui n'est pas triste ! Echo de Joyce, l'exilé de Trieste qui un siècle plus tard aurait pu dire comme Goëthe :
- Apporte moi, chère fille, un verre de vin pétillant ...
et ajouter, en étroite correspondance :
- Love me, love my umbrella !
Gieße nur, tränke nur fort die rotbemäntelten Frösche,
Wässre das durstende Land, daß es uns Broccoli schickt.
Nur durchwässre mir nicht dies Büchlein; es sei mir ein Fläschchen
Reinen Araks, und Punsch mache sich jeder nach Lust.
Mouille encore les rougissantes grenouilles, arrose encore,
Désaltère le sol assoiffé pour qu'il nous fasse pousser des brocolis
Mais ne me détrempe pas ce petit livret;
pour moi il doit être un flacon d'eau de vie pure
Et que chacun, selon son envie, s'en fasse un remontant.
Nackend willst du nicht neben mir liegen, du süße Geliebte,
Schamhaft hältst du dich noch mir im Gewande verhüllt.
Sag mir, begehr ich dein Kleid ? begehr ich den lieblichen Körper ?
Nun, die Scham ist ein Kleid ! zwischen Verliebten hinweg !
Etre nue à côté de moi, chère maîtresse, tu y répugnes
Dans une robe, pudiquement, tu te dérobes à mon regard.
Crois-tu, dis moi, que c'est la robe que je désire ou ce corps aimable?
Je te le dis, la pudeur est une robe, entre amoureux, elle doit disparaître !
Welche Hoffnung ich habe ? Nur eine, die heut mich
beschäftigt,
Morgen mein Liebchen zu sehn, das ich acht Tage
nicht sah.
Quel émoi m'habite ? Un seul souci m'occupe aujourd'hui
Retrouver, demain, ma belle que huit jours durant je n'ai point vue.
Was ich am meisten besorge : Bettine wird immer geschickter,
Immer beweglicher wird jegliches Gliedchen an ihr;
Endlich bringt sie das Züngelchen noch ins zierliche Fötzchen,
Spielt mit dem artigen Selbst, achtet die Männer nicht viel.
Ce qui m'inquiète le plus ? Que Bettine soit de plus en plus adroite,
De plus en plus mobile devient chacun de ses membres
Dans sa jolie touffe, elle réussira enfin à mettre sa petite langue
Peu attentive aux hommes, jouant avec sa belle personne.
Fürchte nicht, liebliches Mädchen, die Schlange, die dir begegnet
Eva kannte sie schon, frage den Pfarrer, mein Kind.
Chère petite, n'aie pas peur du serpent que tu rencontres
Demande au pasteur, Eve le connaissait bien, mon enfant.