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Les voix du théâtre étaient la plupart du temps,
plus favorables aux bêtes qu'aux hommes,
tant la multitude est toujours impertinente,
et tant elle est naturellement portée au pis.
Ne voyons-nous pas au contraire,
que tout ce qui est excellent,
ne se trouve qu'en fort petit nombre ;
que les rubis et les diamants sont rares.
Ecrire en quel corps – quel texte – quel décor – quelques corps entrevus, vus, prévus – quel corps oui en prise ici encore une fois envolé près de toi au cœur de la musique de ton timbre pressé, amusé, près de mon oreille le soleil de ton instrument jamais de crise, de violence, juste le corps auprès de l'oreille, la passion de ta vibration – commence alors le périple au cœur du Texte – celui qui s'ouvre belle malle beau mâle boite à surprise miss Pandore, vilaine curiosité qui flirte avec fléaux, j'ouvre le corps de la boite, filante brume des morts tout le tralala des plaintes en cascade, sermons lunaires, histoires de règles, très mathématique tout ça, jugez par vous-mêmes – la mort-néant n'a pas deux ans, elle ronfle depuis la nuit des temps dans sa boite – il n'y a plus qu'à ouvrir sa sale gueule de boite enfer pour laisser glisser le flux des revenants, laisser infuser la tristesse et l'angoisse fondamentales de l'homme – tout carbure au malheur – et la boite bâille pas mal en ce moment, il y a des fuites, elle diffuse l'infernale grosse misère de l'homme pris dans le déni de sa belle naissance – rien ne l'arrête le flux – même lorsque le contre air souffle ceci : heureux nous qui vivons sans haine parmi les gens haineux, au milieu des gens haineux, demeurons sans haine – la conclusion est fatale Parque : On ne traverse pas deux fois le même flux – c'est la question du corps et du temps, de son texte dans le temps toujours béant du néant – alors voilà, c'est ouvert les amis, regardez les désastres danser sur d'horribles musiques répétitives – c'est à la fois la mémoire et l'oubli, la boite affolée, l'hystérie du noir cloné à jamais dans une ronde macabre, l'absurde au trône. Et parfois, il faut tremper son corps dans ce temps comme on trempe son épée incandescente dans l'eau froide du ruisseau pour lui donner définitivement sa force acier – cela s'est fait un jour de soleil après déjeuner – un baiser, puis je me suis dis voilà, te voilà devant le temps, ses détritus et ses joyaux – que faire de ton corps ? Devant quelle histoire faite de représentations infinies et d'abstractions plus ou moins heureuses vas-tu te décider à faire corps ? On peut dire que ça vient d'un instant de beauté, incarnée écoutée caressée, oui, que cela s'est passé – hier ou aujourd'hui mais que demain est là aussi dans les mains de l'instant qui donne le temps – on peut dire que c'est de la musique, virgules de violons, pincées de cordes, suspension de la danse... C'est bien ce qui sait qui s'écrit ici avec la faille possible, au jour le jour – tout peut donc s'écrire au jour le jour sans être journal, plat quotidien, bon appétit, au jour le jour avec rapidité et lucidité – ce n'est pas automatique ni un quelconque automatisme : nous ne sommes pas des automates, plutôt des auto mateurs de l'auto fiction détruite dans l'œuf – texte en naissance et après chaque virgule, un sourire du texte. Je vois ce soir les virgules roses des avions au-dessus de Paris. Le corps oui, au jour le jour – vraie pulsation du jour – la nuit se berce de nouvelles lumières.
Je prends mes habits de souplesse, je fonce vers le Pont-Neuf – superbes mouettes – cris sur Seine – pointe de cette place j'avance seul – il convient de ne pas se laisser prendre au flux circonvenu convenu venu du monde – c'est l'heure des contes, des sapins, des boucles belles, place Dauphine or et rouge sur vert, du potlach le plus trivial des familles confusions extrêmes du plaisir – haines rentrées, sourires bizarres – on nous raconte des histoires – vous êtes le héros de cette histoire – bravi bravo sur son cerf-volant le gosse voit les monstres, les sorts des sorcières secouées – la carte du Diable – le Pendu vous regarde – vous êtes pétrifiés mes frères – regardez passer votre vie sur l'écran vidéo – tout est interactif – catharsis de base – vous êtes le héros de l'histoire, le jeu en vaut la gaudriole amère – vous surfez aussi – vous trouvez un nid virtuel pour affirmez que vous n'êtes plus un personnage de fiction – j'achète des livres pour enfants – créatifs – instructifs – subjectifs – ils sont néo les enfants, ils ont besoin du néo – et c'est écrit, ça s'écrit depuis hier – je lis le nom dessus : " Bonne nuit les petits " – c'est Anne, une connaissance de lycée, j'ai encore ma main dans sa culotte un soir d'ivresse dans sa chambre – il fait nuit la vodka est superbe, le rire cinéma de l'alcool – elle est devenue éditrice, écrit des livres pour les enfants – gentils – beaux soucis – les petits – à la ferme, à l'école, à l'hôpital, à Noël, au zoo – et Anne au milieu de ses illustrations – j'ai encore ma main collée à ses fesses, son regard gêné au matin – la Puritaine – on trouve de tout à la Puritaine... Ça y est, le monde a perdu le goût – la boite se déchaîne, les flots stupides, les annonces de morts s'enchaînent – les carnets noirs – allez sortez de votre boite vieux soupirs, moi je quitte le flux aujourd'hui – je suis souple, j'épouse ma notion – au milieu du fourbis quelques lumières du goût, les phares, phares away – les bises, les mélodies vertes des landes, l'océan mon frère – tu n'oublieras pas ton enfance, le fracas du monde, son rugissement crispé – tu iras voir du côté de la peinture.
Brûlure tout d'un coup. Une vision, un corps lancé dans de multiples aventures, avec curiosité spéciale pour la musique des corps. Rien à voir les cortèges sinistres du bonheur établi, les faire-part, les petits ressentiments du mondain perdu, les tracasseries des vieux qui ne veulent plus souffrir – ni mourir – retenir la vie le plus longtemps, ne plus lâcher la vie même si on s'ennuie, même enfermé – tenir son bout de gras de vie contre toute attente – et voir les autres désespérer, les soignants fatigués à la piqûre facile, les gens de la famille usés – quand est-ce qu'il (ou elle), pépé (ou mémé) va-t-il (va-t-elle) glisser enfin ? Les enfants, les petits enfants, rien à faire de ces vétilles – d'ailleurs, ils commencent à se servir – un vase a disparu, un cendrier en cristal aussi, des babioles inanités – je ne peux plus me voir – tous vos enfants seront vos pilleurs, pilleurs de tombe ouverte – c'est vrai, je sens déjà mauvais – je les vois venir avec l'armada maison de repos – rest in peace pépé – crève en paix – très loin de nous tu pues – laisse-nous le champ libre pour régler tes affaires, ton porte-monnaie nous intéresse – nous sommes chacals, corneilles à la petite semaine – il ne faut pas avoir honte – les familles n'ont jamais honte, à l'intérieur du clan tout est possible, le pire, la vengeance, les bassesses, l'argent – je me mets d'office à l'écart de ce corbillard – je ne me laisserai jamais mettre au cercueil de vos envies – toujours vivant, combattant, amoureux – hors cadre – dehors, c'est la lessive d'hiver, les pluies drues, les parapluies, les voitures à l'arrêt, la ville désorganisée, l'angoisse du jour – un petit verre de spleen – l'idéal aux oubliettes – un bon bain de désespoir actif avec moteur grossier qui éructe des insultes – c'est toujours la faute des autres – jamais la tienne Etienne – t'es un misérable, il pleut sur ton imper neutre, tu croises des filles riantes au bord du carnaval et tu ne les regardes plus – ton idéal devient ton néant – petit bourgeois des villes – vous avez su autrefois composer avec l'horreur – maintenant les têtes sont basses, on courbe devant rien – le marché vous a mangé – vous n'écoutez plus la transformation en joie de la Maddalena al piedi di Cristo d'Antonio Caldara – vous auriez pu faire la guerre, c'est-à-dire, penser en acte, mais non – il fallait accepter l'invite brillante, la médaille honorifique du travail, le gâteau avec sa cerise en or placé, le pactole à la clé – alors la guerre ? Bof – pas envie de me faire tirer dessus, j'suis pas un lâche – peace and love quoi ? Tu veux pas un joint altermondialiste ? N'y pense pas – T'y peux rien – pas – rien – jamais – fini, c'est la mort mortel, apocalypse néant, terminé noir complet, adieu.
Le monde est un manège – ça tourne, rapide ou lent, on valse l'univers avec – on a beau envoyer quelques sondes en trajectoires courbes Mars Express Voyager Infini, inlassablement le monde manège tourne – c'est la loi de l'enfance, le giron, le tourbillon Dynamo, le trou noir, l'aspiration utérine et l'expulsion de la bête triomphante née déjà née, encornée – on roule et on ramasse la frousse parce que pour certains la vie c'est la frousse – alors voilà on trouve des moyens pour se protéger le corps – on se carapace – on se cache – c'est le maquillage monde, l'âge du faux, l'ère factice de l'histoire, la misère de la peur. J'ai un copain comme ça bien parano au slogan écolo – il traîne sa haine comme un doudou contre les multinationales qui détruisent la Nature, la belle Nature Verte avec des petits oiseaux, des fleurs – les Bucoliques quoi ! Virgile le Grand, Ronsard la Ronce, Du Bellay du Balai, Rousseau le Ruisseau... Et ça chante, ça frétille dans les buissons, ça aime les petites bêtes, les insectes, l'église gothique des forêts... On se met à genoux pour respirer l'herbe des sous-bois – on entre en religion moussue – c'est la mousse du dimanche, promenades, vélos, odes à la branche, danse des bourgeons – victoire du vert – triomphe du vent.
Lumière d'aube piquée d'ombres – mer irisée jaune jonquille, feu flambée, pin parasol – arbousiers nouveaux, paysage dune théâtre, vieil océan météo horizon, visions élargies du monde – mon corps se tient là devant l'immensité, le temps du texte se ralentit, fait du silence un accord.
Brise le soir, flux haletant du soir des fêtes – les boutiques brillent – tout est or, joyaux alléchants, surprise du strass, paillettes de gloires, champagne alentours – illusion magie, Prince de la falsification...
Soleil voilé d'hiver – sauts de chevaux manège – obstacles – écuyères nymphes, sabots sur sable, galop tenue belle allure, l'air bleu de l'océan, le vert pin pas loin – femmes et chevaux : amours collées.
Mon bras tremble – froid dehors devant les architectures déluges tempêtes vents glacés – plus rien n'arrête la violence du temps – je suis devant le tombeau de la morte – je pense à elle, j'essaye d'entrevoir quelques souvenirs au fond de mon corps – connaître un peu de l'autre en moi – son texte en reste – tout ça est un effet de résonance, l'écho de la boite noire du temps, celle qui enregistre tout. N'oublions pas que tout a commencé par le bal Vivaldi, un soir de décembre, une plongée succulente au cœur de la jouissance d'ouïe en vol, précise, ce contrepoint du temps où le marivaudage subtil permet de feindre la folie pour accentuer l'amour en violons joueurs – et alors là, devant ce contrepoint du temps, le corps peut enfin saisir la boite noire du temps et rire très haut sa victoire. Nous allons vers un temps de déguisement – on ne saura plus le sexe des autres – le factice aura tout envahi et le jeu sera rare car l'ère du Déguisement futur sera technique donc annihilera l'essence du déguisement – on choisit déjà son sexe sur catalogue, sa peau sans grain de beauté, son âge, son visage, ses enfants sur le réseau pas encore nés – le déguisement ne sera plus ludique, jeu avec l'identité, mais sera devenu obscur, scientiste, vraie seconde peau fausse, l'identité rêvée plaquée de l'être – peu d'entre nous ont décidé de se saisir de cette farce du néant, et réintroduire du déguisement en jeu de séduction. Le soir, dans ce bar de pêcheur, un cocktail paradise, nuit orangée belle sucrée, sirop d'orgeat alcool d'amande, gin citron et jus d'orange – un soir où l'alcool vous prend, les jeunes filles ont l'air bien sages, vierges électriques.
Lionel Dax