IRONIE numéro 96 - Supplément [Corps-Texte] 2

[Corps-Texte] 2

Wake in progress

Lire aussi [Corps-Texte] 1, [Corps-Texte] 3 & 4, [Corps-Texte] 6 et [Corps-Texte] 7 & 8

IX
30 décembre 2003

Jeu de paume – Arès dans ma ville – vieille pierre désir de jouer – questions d’argent, de famille, de mort, le triumvirat du gouffre.

X
31 décembre 2003

Ce soir la ville sent le feu de bois – je pense à Alexandrie, à Rome, à Sodome et Gomorrhe, à Sade, à la Bastille – une odeur de poudre, un jeu avec les flammes, le plaisir de brûler, de se brûler, consumimur igni – Jeanne et son arc, Cupidon femme et son Cochon Pornokrates Moyen-Âge – et Giordano Bruno, il y a quatre siècles Chandelier, et cette statue Luther, veramente oscura, piazza dei Fiori, les fleurs, bûcher de fleurs maintenant, à l’ombre des jeunes flammes en fleurs.

XI
2 janvier 2004

C’est le temps du bar, le whisky pur malt, les odeurs cigarettes, le bruit de fond des conversations intimes, le secret inaudible de la cacophonie – le temps de l’alcool – le moment de la liqueur – le corps suc de la fermentation – une troupe armée entre dans un immeuble – ils vont chercher un criminel – il ne sait rien du reste, le fuyard – on vient vous prendre au sommet du rêve – vous êtes ailleurs, vous avez choisi la fuite rose de l’aube, le vol froid du lointain, l’inconfortable liberté, l’exil, et le jour où vous n’y pensez plus, on vient vous ligoter, vous interroger, vous cerner. Vous êtes cernés – ne vous laissez pas cerner – soyez un artifice très complexe. Tiens, les soldats de l’ordre reviennent bredouilles – ils n’ont rien trouvé dans la planque – je suis en face, je les vois partir, moi avec le sourire de l’alcool – ils ont l’air déçus les pleutres – c’est maintenant à moi de les regarder, leurs gestes maladroits, leurs visages caricatures – il convient de renverser le contrôle – là se situe la prochaine guerre – la stratégie invisible de celui qui voit tout – le texte en secret discret.

XII
5 janvier 2004

Le revolver est toujours chargé dans le placard – le monde est un champ de bataille perpétuel, une orgie de sang, des salves Salve Regina, des tirs épars, les drogues aidant, les assassins s’activent, les exactions perdurent dans les souterrains, les tunnels, les pièces humides – la torture plane comme un oiseau noir, la haine aime la haine et nourrit la haine – elle se transmet de génération en génération – les maux ancestraux sont inscrits dans les gènes telles des plaques de vengeances, des boutons de rancunes, des herpès de frustrations – les Protestants de France n’oublieront jamais la Saint Barthélemy – les Entreprises ne pardonneront pas à Saint Bartleby sa désobéissance autiste – les Catholiques se souviendront toujours des martyrs de la Révolution Française – les plaies clichées en vrai entre pays ne se referment jamais – leçons de l’histoire – les lieux communs de la haine ont la dent pourrie mais la couronne reste dure – la protection factice et sur les terrains politique et économique les relents accents de la guerre de Cent Ans remontent lors d’un vulgaire match de rugby – je pris le fusil mitrailleur dans mes mains, couché, l’œil sur la cible, le métal froid de l’instrument, le fameux FAMAS – et puis j’ai tiré, j’ai vidé le chargeur, très concentré – après, c’était de longues heures en groupe dans une salle mal éclairée, chacun nettoyant son fusil son joujou – démonter, connaître, saisir le mécanisme, la technique d’assaut, asseoir son savoir des armes.

XIII
7 janvier 2004

Plus rien de dangereux ce matin – le soleil a refait son apparition – j’ai revu mon spectre, les yeux épuisés – rien de dangereux – une accalmie urbaine, le bruit lancinant des fontaines, quelques rires d’enfants – le marché aux légumes léthargie – le sourire d’une amie, le vieil homme tirait sur son cigare dos à l’église Saint Médard – une énergie d’été en hiver – il est vrai que le sablier des saisons se remplit de lumière.

XIV
9 janvier 2004

Quand elle est arrivée pluie verglacée elle avait ce ciré jaune des tempêtes, une harmonie rose sur les joues, la précision du sourire marin, brune parfaite en séduction imperceptible des yeux – flottement de l’environnement, café Sarah Bernhardt, théâtre de la ville, danse urbaine du charme, serpent qui flanche avalanche, langue en sarabande et puis acte. Acte d’amour en lucide envol – en gloire de jouir – ses hanches en mes paumes, l’instant en ivresse vallon de son ventre – je tiens la grâce en son baiser.

XV
12 janvier 2004

Lucioles rouges en esprit, contrebasse en danse libre – percussions répercutées – elle passe d’un bravo à l’autre jubile fantasque – il râle le salaud près d’elle, petit cheveux rasés, il râle et éructe du grave – et la contrebasse danse, il la cogne parfois, vraiment sur le sol, les cordes secousses – le corps défend sa mesure – il la boxe la grosse – il sait bien qu’elle sonne – quand tout s’effondre, il la trimbale nomade de bar en bar – le combat se trame sec en affiche dès qu’il est question froide d’exploser la musique – le serveur est malade aujourd’hui manque de couleurs, il traîne la patte pâle très pâle – l’alcool a creusé des trucs sur sa peau – sale nuit, salles vides – les couleurs sont ternes comme les verres et les clients ont déserté la fête – j’attends ce soir – j’entends des cris de perroquets, les voix grisées du tabac, le hou d’un animal tapi je ne sais où – l’improvisation est frénésie – d’ailleurs une femme entre sur la piste, quelconque jogging sobriété simplicité chignon brouillon, et braise aussi, moulée avec petits signes du plaisir extra – démarche du hasard – maintenant le musicien oiseau pleurniche ses notes et puis à nouveau viril, espagnol, reconsidère ses cordes lourdes – colère caractère du monstre avant de glisser au pied de sa déesse en baskets plastiques – c’est l’amour italien troubadour mélodie et elle se met à rire, elle écrase les cordes de la contrebasse - jalouse, elle s’enfuit en riant le laissant par terre le pauvre avec ses espérances rances de poète bandit – elle s’y connaît – il sont tous ou jouent tous les artistes – pour elle – et elle s’en lave les mains la Raisonnable – elle a raison à nouveau.

XVI
14 janvier 2004

Le temps du malaise intégré est là – c’est le temps du jugement, de l’expertise, de l’évaluation, de la validation, de la surveillance des acquis, des innés et des ignares, le temps de la limite – plus de pardon, pas d’erreur, c’est le Sieur le Bâton – il faut huiler aiguiser la lame exacte des exécutions, des opérations – c’est le règne de l’exécutif – le repentir droit en prison rayon surgelé – la faute légitime l’État – l’homme faute bien beau et n’arrête pas de se punir en hypocrisie sereine – et l’État se repaît de toute faute car cette fois-ci, en grand sérieux, du fait de la faute éventuelle de tout un chacun, il met en place un système de punitions Foucault & Co qui le fait jouir – la faute est la putain de l’État, hors-la-loi, mais nécessaire à son fonctionnement, son essence presque – et la tolé-rance ? Néant – c’est la loi de la balance, du mouchard à vot’service Msieu le Bâton, de la balance du bien et du mal, de l’équilibre pervers de la règle, observateurs musclés des débordements.

XVII
15 janvier 2004

« Pour des raisons de sécurité, les parapluies, sac à dos, poussettes, et tout objet jugé dangereux pour les œuvres sont interdits dans les salles. Les sacs à dos de dame devront être tenus à la main. Le visiteur doit en outre se plier aux conditions particulières d’accès propres au lieu de dépôt obligatoire d’objet au vestiaire sous peine de se voir refuser l’entrée. Il est interdit de photographier, de filmer, d’enregistrer ou d’user d’un droit de parole sans une autorisation préalable. Par respect pour le public et le personnel les téléphones portables doivent être éteints durant toute la durée de la visite, y compris s’ils sont laissés au vestiaire. » Langage de vestiaire ministère la misère – vous êtes entre le sas de sécurité et les caisses de l’Institut du Monde Arabe – les droits de parole sont réglementés, payants, et cette parole légale au groupe noie les images – et les écouteurs officiels remplacent dans l’oreille la fonction des téléphones portables tant fustigés par la direction – on entend par-ci par-là, babouche divan, éventail narghilé, costumes arts populaires – le conférencier, les indications murales en grande pompe, tout est entrepris pour que le visiteur ne voit pas les œuvres à voir – femmes faciles, violences des combats – vieille histoire de l’art justifications pour vieilles pies. Et pourtant, à nouveau Renoir, sa lumière – les femmes voilées en malice feinte, les couleurs des charmeuses en danse paresseuse – vient le Concert de 1918-1919, touches cerises sur soie, musiques sur plis – le soleil lance des fleurs.

Renoir - Le Concert

Renoir - Le Concert (1918-1919)

XVIII
20 janvier 2004

Mon corps écrit le monde – le texte vit bien au-delà de tout soupçon misérable – ne pas se laisser abattre – la rencontre nous sauve, visage libre un jour de pluie, le peignoir rouge s’ouvre odalisque – la peau est délice, messe des seins – le membre âne et les surprises roses baigneuses – antre, appel, jeu de joies.

XIX
21 janvier 2004

En tout temps, dans le pré du savoir – considérant même les époques les plus noires de l’histoire – des êtres se sont assis en ordre rangé dans des amphithéâtres – le monde s’est platonisé, le ton plat comme envergure – le Neutre de la leçon de Roland ! Je suis dans un café du quartier latin, année 50, faux cuir, repeint pastel – les étudiantes sont toujours aussi belles, séduction et savoir se plaisent parfois aux entournures de la langue – fruits du fortuit les regards sont jeux – et hors les cours, la recherche du présent se fait plus pressante – l’espace du café est trictrac diagonales, pointes miroirs chevauchements, stratégies des surprises et dés – j’aime à
trouver des lieux rares aux potentiels imprévisibles – demandez l’impossible, vous aurez l’incroyable.

XX
23 janvier 2004

Serviette rouge, table jaune, carnet bleu – elle en face, lèvres rouges sur fond blanc néo-plastique – et la serveuse chemisier blanc a l’air d’une nonne – on entend à la radio : « je ne veux pas travailler ».

Lionel Dax

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