IRONIE numéro 109 - Septembre/octobre 2005

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IRONIE Volume I (numéros de 1 à 55) : 30 € (dont 5 € de frais de port)
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[Corps-Texte] 7 & 8

Wake in progress

Lire aussi [Corps-Texte] 1, [Corps-Texte] 2, [Corps-Texte] 3 & 4 et [Corps-Texte] 6

LV
2 avril 2004

J’ai croisé une ancienne amie, salope suprême et vieille fille sans vergogne, douce et maigre en ses habits de pleureuse – il arrive que les blessures s’enchaînent – alors qu’Henriette sur son lit dévêtue, un livre à la main, a toujours le rire en écharpe, et les souvenirs aux orties – elle est la volup/tueuse, la gourmande en amour.

LVI
3 avril 2004

Camden Lock : promenade le long du canal, à contre-courant vers un soleil capuccino – Savoy Hotel plus tard face à la Tamise soleil de printemps – les lords à côté lisent le Sunday Telegraph – le monde tourne et les lords le regardent tourner de cette terrasse comme ils regardent la grande roue des loisirs populaires, assis dans un palace tamisé à lire un journal insignifiant – avec Lydie, le jeu aime le luxe – Big Fishes eat little ones, signed and dated 1557, Peter van der Heyden (1530-1575), d’après Bruegel, la bouche du poisson comme une huître sauvage – au même instant, El Greco in London : superbe bois bombé vénitien – la robe rouge du Christ et le ciel iceberg – he has inserted portraits of Titian, Michelangelo and Raphaël – la danse du Christ, la flagellation purification à l’envers, le bleu métal de Marie – Madeleine en pénitence – pleurs de crânes, vase vide – variations autour du gris bleu – verbe sans blessure – déchirure orange le nom Jaune Citron (J.C.) et l’enfer évident dans la gueule du monstre – des lys et des pivoines surgissent, anges et Marie, Saint Esprit en émanation, parfums des fleurs au ciel avec contrebasse – musique éclair – Visitation bleu vert glacé du rêve maman – la caresse des époux – la dame à la fourrure avec le voile comme fard – et la beauté du frère, l’index dans la fente du Livre comme chez Bronzino – la pénétration au cœur du texte.

LVII
5 avril 2004

Corps-Texte enregistre les instants de vraie liberté et en contrepoint noir les terreurs appliquées de l’humanité chétive.

LVIII
6 avril 2004

Pas besoin de salmigondis salsiffis bigoudis pour être un corps singulier de la langue – et pourtant par moment explosion baroque du texte – j’ai sur ma table du Lutèce : Le mérite des femmes de Moderata Fonte, les Propos de table de Coleridge et l’anonyme Cathéchisme libertin de 1791 – le code des textes en formation est une horde de clés secrètes ordalie lie des jours – le cœur de la langue.

LIX
7 avril 2004

Nuages sur les cités – rectangles blancs sur fond gris – ça se déverse humains en cascade – une foule houle brutale – pousse-toi, dare-dare, gare à toi – valises voyages piétinements successifs – dépêche-toi, cours, tu vas le rater – les aiguilleurs, les réseaux ne se préoccupent jamais de ton retard, de ta brouille hasardeuse avec le temps des machines – la masse est une armée inconsciente, perdue, déconstruite par le refus de la passion – en avant toujours les sacs en bandoulière, les provisions prêtes – une vacuité de l’espace ressentie comme hostile à une nouvelle disposition du plan – une proposition poétique du temps qui renverserait la crise du lieu vécu – dénicher déjà les décors favorables au déploiement illimité de passions inédites.

LX
8 avril 2004

Projet de performance : l’histoire de l’art en 24 heures – conférence dépense – de l’enseignement comme l’un des beaux-arts.

LXI
9 avril 2004

La mort soude – petite morsure du temps qui raccorde les perdus – comme la souffrance, comme la douleur, comme la maladie, comme les accidents, les soudures s’opèrent de visu, même si au fond le reste est faux – la soudure instinctive de l’humain en danger – certains en jouent – plaintes à répétitions, pleurs au téléphone, petits bébés en souffrance de l’enfance – ils n’ont pas vu venir la jeunesse calfeutrée dans la dépression pour les câlins papa maman – tous occupés à culpabiliser l’entourage dans une emprise agressive sans borne. Autre temps – je suis dans un autre Paris – j’ai seize ans – la haie d’arbustes dissimule sur le quai Notre-Dame – la bouteille de Get 27 pour une partie de la nuit à lire près de l’eau, à converser hors temps du temps en train de se jouer, des textes en présence, de nos corps amoureux et ivres, prêt à glisser dans la Seine ouverte – parce que tout est jeu Montesquieu – déjà l’idée que le texte est en nous, qu’il ne quittera pas nos corps en révolte belle – mais un jour l’un de nous s’est noyé, très écorché, saint Sébastien aux hospices. Maintenant, là, un petit bateau fend les eaux du port de l’Arsenal – sa fumée est effet d’orgue – j’entends un air révolutionnaire.

LXII
13 avril 2004

Le monde est pris en otage – à nous de le révéler et de prouver l’inanité de ses ravisseurs à tête d’ogres.

LXIII
14 avril 2004

Aujourd’hui les voyages forment la vieillesse – on joue à se faire peur – expédition safari – et, sur la saleté des autres lieux, les pauvretés étalées mises en scène on verse sa larme Versailles – surtout ne pas succomber, éviter les voleurs, les avides sur les chemins obscurs déterminés à dépouiller les riches de passage – on entend fort les animaux sauvages – la nuit est scorpion vipère tarentule et le réveil est Land-Rover camescope numérique – galerie marchande – nouvelle dérive de la consommation forcée – le plouc est roi, j’y reviendrai en détail, et son environnement s’appelle design écolo ou fashion bonbon – les grands magasins Haussmann dessinent les nouveaux espaces urbains – carte bleue du ciel cash – le fluo est la couleur monde marchand, le végétal lumière vivace. J’ai vu les accumulations d’autoportraits au XXe siècle, musée du Luxembourg – des malaises mêlés d’horreurs – peu de fulgurance à part peut-être les dessins de Giacometti, de Matisse – la réflexion au XXe siècle est laide et sérieuse – des « moi » peu sûrs, photomatons du sinistre en peinture excepté la signature chèque en blanc de Duchamp en 1964, exacte surprise de la dérision – le reste est grenier des particuliers, caves des musées, salle Drouot poussière, à vendre au plus offrant pour bourgeois collectionneur – Tout doit disparaître.

LXIV
15 avril 2004

Cette nuit, des oiseaux dans les parkings – ivre vers la voiture, les haut-parleurs sur des pylônes perchés diffusent l’ambiance campagne en plein béton – ce spectacle est l’indice le plus parfait de nos sociétés téléguidées – les voitures rossignols du bitume chantent dans les sous-sols des villes.

LXV
16 avril 2004

Sache qu’un jour nous redeviendrons amants – je n’ai pas perdu Molly – j’ai la mémoire qui tranche – qui peut dire avec précision ce qu’il a vécu ce jour pile il y a un an ? – qu’avez-vous fait le 16 avril 2003 ? – quelles sensations avez-vous en mémoire ? – qui peut le dire à votre place ? – et il y a deux ans ? – et plus loin encore dans le temps ? Sous un soleil plus chaud – après avoir flâné dans les îles éoliennes Lipari Vulcano Stromboli Salina – procession ludique de la Passion – nous sommes chez Angelo – nous nous baignons à Fontane Bianchi – le printemps à Syracuse – les citrons rugueux de Ragusa – et les théâtres grecs – je lisais Pindare.

LXVI
18 avril 2004

Six heures du matin, Paris – chaque jour son lot d’agressions – rappel des douleurs alors même que la joie est là – faits vicieux des sorcières – tu verras plus tard, tu vas souffrir – vous êtes naïfs mes oiseaux de paradis – la vie est essentiellement douleur de vivre – peu de parole autre engage vraiment à la joie – pour cela lisez plutôt Spinoza – évitez les dires fielleux de votre entourage – soyez intransigeant – faites-leur sentir le noir sur leurs lèvres, la violence de leurs yeux – usez juste d’un sourire par delà parce ce vous êtes déjà trop loin d’eux – on a la vive impression que des paroles de joie leur arrachent le cœur – c’est les rancœurs à la place – harpies projetées qui veulent en fin de compte assombrir la joie, la détruire dans l’œuf – saletés amères – una cantata da camera de Vivaldi : singulière façon de l’instant à ramasser le néant pour mieux s’en débarrasser.

LXVII
19 avril 2004

Sangs – urines – pleurs – son lot d’animal hôpital – hyènes et haines : chercher la faille sous l’écorce, faire saigner le marronnier – saisir la fragilité des autres, la mettre à nu avec un sadisme régulier – pour mieux jouir ensuite de sa force feinte, masque agressif des gros sabots psychiques, voie sans issue des morts vivants pour lesquels ce livre se doit d’être un poison définitif – l’écorce est ce qui préserve les fragilités indicibles, donc les richesses du secret – mais aujourd’hui, le temps est aux impudeurs placardées puritaines et morales donc à la mise à sac de l’intimité – et les attaques répétées de ces hordes hideuses sont le rappel évident de leur pauvreté existentielle, de leur néant interne – pour eux tout doit être montré pour y voir de l’humain, action perverse de la bonne conscience apparente – alors que tout doit être caché, encore plus de nos jours, le cortex étincelant à la barbe des envieux vampires – car là réside la richesse toute subtile des êtres – le temps d’amour est court – il faut être là – nous nous sommes embrassés cette nuit avec l’idée d’en finir avec les crapaux – ce baiser était une volupté rentrée de joies à venir – silence – grand silence bardé de cris – peintures de Bacon.

LXVIII
26 avril 2004

Leçons en enfer – les nuits roumaines à Paris aux abords du bois – des satyres, des ministres, des gens bien qu’ils disent – des véreux de la queue, des plastronnants au balcon des fantasmes, à la cave des pouvoirs.

LXIX
27 avril 2004

Elle déboutonne son gilet – allume une cigarette – son sourire n’a rien d’une madone des cafés – rencontre de filles ce jour de soleil – rires cigarettes baisers – et elles se toisent les fringues – le plaisir de l’apparence et le jugement publicitaire de l’image sont tus – t’as minci chérie – t’as grossi ma belle – les seins se gonflent, se dégonflent – il faut souvent changer de fringues, fringales en consommation tissus – et les mocassins dans la vitrine pas loin – elles ne parlent que d’achats, d’argent, de prix – voix de crécelles têtes d’oiseau, cuicui juste prix – elles comparent les victimes les chemisiers – il faut penser aussi aux maris – les belles chemises repassées du week-end – l’esthétique décontractée – portées ouvertes lors des promenades châteaux Ile-de-France – elles n’ont pas vu venir le pire, la vacuicuité totale de leurs vies pré/occupées – elles font les dégoûtées faciles pur jus magazines people. Plus loin, dans un décor misère, j’entends la violence – un mec revendique la polygamie et expose ses idées à sa copine de Mac’do – bien sûr qu’il faut frapper les femmes – c’est sain – le prophète l’a dit l’a fait le prône – moi, si ma femme me trompe, elle aura la raclée de sa vie – tu sais jeune fille au moins à quoi t’attendre – elle le regarde – elle dit oui avec la tête – elle soutient terreur des banlieues son bourreau.

LXX
28 avril 2004

Nymphettes aux doigts d’encre, le jaune sur la toile, le trou dans la jupe – masse seins exposition oiseuse – culs en ronde bosse – femmes bouches bées en acceptations vicieuses.

LXXI
30 avril 2004

Un anthropologue des média : « manifestations – rituels médiatiques des démonstrations publiques – écritures de l’événement chorégraphique de la ville – structure du ballet révolutionnaire – signes de danse – rhétoriques des grèves – langage dramaturgie des impulsions théâtrales de l’espace public – événements terroristes publics – analyser le langage des terreurs – la question de la cérémonie » – il parle d’événements expressifs – du conflit au consensus – la carte du dispositif – éviter la sidération mais se risquer à la traiter – la décrypter – il faut partir du texte – et les masses corps des réceptifs – le public acteur de l’événement qui entre en scène parfois dans la dramaturgie – l’audience – les acteurs anonymes de l’événement médiatique : « peut-on dissocier la voix des journalistes de celui du public – corps à deux voix de l’opinion filmée – peut-on démêler ces voix ? qui parle ? qui parle de qui ? – l’anthropologie du banal et l’exceptionnel en rituel communication – approche fonctionnelle, symbolique et approche compositionnelle du rituel – quel corps dans le rituel des images ? quelle grammaire du texte collectif des cérémonies – les rituels conflictuels deviennent souvent consensuels – le consensus est souvent une manifestation d’un conflit masqué – herméneutique du soupçon – attention à ne pas trop conflictualiser car les conflits fondamentaux nous échappent à cause d’une banalisation de la rhétorique du conflit – nous ne sommes plus dans la résolution des conflits – à cause du terrorisme, de la violence rituelle publique – qu’y a-t-il sur nos écrans ? – les manifestations aujourd’hui sont parfois des ordres – combats de coqs féroces – certains événements sont des discours, des mascarades, des carnavals, embrassades de tapis, le mauvais théâtre de la communication – l’ordre de la gesticulation peut-il être autre chose qu’un jeu superficiel ? qui décide ? qui valide ? – et les cerbères pointent leurs nez – événements profonds ou superficiels ? avons-nous à faire à des pseudo-événements ? – où a lieu l’événement ? – dans quelle sphère ? – Daniel Pearl meurt au Pakistan mais l’événement symbolique a lieu dans divers centres – à chacun son 11 septembre 2001 – tout événement symbolique est un pseudo-événement (degré zéro de l’événement) qui peut devenir véritable, authentique – mais attention aux événements validés et détournés au profit de manipulations » – Ce soir le discours est brechtien avec un désir déontologie idéale contre l’imposture avérée – reconstruire une déontologie sur les actes de parole – des textes en corps – une journaliste prend la parole jolie brune : « je suis terre à terre – agenda settings – je ne réfléchis pas autant aux événements, je les filme et les commente » – le pouvoir, c’est l’écriture de l’aléatoire – en quoi consiste la spontanéité ? un instrument du pouvoir en images montées – elle continue : « l’attentat nous tombe dessus – tout acte terroriste est un grand événement – toute rédaction ne croit pas aux pseudo-événements – tout acte sortant des horaires réguliers est un événement – c’est nos critères de sélection comme la viande certifiée conforme » – l’information, c’est le bon sens chez vous – les journaux télévisés sont des compositions d’affects, des composés d’irrégularités choisies.

LXXII
3 mai 2004

Les exactions se multiplient – les sadismes s’organisent en photo-maton de l’horreur – la pisse sur ta gueule d’arabe – tes couilles branchées à vif sur le jus de la caserne provisoire – c’est bien salauds ou les 120 journées de Saddam – show room must go on – à lire Guyotat Artaud Genet – et sur un autre registre Alleg, la question de la question – dans le même temps le virus « Sasser » Masoch distille ses déconnexions subites – écrans noirs de l’impuissance devant le ver néant d’un pirate du web – l’île de la Tortue est nulle part et les programmes pervers naissent d’un non-lieu crypté.

LXXIII
4 mai 2004

Les détours de l’amour – textes vivants – essence des verbes – les jambes blanches du bus – la mythologie de l’éclipse – la nuit du discernement.

LXXIV
11 mai 2004

L’affolement des gares – la panique des trains en attente bondés – la course du jour se fait de plus en plus trépidante – après une ivresse de soleil à La Ciotat, le scintillement au hasard des rayons – la mer comme une fiancée renouvelée, échevelée de logiques douces.

LXXV
12 avril 2004

Les sybilles des cités sont des Judith – dans leurs yeux et leurs bijoux clinquants, le brillant de la lame, l’acier ciselé de l’épée – mais les breloques tombent très vite en chute épaisse sur coussins maman je t’adore et nounours peluche aussi – la lame est fausse aux amours tremblantes – le cœur s’abat en oraisons cinabre d’orient bouclé en baisers virils – les bouches des femmes invitent.

LXXVI
13 mai 2004

Ripostes en spirale – hommes frappés égorgés – les cagoules les vidéos les messages – les humiliations vers les décapités – les capitulations sanglantes de la terreur en image – le devenir snuff movie du monde – les spectateurs en otages permanents des crimes.

LXXVII
18 mai 2004

Jour de feu – femmes libres aux pieds des bureaux Bercy-Bibliothèque – des lèvres comme dans un film abrupt.

LXXVIII
20 mai 2004

Toute la nuit dans la voiture, variations paradis – voix voyage vers le soleil.

LXXIX
24 mai 2004

Nous sommes parvenus à un monde de parvenus – venus par orgueil, venus par l’argent, pure surface narcissique de l’arrivisme mimétique – j’amasse, donc je suis – une caste à part venue de la méritocratie pécunière, d’un monde de faux-semblants où les objets – maison voiture cuisine piscine – ont été payés par un labeur d’esclave quotidien où tout est compté – leur monde est toujours propre, lessivé, insignifiant, plat, sans relief, l’anus nettoyé au karcher. « Tiens me revoilà là et là encore là et là et puis là bandes dessinées bulles zooms lueurs dans les cendres décidément j’en ai plein la tête de cette planète elle poursuit en moi ses canaux ses fêtes elle me vit sans moi partout malgré moi je vais vous dire pourquoi ils sont bouclés et bâclés pourquoi ils n’entendent pas n’écoutent pas ce qu’ils voient toute leur attention se concentre sur leur trou fécal ampoulé c’est la clé de leur vigilance leur centrale électricité peur et désir et peur et désir et peur et désir d’être pénétrés ils sont fixés là c’est noué et finalement ils ne pensent qu’à ça ne redoutent que ça n’attendent que ça terriblement assis sur la chose incontestablement indubitablement viscéralement politiquement gérants crispés inconsciemment sur trou-chose question vie-mort merde en chose passion rivée du rejet or en vérité cette surveillance leur demande beaucoup d’efforts toujours plus d’efforts encore un peu plus d’efforts mobilisation rétention appétit pulsant sa ration chasse aux papillons chefs rayons parachutes cloaques maisons avec par-devant en haut toujours la façade policé codé ou alors paillard égrillard braillard les dames par-ci les messieurs par-là et les dames poinçonnant l’effet monsieur sur monsieur et monsieur hanté par monsieur parlant d’autre chose ou du truc monsieur le tout circulant gentiment dans le démoniaque lequel n’est pas ce qu’on croit mais seulement l’anus mis en croix c’est-à-dire vraiment l’obsession foncière rond-de-cuir à nu battant des paupières le panneau anal pédiqué pinière la moelle de tous les combats en conséquence comment voulez-vous qu’ils montent jusqu’à leurs oreilles comment voulez-vous qu’ils veillent on n’a rien sans rien ici-bas et eux leur trafic c’est de haut en bas prélever sur l’air des tympans et descendre ouater le pan-pan dédouaner l’écoute et foncer sur proute se délecter choute et moumoute en soignant broutant l’enrobant leur angoisse est là les renflant poire d’ève symétrique pommée gorge adam comment leur demander d’entendre et encore plus de s’entendre c’est perdu d’avance c’est brutalisant ils tiennent à leur viol de base ils veulent mordicus et rectalitus leur cloison bourdon fessafond l’axe chaud rugueux suintant leurs rognons d’agnons bien cotons leur couchure musquée à carbure bref leur vie ce qu’ils appellent leur vie les ordures petit sourire con qui dit long tout ça pour répéter qu’ils sont enfournés au cadavre qu’ils y croient en fer au cadavre. »

LXXX
25 mai 2004

La peur de la pénurie mène le monde du calcul – bientôt plus d’eau potable bientôt plus de pétrole bientôt plus d’uranium bientôt plus de forêt plus de bois de charbon – bientôt la fin des stocks, liquidation totale de la table de Mendeleïev – les matières premières fécales du fonctionnement rouages s’épuisent inévitablement – le monde a bien une fin, le soleil va mourir, nous martèlent certains scientifiques avertis par chiffres expertisés à l’appui – alors faut pas lâcher le morceau d’énergie le gisement guerre, les amis marionnettes des pays du sous-sol – les strates géologiques, les strates d’or, d’argent, de nickel, de cobalt, de manganèse, de fer, sont pillées continuellement et l’homme ne comprend pas qu’un jour il n’y en aura plus – il ne se résigne pas, il y croit dur comme fer, à l’éternité des biens sous-terre – la terre doit devenir un gruyère – il faut aller voler vers Mars, la Lune, investir d’autres lieux dans les cieux – il nous faut de l’énergie toujours plus d’énergie – on a peur de manquer, gaspilleur patenté, producteur de déchets cacas en grande quantité – le monde consommation infinie finira par boucher les chiottes et tout remontera à la surface – voyez déjà les océans et les décharges – le recyclage retour du caca dans la machine à faire consommer aura de beaux restes – même en art le belge Delvoye et sa machine à faire de la merdre, la belle Cloaca. Je suis à Bergamo, soleil de mai – hier le vin lombard, terrasse sur les Alpes.

LXXXI
26 mai 2004

À nouveau dans les images poussières le monde torture chaque jour avec son lot infernal : « mon papa mettait son zizi dans ma bouche, dans mes fesses, il me faisait manger mon caca (…) Les femmes c’est différent. Elles faisaient comme ma mère. Elles utilisaient des tournevis, des marteaux. » – faucilles et marteaux, communisme du sexe – bricolage inceste, la mécanique pédophile en travaux – Sade, c’est vraiment toi – ça se sent, ça se sent que c’est Sade, ça se sent, et rien d’autre que toi ahah et rien d’autre que toi. Dans les eaux chaudes de Simeone sur le lac de Garde – soleil voilé sur les termes – temps en liberté nue sous les jets de soufre devant l’espace du lac arrêté – ce soir mon corps et mon texte en écoute du corps piazza dei Signori à Vicenza – les aboiements des chiens résonnent théâtre – seul le décor.

LXXXII
27 mai 2004

Vicenza – une jeune fille lit à l’étage – le soleil est été bleu et le marché aux fripes autour des monuments – les femmes fouillent les monceaux de vêtements frénésie coton – plaisirs des couleurs et du toucher – cappuccino sur nappe blanche – « À l’une des tables, Est, après l’As de Trèfle, contre-attaqua Carreau. Sud mit l’As puis joua la Dame de Cœur (qu’Est a laissé passer) et continua Cœur. » – elle est absente – noces froides de la pluie.

LXXXIII
28 mai 2004

Padoue, Venise pas loin – ici l’amante à la croisée de la via Dante et de la via San Fermo : « Da questa torre Galileo molta via cieli svelo à la Porta di Ponte Molino » – le train file vers la lagune – un train toutes les trente minutes – Santa Lucia retrouve ses yeux d’amoureuse – sensations de noces à Venise – Prières à San Simeone e Profeta – Santa Maria Madre de Dio – foi libre du désir – dehors les cris photos des scouts du monde – dedans silence des cierges en éveil – le voyage et la fête de la foi – les colonnes sont habillées de soie rouge damassée de fleurs – la Cène du Tintoret reste dans l’ombre à gauche de l’entrée comme une bénédiction – son secret est d’être encore là cachée comme cette Cène à Paris toujours dans la sacristie de l’église Saint François-Xavier – et en sortant, je retrouve mes pas dans ce quartier peu visité de la cité entre la gare et le marché aux poissons – nuages et lumières campo San Cassiano – au retour, le soleil se couche sur Padoue – que lit-on dans le monde ? une mystérieuse secte se réunit à Paris près du Jardin du Luxembourg avec le philosophe Michel Onfray : « L’Union des Athées » – l’union déjà est religion et les athées proclament le radical avènement du rien.

LXXXIV
29 mai 2004

Elle dort d’un sommeil panthère sur les bords de la Brenta – hier lune et étoiles dans le ciel orient de Padoue sul il Palazzo della Ragione – les étudiants finissent l’année un verre de prosecco à la main – jeu des baisers – viens l’été.

LXXXV
30 mai 2004

Crémone ferveur Pentecôte – veille et danse renaissance, applaudissements prières et le cadran du temps lunaire aux signes étoilés du zodiaque – souffles amoureux – remercions le ciel de cette journée, de ce matin lumière.

LXXXVI
3 juin 2004

Paris – le voyage n’est jamais mis en parenthèse – il est sans ponctuation, libre de possibilités – l’Italie, dès que possible j’y retourne en amoureux, par goût.

LXXXVII
7 juin 2004

La philosophie entretient un étrange commerce avec Mallarmé – aujourd’hui jour soleil à Paris – vélo vers la Seine – echos of mirrors – je me souviens l’été ce matelas sous la charpente de la Sainte Chapelle – les amours guidées sous les carillons – et respirer ensuite dos aux gargouilles l’air des hauteurs les torses nus sur la flèche – girouettes érotiques.

LXXXVIII
8 juin 2004

La planète Vénus passe entre le soleil et la terre – un grain de beauté au soleil.

LXXXIX
9 juin 2004

Jeunesse délicatesse tresses fesses – promesses ivresses liesses – les exemples seront saupoudrés avec tact – caresser un livre : polir un joyau de la main.

LXXXX
10 juin 2004

Le Mistral est un café béni des dieux – jeunes filles alertes – allez-y – aux bords des quais ville ouverte vers la pointe de la Cité et la miss Eiffel en hic – les théâtres opéra danse et le ballet mécanique incessant de Paris – le corps s’écrit en texte inattendu – laissez venir à moi les petits cris de joie glissades des mains – rendre au monde son énigme par la simplicité d’un geste.

LXXXXI
11 juin 2004

Hier soir, champagne à trois – vins sourires des deux filles – plaisirs des conversations ludiques en yeux rapides de plaire – l’imprévu au cœur du texte – le XVIIIe siècle redeviendra à la mode – les femmes seront prêtes à jouer le jeu des séductions historiettes – le temps est trop court pour laisser filer les occasions de jouir – les espaces hors culpabilité régression lait tendresse seront devenus bosquets à nouveau, toujours en secret des jalousies idiotes – les femmes mèneront la danse car elles en meurent d’envie et il faudra être là royal au rendez-vous, joueur – les lettres ne resteront plus lettres mortes de l’idéal – le phallus sera au pied du mur mûr – et continuer de rire avec elles.

LXXXXII
14 juin 2004

« Le tâtonnement-œuvre par excellence de la main » – « trop de tentations malgré moi me caressent ».

Lionel Dax

Notes1

Arthur Cravan : ce nom est plus apte que tout autre à nous restituer la lumière propre aux années 1910 à 1915 en France, en Espagne, en Amérique, telle qu’elle fuse à la pointe de l’avant-garde artistique. C’est l’époque héroïque des luttes autour du cubisme et du futurisme, de l’orphisme, des conceptions les plus aventureuses de l’art et de la vie. Apollinaire, Picasso, Duchamp, Picabia, Cravan tiennent la scène. Ce dernier, d’ailleurs en conflit permanent avec les précédents, se montre d’une intransigeance particulière. En lui s’accomplit sans compromis la volonté de Rimbaud : « Il faut être absolument moderne. » Cette volonté trouve son expression quintessenciée dans la petite revue Maintenant – aujourd’hui introuvable – dont Cravan est le seul rédacteur. Son action, durant ces quelques années, se développe dans une atmosphère d’absolue irrévérence, de provocation et de scandale, qui annonce « Dada ». Cravan meurt assassiné en 1918 au Mexique. Nous devons à Mme Mina Loy la communication des très importantes NOTES inédites dont nous commençons ici la publication. Indépendamment du grand intérêt historique qu’elles présentent, les connaisseurs respireront dans ces pages le climat du pur génie, du génie à l’état brut. Longtemps, les poètes reviendront y boire comme à une source.

André Breton

Car si j’avais su le latin à dix-huit ans je serais empereur – Quel est le plus néfaste : le climat du Congo ou le génie ? – les plants de (carottes) en forme de tombeau – la pensée sort du feu – étoiles, désespoir du poète et du mathématicien – le plus vierge et plus furieux – à un homme discipliné ne suffit-il pas, comme changement dans sa vie, de s’asseoir une fois par mois à l’autre bout de sa table d’étude ? – j’ai pensé un instant à signer Arthur I – Je me lève avec les laitiers – dans mes tours de verdure – chair des chiens – gelée blanche, frimas, givre – ô mon cœur ! ô mon front ! (ô mes veines) ! celui de nous deux qui a le plus vif argent dans les veines (vérole) – j’ai passé ma langue sur leurs yeux2 (les femmes) – la lune buvait, la mer était… la lune dorée – je mangerais ma merde – la Tour Eiffel plus douce qu’une fougère – on sent bien que l’instrument est là (en parlant du cœur) – forêt et scierie – énergie – et de la poussière d’empereurs3 j’en ai eu dans les yeux – je ne tolère pas qu’on marche sur l’ongle de mon orteil – l’air porte déjà nos membres (aviation) – si je pouvais aller l’amble – l’heure sérieuse (le soir) – la mer aux cheveux bleus – la gloire du diamant est au-dessus… – flotte mon bleu veston (bleu) – le mouvement des brumes – j’ai rêvé d’être assez grand pour fonder et former à moi seul une république – j’ai rêvé d’un lit qui flotterait sur l’eau et plus vulgairement de dormir sur des tigres – je fréquente les sentiers – je suivais le mouvement des brumes sur le théâtre des plaines et des vallées où les plants en rectangle de raves et de choux formaient comme de vastes tombeaux – électrosémaphore – je regardais la mer de vingt mètres de hauteur – les  4  secouer leur torpeur – mon âme… stationne sur les trottoirs – au romanesque aussi du caractère anglais – les télégrammes – l’eau bleue de la pluie, l’averse – les coccinelles poudreuses des musées – il neige sur les bancs vides – les plus grands monuments font le plus de poussière – tous ces fruits promis à l’automne – tout ce qui brille au printemps est promis à l’hiver – le soleil d’argent de l’hiver – Canada, je sais que tu es vert – et faire un tour dans les bois ! – le vent soulève la poussière des Césars – que suis-je, où sont… et mes livres d’amour ? le navire universel – renouvelle les roses – (à propos de la guerre) j’aurais eu honte de me laisser entraîner par l’Europe – qu’elle meure, je n’ai pas le temps – loin de mes frères et loin des ballons – j’aime, sa manière d’aujourd’hui est pleine de génie, quant à sa manière d’hier je la trouve visionnaire, quant à celle d’avant-hier… – j’aime en moi… j’ai vingt pays dans ma mémoire et je traîne en mon âme les couleurs de cent villes – le rossignol persan qui siffle pour sa rose – sur les vaisseaux d’Asie et les doux éléphants – ma plume palpite et frémit – je suis toujours ému – il y a danger pour le corps à lire mes livres – soupireront la majorité des femmes – cerveau gras, esprit qui raie le verre – mes pensées comme des boas – nous, les modernes, ce que nous avons dans le cœur ferait sauter un fort – le soleil rougit la Russie – la lampe sublime du soleil – régions pétrolifères – et toutes les étoiles tournent et roulent sans bruit de transmission – que je vole aussi loin en suivant vos vestiges – suis-je quelque part – retiré sous (au) dans mes tours de verdure – les astres roulant chantent comme une limousine – je me retire dans les fougères – au pied des pins – que ne suis-je aux champs ! – … et je viens à toi sur un beau transatlantique – Jusques à quand ? Jusqu'à quand tarderai-je à… ? – les fantômes des gares – embouchure – loin des ballons, viril5 – colon – l’esprit d’indépendance – compte courant – enthousiasme – adieu chaleur de mes vingt ans ! pendant la belle saison – nickel –
L’ennui – dédore mes cellules – Les folies de la lune excentrique d’avril – Grand garçon – mes cheveux blonds, colon, loin de ballons – établi sous les planches – Dans le blond Maryland et loin des ballons à mon auriculaire – je respire à outrance également (aussi) étoffe – mon cœur, prenons un galop – je sens nager les vers dans mon cerveau mouillé – je suis ruiné, la fantaisie, la folie a perdu son danseur – chenapan – tempérament – Honnête je sais l’être et voleur je le suis – Mon cœur, prenons un galop, je serai millionnaire – Je me lève londonien et me couche asiatique – londonien, monocle – fureur et furie – ô, vous qui m’avez connu suivez-moi dans la vie – Le vent me stimule – je suis un nerveux – J’ai remis6 ma ceinture de scrupuleux, je me destine à la vie, je suis musclé – renflements – salons aristocratiques – les vases et les médailles – le grec – principalement – prétuberculeux – j’ai été aussi le poète des destins – arcs voltaïques – l’espace interdigital – rosiers multiflores – échantillons – quantité7 – chambre, vase de l’air, de l’atmosphère, de l’oxygène enivrant – riche et pauvre, l’argent m’a fait goûter l’ennui rare et le frais désir – je traîne en mon âme des amas de locomotives, de colonnes brisées, de ferrailles – pseudo-Lloyd, plume d’or – soi-disant – les yeux en coulisse – le blé vide lève la tête, Napoléon baisse la sienne – voici l’enfant, l’homme et la femme en… – heureux d’être né – heureux par nécessité biologique – Victor Hugo, la plus grande machine à faire des vers du XIXe siècle – jeté sur la côte du Japon – l’éphémère en moi a des racines profondes – le maigre et le gras se disputent en moi – Seigneur, la chasteté nous use – haleine du printemps, je te respire comme une baleine – quand je vois quelqu’un de mieux habillé que moi je suis scandalisé – apprenez-moi où vous dormez que je vole aussi loin en suivant vos vestiges – les reines de l’aquarium (poissons) – que la neige est belle, le bon Dieu ne s’est pas moqué de nous – double-cœur, quadruple cerveau, colosse rose et miroir du monde et machine à faire des vers – mes jours de nageur – les cubistes en peignant ne risquent pas de mettre le feu à leurs toiles – assis comme un joueur de guitare – je suis brute à me donner un coup de poing dans les dents et subtil jusqu’à la neurasthénie – homme, vieillard, jeune fille, enfant et bébé – abstrait et polisson – je parie qu’il ne saurait se présenter un Chilien ou un Obokien qui puisse me dire : « Grâce à la couleur de ma peau et à ma taille j’ai senti une fois quelque chose que vous n’avez pas senti » – Qu’il vienne celui qui se dit semblable à moi que je lui crache à la gueule – mon art qui est le plus difficile puisque je l’adore et que je lui chie dessus – yeux de femme, cou de taureau – grand déferré – vipère et chou – ses dents réparées brillaient dans sa bouche comme des statues d’or – Les lions sont morts… – et quand bien même je te donnerais des ascenseurs d’or – rhinocéros, grosses chaudières, mes frères en épaisseur – quand le soleil meurt dans les bois – C’est moi le fou des fous – et je te regarde tous ces spécialistes – mon Dieu ! quand je pense que j’ai trente ans je deviens sauvage – j’aime le lit car c’est le seul endroit où comme le chat je puis faire le mort en respirant tout en étant vivant – quand j’ai fait la noce j’entends la voix des dictionnaires… – si toutes les locomotives du monde se mettaient à siffler ensemble elles ne pourraient pas exprimer ma détresse – je suis peut-être le roi des ratés, car je suis sûrement le roi de quelque chose – le même et changeant – je passe de… aux sphères… – mélancolie athlétique –
Supporter la pensée – en songeant à Saturne – j’aspire déjà à d’autres lecteurs – je me fous de l’art et pourtant si j’avais connu Balzac j’aurais essayé de lui voler un baiser – le cœur découvre et la tête invente –
Seins8, éléphant de douceur – merde, vache, charogne de Dieu ! – Mon cœur9 en sa passion embrasse l’âge de pierre – Nature, je suis ton serviteur – Néron du parterre – Il est temps de chanter du fond de mon cœur – torrents de souvenirs – cœur des cœurs – allez-vous-en, petits spécialistes – je fais avec fureur… – chimères du printemps – et changer de chemise – ma jeunesse hennissante – les mortes de couleur – dans l’air assaini par les volcans – colosse blond, géant blond – un pou naît sur un aigle et un crétin dans un palais – et jusqu’aux biens paraphernaux d’une femme – Philadelphie – ligne, service – J’ai connu le bonheur de…
Adieu fougère souveraine de la Tour Eiffel… amour, avril, perché sur les échelles – derrière les fabriques – chaudière des locomotives – Vénus dans les jardins – bombe10 les drapeaux – poumons – Réellement des électro-sémaphores ! les cyclistes, les bielles – trafic des cuirs – intense – externe – épiderme – … brillait sur la face des gares – jouer dans le Maryland – … jusqu’à, dans la racine des yeux – fumée, je vois vos joyeux tourbillons – on n’a jamais trouvé un artiste pendu devant une rose – oxygène, je sens que je suis rose – les veilles… des fabriques – lancer des cailloux – vers portés neuf ans comme l’éléphant – personne entendez-vous, personne… – barbouillé de soleil – pourquoi les acteurs ne récitaient-ils pas des vers grecs et latins ? les pâturages de la lune – quand l’aurore changeant la robe des glaciers – le vert adopté, adoptif – dans les fermes –
    Dans la sombre beauté d’un ténébreux nuage
    La lune qui rêvait comme un cœur d’éléphant
Le Saint-Laurent sous le joug des ponts – je remarquais la chasteté de M. Gide qui était servi par des domestiques femmes – vers portés neuf ans comme l’éléphant11 et teints sept fois dans les flots du cœur – cheminées, fumez, fumez, mes belles échevelées ! – ma morte de couleur, images funèbres, vos parures, dans le royaume des morts, les taupes vous fournissent, ma sœur, encore12 des fourrures – … tes eaux territoriales –
Ah, nom de Dieu ! quel temps et quel printemps ! … des palmiers et des tours – manufacture – … comme un beau charbonnier – … et j’aime tes présidents – je regrette les chefs-d’œuvre – je viens avec fraîcheur admirer tes maisons – C’est moi, ton Cravan
               Vent
Je sens que je suis rose et viens avec fraîcheur
Admirer l’Amérique aux nouveaux vélodromes
Ma grande nature – à bicyclette – Et qu’as-tu bien mon cœur, ogre mélancolique ? D’où te vient cette ombre, d’un œil de femme comme un beau charbonnier – je ne veux plus de ces plaisirs sombres –
    Et toi soleil d’hiver13 que j’aime à la fureur
               Tu habites un enfant
               Et surpris au passage,
    Dans la sombre beauté d’un ténébreux nuage,
    La Lune qui rêvait comme un cœur d’éléphant !
Depuis cinq ans tu n’es plus le même, je ne veux pas vieillir – fournisseur des cours – ma carte d’électeur – … je te jure – poète-bûcheron – honneur – avec extravagance – le génie qui me mange un kilo de chair par semaine – hebdomadaire – obésité du cœur, embonpoint – 200 frs environ, mon compte présente un disponible, banque – la totalité – littéralement fou – … espérer beaucoup – Tu places les lacs sous le joug des ponts – Je regarde la mort à travers mes hublots – Réverbères décolorés – esprit naval – réitérer –
    Je suis homme de cœur, et suis sûr d’être tel ;
    Et pourtant                                          (hôtels)
Le passé a mugi comme un bœuf – l’air dans mes bronches – … fait bruire ses hélices – … comme une auto blanche… – jeune haltérophile – Malédiction à ma Muse – l’amour sur son échafaudage – le colporteur14 – température – en résumé – hop ! – franco-britannique – chèque postal –
Glorification du scandale (New York, ta municipalité) – éternel Avril (ténor) perché sur son échafaudage et que tout ce qu’on en dit est froid par comparaison ! – L’esprit a des facettes et l’âme (le cœur) a des versants – mes passeports – vulgarité – démoralisé – à l’heure où s’éclairent les bureaux – les lampes allument leurs étoiles terrassées – Porto-Rico – et rendort l’olivier – prophète éléphant – mon jeu de jambe –
    Fougère souveraine15 de la Tour Eiffel.
Je suis tout et tout inondation – après avoir pleuré pouvoir déchirer mes larmes – J’ai besoin d’une grande débauche – je suis l’enfant de mon époque – organisme –
Je suis ce que je suis : le bébé d’une époque. Mon cœur secoué comme une bouteille – passer avec plus de rapidité de l’enthousiasme à la démoralisation la plus complète –
Je suis la belle Flora, Laurent de Médicis
Je suis doux de pensée – créature – en tuer la pensée – le savant, l’odeur du vent – fureur et furie – papa des papillons – j’aime les yeux : le tennis, le … le football, billard des prairies – Mon ventre allume un salon, délices des voleurs –
Quand je songe à … le sang des vainqueurs me monte à la tête –
Qu’ai-je à voir avec vos petites contradictions ? – Le printemps dans les branches… – Atlas syphilitique – Seigneur, Seigneur ai-je décliné ? et mes jours de nageur – hier à ton souvenir j’ai rêvé faiblement – le corset des roses – carcasses, diamants, pierres aux attraits sexuels – tabac de feuilles – Charente, tes branches et tes mousses – astre de l’Equateur – le passé à l’œil noir – adolescent et adulte – l’ornithologie descriptive – organes, larves lumineuses – mon tronc – passé à l’œil noir, avenir au plumage doré – hélas et hourrah ! – pétrifications – je roule le souvenir de chaudières ruinées – ma panse de cheval – rappelle-toi de partir – or ou taureau – je t’écraserai, fatalité – mais où est le monument de mes vols, farces ? – l’art, la peinture m’a trahi – organes délicats de la femme – je repose mes jambes sur la mousse – Quel temps te faut-il      peinture, et que réclames-tu ? Désirs, vous m’avez laissé à moitié mort sur une chaise – possession – La paresse redoutable – je folâtre sur le gazon – reçois l’insulte d’un élu – le cristal de la lune – romance des lutteurs – le fruit d’une négresse – mes pieds resplendissants, leur splendeur – Modèle d’injustice – esprit de la ruse – trésor des cambrioleurs, des mondains – mille et un – pilier de la folie –
                         Parmi l’amas des années
Je roule le souvenir de chaudières ruinées – charmants polypodes – je charge les murs de ma présence – les vers de Rimbaud passent en sifflant – Je vais voir Woolworth qui est si grand que l’on ne sait jamais en circulant dans les rues du bas de Broadway si l’on tourne autour de lui ou si c’est lui qui tourne autour de nous – terre de quand je dormirai dans ton manteau – les lois de l’art demeurent16, les règles passent – Mon cœur de jardinier – L’homme le plus vil ou le plus ivre, une fois assis sur un banc, devient juge – Vous ne pouvez pas comprendre, je suis Musset, Beethoven, celui qui a fait le coup dans la ruelle des Reculettes – le prosateur au pas mesuré, le poète au pas d’ours –
    Sur les bancs des squares
            Parmi d’étranges victimes
Le poète vient s’asseoir pareil aux amputés –
    Atlas sans monde,                      surchargé
Ne parlez plus d’influence, je me suis toujours demandé comment je pouvais avoir une figure – La mort du plus grand des hommes ne peut même pas arrêter un train – Souvenez-vous que mon poids m’a souvent désespéré – turbulent – la lune me sert d’entourage – mes devoirs – je ne suis pas un cochon – avec mon génie brûlant je fus ponctuel – ma Renée, quand tu seras mourante – par bateau pour Baltimore – chimères du printemps, fantômes de l’été – Quel monde de tristesse a le calme de mon cœur ? – dans le ciel, porteurs des vents – étouffant, éléphant – Que ne puis-je bondir dans l’herbe du printemps – La seule critique que l’on puisse faire de ces tableaux c’est qu’on n’a pas envie de sauter au cou d’aucun des artistes – les bijouteries – assassin frénétique – la création – au fond je suis… Le soleil assombri encore chaud sur la mer – Manucure, rends-moi mes jours d’autocrate ma morale et mon goût – … des spectacles inférieurs – Que de fois ai-je fait sensation – je chargeais les murs de ma présence comme un corps d’amour – Qu’est-ce ! le torrent chante, le tigre hurle et le sapin bruit ? – les cœurs géants – si je parle en dément du Christ et de Wagner – 
    Parmi le matériel démoli des années
    Je roule le souvenir de chaudières ruinées
– mes mille cœurs sont à toi – parallélogrammes – un sourire inanimé – … et la dent de lion – morne et lapidé – les choux maternels – dans mes rêves les autos s’avancent par colonnes – souvent quand vient le soir le voleur se réveille – Ah ! si grand que l’on soit tant de gens vous ignorent – le rêveur comme le masturbé – je gouverne mes yeux pareils à des royaumes – l’amour plus rapide que la poste – Mon pauvre Gorve – Pourquoi m’appelles-tu pauvre ? – Parce que tu es au monde – la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, mais je vaux la peine de vivre – et ce n’est pas pour des prunes que j’ai de pareilles prunelles – peu de gens comprennent qu’il faut être un maçon ou un prince russe pour manger un bifteck avec les doigts et une minorité se rend compte de ce qu’il faut être pour vouloir être vulgaire – Mon bonheur n’est pas dans mon cerveau, il est dans ma jeunesse – Dieu tyrannique – Chacun a secrètement l’idée de Dieu, comme chacun a un cabinet – le mathématicien secoué par les gaz – il y a danger pour le corps à rêver trop longtemps – si j’ai du génie c’est exclusivement drôle et j’ai sûrement du génie, et dire que l’on voit souvent le génie (la plus haute des facultés à laquelle l’homme puisse atteindre, selon le dictionnaire) qui ne se conçoit pas ! – Dieu, quel con ! –
    Églises                      vos chastes musiques
    Subissent                       les lois de la physique
Forcer les secrétaires – déménagements je… – Pourquoi m’aimez-vous ? – Par fonction – Je désirerais furieusement qu’il plût. – Et pourquoi s.v.p. ? – Afin de pouvoir vous le faire remarquer et ranimer de la sorte les jeux languissants de la conversation – Vos yeux me frappent comme une agate sertie dans la griffe d’or des cils (O, contre-finesses de la déliquescence !)       Broum, broum, broum, broum ! ! ! Quels sens donnez-vous à ces broum, broum, broum ? – Ma chère Mademoiselle, ma chère celui d’un état d’esprit si inclassifiable qu’on ne saurait lui trouver d’expression dans le langage articulé. Au reste il est de suprême importance de ne pas les confondre avec les boudi boum bada boum – Que vous êtes drôle – J’étais sérieux, mais par perversion… tout ce que vous voulez. Au fait dites-moi d’où vous venez, où vous allez, votre âge, votre poids, combien on vous donne d’argent de poche et votre importance sociale – quand les bigorneaux ouvriront leurs ailes – Je ne serai jamais grand-chose, mes parents ont oublié de me donner une éducation religieuse – Pourquoi n’êtes-vous pas venu quand je vous ai appelé ? – L’idée pure n’est pas motrice – L’attitude est morte – je me comprends mieux depuis que je vois tout le monde – je sens que les murs arrivent à leur maturité – Si l’on donnait la direction de l’univers à Goethe les étoiles commettraient vite des excentricités – les charmes dans les murs – j’ai de la stature – je suis fort par inspiration et je chante presque par vocation subite – et je parcours la gamme des poids, mes amis vous le diront, ma figure grasse se creuse en quelques heures – quand le jardinier et l’homme du monde s’affirment en même temps comme je n’ai qu’une bouche je fais une espèce de grimace – Parfois quand 2 ou 3 individus veulent s’exprimer à la même seconde je ris tout simplement et je vous ferai mieux comprendre en m’étendant : par exemple un jeune homme me montrant les vers d’une fille qu’il aimait réveillant en moi le sceptique et l’amoureux me força de rire, façon qu’il me reprocha, m’obligeant à rire plus fort à cause de l’apparition du voyou et enfin à tomber dans les convulsions du rire à l’entrée en scène du voyou supérieur – Je le méprise, il n’a pas changé de poids depuis dix ans – je crains fort que ses pieds n’aient pas d’antipodes – je suis rouge de plaisir – l’homme spirituel : celui qui sait combattre en chemise de nuit – le cerveau musclé comme un bœuf – l’encombrement des étoiles – (j’aime) je m’asseois avec… – je me sens renaître à la vie du mensonge – mettre mon corps en musique – bourrer mes gants de boxe avec des boucles de femmes – Dieu aboie, il faut qu’on lui ouvre – je marchais parmi les abrutis – locomotive, Vénus des forêts dort près des graminées (cheminée) – Bonne, Vénus, lys du vestibule – Seigneur, ma barbe est comme de l’herbe sauvage et mes pieds puent – plus… plus fort que le départ – adieu New York, je ne fais que passer _ L’ossature des pays forme la topographie des os – en ennui je suis herbivore et carnivore – pour baser mon système du monde prendrai-je le brin d’herbe ou la cuisse du lutteur ? – New York… des millions d’exaltés – Je viens m’abandonner dans Santiago – Et téléphone-moi – Quand les rayons des machines auront tant influencé mon crâne que le soleil – j’avais honte d’être blanc : un blanc n’est même pas le cadavre d’un nègre – je vais à Buenos Aires pour être malheureux – le souvenir dilaté par la bière – ce maquereaucéphale – je songe à l’évolution des estomacs à New York – je suis un fou caressant – dans ma prunelle de voleur le chat fait briller sa griffe – et la brique au vieux ton – le peintre qui emploie toujours des couleurs pures est comme le littérateur qui dit toujours merde – machine à rêver – je suivais la lune et je la voyais devenir américaine – le temps passe comme un géant – l’action du soleil – danser bouteilles et tonneaux – il n’est personne qui puisse me comprendre car il serait moi – et comment es-tu après chaque pluie ? (la morte) – les germes de la musique – je ne dors plus – dans ce hameau où l’on ne pourrait rien voler – Ses joues ne réfléchissent rien – ce jeune homme a l’air responsable – ces jeunes gens qui retardent – ma haine du travail – intoxication de l’amour semblable à celle du tabac – être assimilé à une cigarette – si on me voyait en ange de la couture, quand je raccommode un bas – par moments, je voudrais voir les mères laisser tomber leurs bébés – j’ai enfin des préjugés ! – j’apporte ma tête et ma vie – homme complet – Seigneur, je suis votre égal – trésors de brutalité – votre géant blond – un père et une mère, quelle tache ! – j’ai fait de tels progrès que dans la rue j’ai toujours peur de me faire écraser – j’inspire confiance – je serai grossier pour me reposer de l’idéal – il faut que je change ma tête en écoutant beaucoup de musique – je m’amuse follement – j’incarne les meubles et les joueurs – Dites-moi quelque chose d’intéressant – Madame (choses extraordinairement profondes mêlées à choses d’une légèreté parisienne et à ma blague personnelle) – Scène des lignes de la main – je me baigne dans l’or de ma montre – comme une perle je sais me donner de l’orient : j’entre dans un musée d’histoire naturelle ou je vais voir les moulages du Parthénon – Cravan, Golpeador – donnez-moi votre nez – Si vous me refusez je me ferai écraser par le char de la lune – elle respire comme un chou – chez les peintres la peinture est une sécrétion – parmi les gens instruits il n’y a guère que des riches pauvres – j’ai un accent personnel en parlant les langues : je suis né blond clair et je suis devenu graduellement brun – ce livre a certainement sa place dans la surproduction contemporaine – il faut remettre, un fois par an, son avenir en jeu – je regardais en souriant cet homme qui depuis des ans n’avait pas varié d’un kilo – il ne me reste qu’à vendre mon squelette17 à un naturaliste ou mon âme à un psychologue –
    Langueur des éléphants, romance des lutteurs.

Arthur Cravan – 1917-1918

1 « Notes » parut pour la première fois, à New York, dans le numéro 1 (juin 1942) et dans le numéro 2/3 (mars 1943) de VVV, précédé de quelques lignes d’André Breton qui ont, entre autres, l’intérêt de préciser l’origine de ce manuscrit, vraisemblablement le dernier que Cravan ait eu le temps d’écrire. Les indications en bas de page figurent dans l’édition originale.
2 En surcharge : cils.
3 En surcharge : de Césars.
4 Mot illisible, peut-être : porcs.
5 Rayé : jeune.
6 Rayé : perdu, quitté.
7 Rayé : de lettres s’égarent en ce moment.
8 En surcharge : Nichons (souligné).
9 En surcharge : âme.
10 Au-dessous : aveuglant.
11 En surchage : un pachyderme.
12 En surcharge : irisations.
13 En surcharge : vent glacial.
14 En surcharge, rayé : le vent.
15 En surcharge, rayé : arborescente.
16 Rayé : sont éternelles.
17 Rayé : corps.

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